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Intervention de Didier Migaud

Réunion du 6 octobre 2010 à 16h15
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

C'est un grand plaisir pour moi d'être à nouveau devant vous, cette fois en ma qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires, pour vous présenter le rapport que vous aviez demandé à ce Conseil. Je précise que nous avons retenu un titre légèrement différent, puisque nous avons intitulé le rapport « Entreprises et niches fiscales et sociales, des dispositifs dérogatoires nombreux », mais cela ne change évidemment rien à la nature de l'étude demandée.

Je suis accompagné, pour cette audition, de Mme Catherine Démier, secrétaire générale du CPO, de Mme Marie Message, auditrice à la Cour des comptes et rapporteur général du rapport, ainsi que de la plupart des rapporteurs qui ont contribué à son élaboration.

La situation budgétaire de la France a mis en évidence la question de la place et du poids des dispositifs dérogatoires. Les débats des dernières semaines se sont tellement focalisés sur les niches fiscales et sociales qu'un nouveau vocabulaire fleuri est apparu dans le langage courant depuis quelque temps : certains ont évoqué un « chien grognant dans chaque niche qu'on tenterait de supprimer », d'autres un « rabot », un « couteau suisse », voire une « lime à ongles », pour reprendre une expression de votre rapporteur général. Le terme de « niche », que l'on répugnait hier encore à utiliser, est devenu d'un usage si courant qu'il figure dans le titre du rapport du CPO, même si nous lui avons accolé des guillemets.

Les débats portent le plus souvent sur les niches bénéficiant aux personnes physiques et aux ménages. Votre demande a eu pour originalité de concentrer la réflexion sur les entreprises, aussi bien celles qui sont soumises à l'impôt sur les sociétés – IS –, que celles relevant de l'impôt sur le revenu – IR.

Nous avons tenté de retenir le périmètre le plus large possible, même si les dispositifs dérogatoires relevant de la fiscalité locale ne figurent pas dans ce rapport – du moins ceux qui demeurent à la charge des collectivités territoriales, faute de recensement dans le tome II des voies et moyens, annexé au projet de loi de finances, ou dans l'annexe V du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous avons, en revanche, inclus dans notre réflexion certaines modalités particulières de calcul de l'imposition ou de règles d'assiette. Ces dispositifs constituent la partie presque immergée de l'iceberg, si j'ose dire, puisque leur montant représente le double de ce qu'on appelle traditionnellement les dépenses fiscales. J'y reviendrai bien sûr.

Pour réaliser ce travail, nous nous sommes efforcés d'adopter une approche aussi exhaustive que possible des niches sociales. L'annexe n° l du rapport les recense. La liste est impressionnante, et vous verrez que les sommes en cause sont très substantielles.

Le rapport s'inscrivant dans un contexte économique particulier, nous n'avons pas perdu de vue que votre demande avait notamment pour objectif de chercher des ressources budgétaires supplémentaires.

Aussi souvent que possible, nous avons effectué des comparaisons internationales : nous avons ainsi tenté d'évaluer l'ampleur des niches fiscales et sociales dans d'autres pays de l'Union européenne, notamment l'Allemagne ; nous nous sommes également efforcés de décrypter les comportements de résistance de certains États, tels que les États baltes, contre la prolifération de niches ; nous avons enfin analysé certaines réformes, parfois réussies, de suppression de niches, en particulier celles qui ont été entreprises en Belgique au cours de la dernière décennie.

Vous constaterez que le rapport ne comporte pas moins de 70 propositions, présentées au fil du texte, car elles viennent à l'appui d'un raisonnement ou d'une démonstration ; la typographie permet de les identifier facilement.

Certaines de ces propositions constituent des recommandations générales. Il s'agit d'améliorer l'information sur les dispositifs dérogatoires, de définir des règles dites de « gouvernance » pour encadrer et maîtriser les niches et les pratiques d'optimisation qu'elles suscitent, mais aussi de les recentrer sur leurs objectifs et de renforcer leur évaluation. Tel est l'objet des trente premières recommandations. Les recommandations suivantes, que nous nous sommes efforcés de rendre très concrètes, portent sur des dispositifs particuliers.

Ces propositions ne constituent pas un « menu fixe », où il faudrait tout prendre, mais plutôt une « carte » au sein de laquelle des choix peuvent être effectués selon des considérations d'opportunité et selon un calendrier établi en fonction du contexte économique.

La première démarche du CPO a été de dresser un inventaire des niches fiscales et sociales, et d'en mesurer le coût pour les budgets de l'État et de la sécurité sociale.

Au cours des dernières années, l'information sur les niches fiscales et sociales s'est améliorée au sein des documents budgétaires, mais elle reste perfectible. Les interactions entre assiettes fiscales et assiettes sociales ne sont ni mentionnées, ni chiffrées. Or, elles ne sont pas négligeables, tant en raison de l'impact de l'assiette fiscale sur les cotisations sociales – c'est le cas, par exemple, des mesures qui, en réduisant l'assiette de l'impôt sur le revenu, affectent aussi l'assiette des cotisations sociales –, qu'en raison de l'impact de l'assiette sociale sur la fiscalité. Certaines exemptions d'assiette – je pense notamment aux stock-options ou aux contributions des employeurs versées à des régimes de retraite et de prévoyance complémentaire au profit des salariés – ont un effet sur l'assiette de la taxe sur les salaires, sans apparaître pour autant comme des dépenses fiscales.

Les dépenses fiscales n'ont pas de définition claire, car il n'existe pas véritablement de norme de référence à laquelle elles dérogeraient. Le Gouvernement conserve donc une grande latitude en matière de classification et de déclassification des dépenses fiscales, et l'on observe que l'appréciation retenue varie dans le temps, certaines mesures dérogatoires ayant fini par devenir une norme.

Dans ces conditions, la liste des niches fiscales a régulièrement fait l'objet de modifications, lesquelles ont été particulièrement importantes au cours des dernières années : de 1997 à 2003, 45 mesures ont ainsi été déclassées et requalifiées en « mesures particulières de calcul de l'impôt » ; depuis le projet de loi de finances pour 2006, 93 mesures ont été déclassées ; 78 mesures existantes ont été, au contraire, intégrées dans le champ des dépenses fiscales.

Si le nombre des mesures classées « niches fiscales » est à peu près équivalent à celui des mesures déclassées, leur poids financier est très différent : celles qui ont déclassées représentent un coût total d'environ 80 milliards d'euros en 2008, contre seulement 4,2 milliards pour les autres.

Les niches concernant les entreprises ont été particulièrement touchées par ces modifications de périmètre : 56 % des mesures déclassées depuis le PLF pour 2006 ont pour bénéficiaires les entreprises.

Certaines réformes ont, en outre, conduit à la disparition de dépenses fiscales. La suppression de la taxe professionnelle – et son remplacement par une contribution économique territoriale, qui ne retient plus les investissements dans son assiette – fait ainsi disparaître de la liste des dépenses fiscales les différentes exonérations liées.

Les modifications de la liste des dépenses fiscales représentent donc un enjeu considérable, tant en termes de transparence de l'information du Parlement et du citoyen qu'en termes d'évaluation du coût des dispositifs dérogatoires applicables aux entreprises.

Je précise qu'il n'existe pas de définition harmonisée des dépenses fiscales dans les différents pays de l'OCDE. Certains pays ont introduit des critères supplémentaires : la Belgique utilise la notion de « portée incitative », l'Allemagne définit les dépenses fiscales par équivalence avec des subventions budgétaires, et le Royaume-Uni recourt à une méthode de qualification reposant sur la possibilité, théorique, de remplacer les mesures concernées par une dépense directe.

Autre exemple de problème de définition : les 24 taux réduits de TVA qui existent ne sont pas tous considérés comme des dépenses fiscales, de même que les exonérations de TVA. Seuls sont dans ce cas les taux réduits applicables à une politique sectorielle spécifique, comme le taux réduit pour les travaux dans les logements ou celui pour la fourniture d'énergie renouvelable. A contrario, les taux réduits s'appliquant à une catégorie de produits, comme les produits alimentaires ou les livres, ne sont pas des niches. Cette distinction n'est ni très logique, ni très pertinente. Certains pays de l'Union européenne, comme la Suède, considèrent d'ailleurs que l'ensemble des taux réduits constitue des dépenses fiscales.

Certaines mesures, dont l'objet n'est pas exclusivement fiscal, ne sont pas non plus classées dans les dépenses fiscales. C'est ainsi le cas, depuis 2006, du régime « micro-entreprises ». Ce dispositif tend en effet à simplifier les obligations déclaratives.

D'autres dispositifs ont été déclassés en raison de leur portée générale. Je pense notamment au régime de l'intégration fiscale pour les groupes de sociétés, qui est presque devenu le régime de droit commun bien qu'il présente un caractère optionnel.

Bien que leur définition ait fait l'objet d'un effort de clarification dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, les niches sociales présentent également des difficultés et des lacunes de recensement, notamment en ce qui concerne les mesures relevant des régimes obligatoires de base autres que le régime général.

Il est difficile d'estimer le coût de ces niches. Une première analyse consiste à calculer la perte initiale de recettes, toutes choses égales par ailleurs. Cette méthode, qui est la plus simple à appliquer, est retenue en France, comme dans la plupart des pays de l'OCDE.

Il reste que les coûts et les gains indirects de ces dispositifs ne sont pas pris en compte, alors qu'ils peuvent être importants. Une réduction d'impôt sur le revenu imposable a, par exemple, des effets très significatifs sur l'assiette de la CSG.

À ce stade, on ne peut donc accorder qu'une valeur indicative au coût des niches fiscales et sociales – lorsqu'elles font l'objet d'un chiffrage.

Les ressources supplémentaires qui pourraient être attendues de la réduction – ou de la suppression – des niches présentent donc le risque d'être sensiblement inférieures au coût des mesures tel qu'il est évalué. C'est un point sur lequel je souhaite appeler votre attention.

Dans le PLF pour 2010, 293 dépenses fiscales bénéficiant aux entreprises sont recensées, pour un total de 506 mesures. Il faut entendre par là les dépenses fiscales bénéficiant aux entreprises, ainsi que celles qui sont destinées aussi bien aux entreprises qu'aux ménages. On observe que le nombre de ces mesures a fortement augmenté depuis 2002, mais il faut également prendre en considération les créations et les déclassements intervenus au cours de la période, comme l'expose le tableau n° 3 à la page 57 du rapport. Compte tenu de cette précaution de méthode, on arrive à un total de 107 dépenses fiscales créées entre 2002 et 2010, soit une douzaine de plus chaque année.

Sans vouloir vous abreuver de chiffres, dont le mode de calcul peut varier à la marge selon les critères retenus, j'aimerais rappeler un certain nombre de données quantifiées qui me semblent éclairantes.

Les dépenses fiscales applicables aux entreprises s'élèvent en 2010 à 35 milliards d'euros, ce qui représente près de 14 % de recettes fiscales nettes de l'État.

Les mesures dérogatoires déclassées ou relatives aux modalités particulières de calcul de l'impôt sont estimées, quant à elles, à 71,3 milliards d'euros. Leur montant est donc deux fois supérieur à celui des mesures qualifiées de dépenses fiscales. Cette « partie immergée de l'iceberg », que j'évoquais tout à l'heure, représente 28 % des recettes fiscales. Le coût du régime « mère-filles » des sociétés est ainsi évalué à 35 milliards d'euros, celui du régime d'intégration fiscale de droit commun à 19,5 milliards, et celui de la taxation au taux réduit des plus-values à long terme des cessions de titres de participation a été révisé à 6 milliards d'euros en 2009.

J'en viens aux niches sociales. En la matière, nous avons recensé 91 dispositifs ou ensemble de dispositifs concernant les entreprises. Leur nombre, comme celui des dépenses fiscales, est en augmentation notable.

Le coût des niches sociales applicables aux entreprises est évalué à un total général de 66 milliards d'euros, soit 15 % des recettes de la sécurité sociale. Elles prennent la forme d'allégements généraux et d'exonérations ciblées, dont le montant est estimé à 31,5 milliards en 2010. Ce total inclut les exemptions d'assiette, les pertes de recettes induites, ainsi que certaines niches non chiffrées dans le PLFSS.

Dans un deuxième temps, le rapport s'interroge sur l'efficacité du recours aux niches en tant qu'instrument de politique publique.

Trop souvent, d'après le Conseil des prélèvements obligatoires, les niches ne sont pas l'outil le plus adapté. Il arrive ainsi que des dispositifs poursuivent plusieurs objectifs à la fois ; certains sont incitatifs et visent à modifier le comportement des agents économiques, par exemple en matière de recherche ou d'embauche de salariés peu qualifiés ; d'autres prennent en considération une situation donnée sans visée incitative, comme le taux réduit applicable au médicament.

Les niches sont très faciles à créer, et le nombre de leurs bénéficiaires a tendance à augmenter ; elles sont, en revanche, très difficiles à supprimer. Les dispositifs sont le plus souvent créés ou modifiés sans analyse d'impact préalable, ni évaluation au terme de quelques années d'application.

Certaines dispositions, qui devaient initialement être temporaires, ne se sont pas taries. Ainsi, alors que le régime d'exonération fiscale mis en place dans les zones franches urbaines en 1996 devait initialement durer cinq ans, son existence a été prolongée de trois ans, puis le mécanisme a été reconduit au profit des entreprises créées dans les zones considérées entre 2002 et 2007. Un nouveau régime, consistant d'abord en une exonération totale pendant une période de cinq ans, puis en un abattement dégressif pendant neuf ans, a été ensuite instauré pour les entreprises exerçant leur activité dans les zones franches urbaines de nouvelle génération.

On constate par ailleurs que certaines mesures altèrent la portée universelle des prélèvements obligatoires auxquels elles s'appliquent. C'est en particulier le cas des éléments exemptés de CSG, cotisation dont l'ambition était de faire contribuer l'ensemble des revenus au financement de la protection sociale dans une logique de solidarité nationale.

Il faut également rappeler que les niches sociales compensées par l'État conduisent inéluctablement à des pertes de recettes fiscales.

Cela dit, des efforts ont été récemment entrepris, avec l'adoption de la loi de programmation des finances publiques de février 2009, pour assurer une meilleure maîtrise de la création et de la modification des dispositifs dérogatoires. Est-ce, pour autant, suffisant ? On peut en douter : le projet de loi de programmation des finances publiques pour 2011-2014, que votre commission a commencé à examiner, tend à revenir sur certains principes posés par la loi de 2009, votée il y a moins de deux ans.

Le CPO propose de définir au niveau organique l'ensemble des mesures tendant à encadrer le processus de création et de modification des dispositifs dérogatoires. Il s'agirait de limiter à quatre ans l'application des mesures nouvelles et l'extension de celles qui existent déjà, de procéder à une évaluation systématique du coût et de l'efficacité des mesures au bout de trois ans, d'instaurer une règle de gage lors de leur création ou au moment de leur extension, et de prévoir la suppression systématique de toute mesure qui n'aurait pas été évaluée au bout de trois ans.

Les niches sont parfois si complexes ou si peu lisibles que, paradoxalement, elles ne sont pas toujours utilisées de façon efficace par leurs destinataires.

Cette complexité est aggravée par l'instabilité des mesures. Je ne citerai qu'un seul exemple parmi ceux qui foisonnent dans le rapport : de 1993 à 1999, pas moins de 14 modifications ont été apportées au dispositif d'allégements sur les bas salaires.

Les niches présentent une singulière opportunité pour favoriser les comportements d'optimisation. Bien sûr, dans une certaine mesure, l'optimisation fiscale n'est pas contestable ; elle est même conforme à l'intérêt social des entreprises.

Mais il faut reconnaître que les niches suscitent un effet d'aubaine fort, plus marqué encore que celui des dépenses budgétaires, notamment parce qu'elles présentent un caractère automatique et parce qu'elles suscitent des comportements passifs.

Parfois, l'optimisation s'apparente à une forme d'évasion fiscale et sociale. Dans le cas des exonérations accordées à des entreprises s'implantant dans les zones franches urbaines, il n'est pas rare que le siège des entreprises de BTP ne compte qu'une seule pièce, dépourvue de téléphone et de photocopieuse, comme de tout stock d'outillage et de matériel.

L'optimisation se traduit aussi par une interprétation extensive des niches par certaines catégories de bénéficiaires. C'est notamment le cas de l'intéressement différé – le carried-interest : dans le secteur du capital investissement, les gérants de fonds peuvent s'octroyer des parts spéciales leur donnant un accès préférentiel à la plus-value en cas de bonne performance du fonds. Alors qu'une telle pratique constitue clairement un élément de rémunération, la plus-value réalisée au moment de la cession des parts relève du régime des plus-values mobilières, bien moins imposé que les revenus d'activité.

Le CPO propose soit de réintégrer les carried-interests dans l'assiette sociale, ce qui reviendrait à les soumettre aux prélèvements sociaux de 35 %, au lieu de 12,1 % aujourd'hui, soit de les assujettir à la taxation des stock-options. Le risque pour l'attractivité du capital-risque, qui est parfois invoqué à l'encontre de cette proposition, ne semble pas réel, car la mesure vise à taxer les rémunérations des gestionnaires, et non l'investissement lui-même.

Les entreprises ne sont pas en situation d'égalité devant les niches. Leurs possibilités d'optimisation dépendent, en effet, de leur forme juridique, de leur taille ou de la part de leurs activités internationales.

Pour l'entreprise individuelle, l'optimisation peut prendre la forme d'une étroite imbrication entre les patrimoines professionnel et personnel de l'entrepreneur et la situation fiscale de son foyer. Il suffit, par exemple, d'inscrire certains biens à l'actif de l'entreprise plutôt que dans le patrimoine personnel. Ce type d'arbitrage a des effets sur l'assiette de l'ISF, mais aussi sur les cessions de plus-values, celles-ci étant considérées comme professionnelles.

Pour les grands groupes internationaux, le crédit d'impôt-recherche – CIR – constitue une forte opportunité en matière d'optimisation – mais je reviendrai plus tard sur le CIR.

De façon générale, le rapport propose d'instaurer un régime de notification des dispositifs d'optimisation fiscale, à l'instar des États-Unis et du Royaume-Uni.

Reprenant un amendement proposé par votre commission en 2009, le CPO propose également de donner une portée générale aux dispositions renforçant l'information sur les conditions d'intervention des intermédiaires en matière d'optimisation fiscale et sociale.

En dernier lieu, le rapport analyse l'efficacité, qui n'est pas toujours démontrée, des dispositifs dérogatoires. Le CPO aborde cette problématique sous la forme de réflexions générales, puis sous la forme de cinq grands thèmes regroupant ses propositions les plus opérationnelles, relatives à la politique de l'emploi, au développement des entreprises, à la recherche et à l'innovation, au pouvoir d'achat et à l'aménagement du territoire.

Face à la prolifération, à l'accumulation et à la sédimentation des dispositifs dérogatoires, chaque mesure devrait se voir assigner un objectif clair, explicite et compatible avec les autres objectifs de politique publique. Faut-il, par exemple, maintenir le taux réduit de TVA à 5,5 % sur certains engrais ? Cette mesure tend à aider le secteur agricole, pour un coût de 60 millions d'euros, mais elle entre en contradiction avec la politique de lutte contre la pollution.

L'évaluation des mesures doit être systématisée. L'absence d'études sur les dépenses fiscales liées à la TIPP est assez éclairante à cet égard : l'exonération partielle de TIPP consentie pour les biocarburants ne répond plus à l'intention initiale de favoriser le démarrage des investissements qui sont désormais amortis dans une large mesure. En outre, l'apport énergétique et environnemental des biocarburants est aujourd'hui contesté. C'est pourquoi le CPO propose de supprimer cette exonération, dont le coût s'élève à 643 millions d'euros.

De façon générale, nous n'ignorons pas qu'une démarche générale d'évaluation des niches fiscales et sociales a été récemment engagée. Elle doit être poursuivie, et elle doit faire l'objet d'une large diffusion.

Les niches fiscales et sociales représentent une part importante des dépenses publiques consacrées à la politique de l'emploi. Les allégements généraux de charges sociales sur les bas salaires se révèlent assez efficaces pour le soutien de l'emploi, mais le CPO propose de recentrer ces mesures sur leur véritable objectif de soutien à la main d'oeuvre non qualifiée. Deux options sont possibles : soit une annualisation du calcul de l'allégement général, comme le prévoit le PLFSS pour 2011, pour un coût estimé 2,2 milliards d'euros ; soit un calcul de l'allégement sur l'assiette de la CSG, et non plus sur le salaire brut, cette option visant à neutraliser le recours, par certains employeurs, à des formes de rémunération hors assiette sociale. Le chiffrage est estimé à 2 milliards d'euros, mais il mériterait d'être affiné.

La combinaison de ces deux options rendrait la mesure encore plus efficace, car les éléments hors assiette de la CSG sont souvent versés de manière sporadique au cours de l'année, voire en fin d'année, et ne sont pas considérés, de ce fait, comme de véritables éléments de salaire.

J'en viens aux baisses ciblées de TVA dans les secteurs intensifs en main d'oeuvre. Elles ont un impact limité pour un coût élevé. Elles soutiennent l'emploi par le canal de la demande, mais elles ont un coût important du fait des secteurs où elles s'appliquent : le logement, la restauration, l'hôtellerie et les services d'aide à la personne. Ce coût s'élève à près de 10 milliards d'euros en 2010.

Quand bien même elles répondraient à des préoccupations liées à l'emploi ou à la diminution du travail dissimulé, de telles niches sont sensiblement moins efficaces que les allégements généraux de charges sociales. C'est pourquoi le CPO propose de limiter le coût des taux réduits de TVA en supprimant le taux de 5,5 % dans la restauration, dont le coût s'élève à trois milliards d'euros ou, à tout le moins, de le porter à 10 ou 12 %.

D'une manière générale, le Conseil est favorable à la création d'un deuxième taux réduit, de 10 à 12 %, que j'appellerai, par souci de clarté, le « taux intermédiaire ». Ce taux se substituerait à celui de 5,5 % qui est applicable à certains biens et services. La France n'utilise pas la faculté qui lui est offerte par le droit communautaire de créer ce deuxième taux réduit, alors même qu'elle applique un taux réduit sensiblement inférieur à la moyenne de ceux pratiqués par ses partenaires européens. À titre indicatif, l'utilisation d'un taux intermédiaire de 12 % – de préférence à celui de 5,5 % applicable aux secteurs intensifs en main d'oeuvre – permettrait de dégager une ressource fiscale de 4,6 milliards d'euros.

Le rapport suggère par ailleurs des mesures visant à recentrer le crédit d'impôt apprentissage et à réduire les exonérations de cotisations sociales pour les entreprises de service au domicile des personnes ainsi que les exonérations pour l'embauche de travailleurs occasionnels dans le secteur agricole. De nombreux dispositifs dérogatoires ciblés sur certaines professions – tels les artistes de la création plastique, les arbitres et les juges sportifs, les médecins installés dans les zones à faible densité médicale ou encore les buralistes et les maîtres restaurateurs – ne présentent pas d'utilité avérée. Pourquoi conserver ces mesures, dont le coût s'élève à 57 millions ?

Le régime social et fiscal des heures supplémentaires issu de la loi TEPA a un coût estimé à 4,1 milliards d'euros. Il faut tenir compte du contexte économique dans lequel ce dispositif a été mis en oeuvre, mais son efficience n'a pas encore été établie. Là encore, plusieurs options sont possibles, de sa suppression totale à une adaptation qui ciblerait la mesure sur les revenus les plus modestes. Dans cette dernière hypothèse, on pourrait économiser 1,2 milliard d'euros en supprimant l'exonération de l'impôt sur le revenu qui y est associée.

Le soutien au développement des entreprises a suscité une multitude de dispositifs parfois mal ciblés. Un grand nombre d'entre eux, en outre, considérés comme de simples modalités particulières de calcul de l'impôt, alors qu'il s'agit, par nature, de dépenses fiscales.

Parmi ces mesures, d'inégale importance, on peut citer le crédit d'impôt formation pour le chef d'entreprise, qui représente 18 millions d'euros, ou encore le crédit d'impôt pour les dépenses de prospection commerciale, évalué à 14 millions, dont même les avocats bénéficient.

Les différents régimes d'exonérations des plus-values professionnelles visant à favoriser la transmission des entreprises ont un coût fiscal et social élevé. Réintégrer l'ensemble des plus-values de cession professionnelle dans l'assiette des cotisations sociales procurerait un rendement compris entre 340 à 775 millions d'euros selon le plafond qui serait retenu.

Ces régimes suscitent des comportements d'optimisation et des effets d'aubaine très contestables. Pour les petites entreprises, le relèvement du plafond du chiffre d'affaires a provoqué des opérations consistant pour un exploitant à se céder à lui-même son entreprise en s'exonérant de taxation sur la plus-value réalisée et en déduisant du résultat imposable les frais d'acquisition de sa propre entreprise.

Les mécanismes fiscaux applicables à l'ensemble des entreprises présentent, par ailleurs, des souplesses que nos voisins européens ne connaissent pas et qui sont coûteuses pour les finances publiques. Le CPO propose notamment d'instaurer un plafonnement de la déductibilité des intérêts d'emprunts contractés par l'entreprise. Ce plafond est fixé à 30 % du résultat comptable en Allemagne. Si l'on suivait ce modèle, la recette serait d'environ 11,35 milliards sur trois ans.

Les incitations à la capitalisation des entreprises par voie d'allégement de la fiscalité du patrimoine ne sont pas non plus convaincantes. L'impact économique des réductions d'IR et d'ISF liées à la souscription au capital de PME ou aux parts de fonds communs de placement devrait être soigneusement évalué. En attendant, il conviendrait d'aligner le taux de réduction d'ISF, actuellement de 75 %, sur le taux de réduction d'IR, fixé à 25 %.

Les dépenses fiscales liées aux modalités d'imposition des dividendes, dont l'objet est de renforcer la capitalisation des entreprises, représentent près de 2 milliards d'euros. Leurs effets anti-redistributifs et leur complexité ne favorisent guère l'équité entre les contribuables. Nous avons bien noté que la suppression du crédit d'impôt sur les dividendes est prévue dans le PLF pour 2011, mais cette mesure pourrait utilement être complétée par une réduction du niveau de l'abattement forfaitaire, actuellement fixé à 40 %.

L'exonération des plus-values à long terme sur la cession des titres de participation présente un coût budgétaire élevé, et suscite de forts effets d'aubaine. Elle a été, dès l'origine, mal évaluée, et elle a ensuite « dérapé » au cours des dernières années. Au terme d'une comparaison internationale, le CPO propose de diminuer le coût de la mesure et de limiter les effets d'aubaine en portant de 5 à 10, voire à 20 %, la quote-part représentative des frais et charges à incorporer dans les résultats soumis à l'IS. Un allongement de la durée de détention des titres permettrait, en outre, d'éviter la réalisation trop rapide de plus-values exonérées.

Le régime de l'intégration fiscale, dont le coût est estimé à 19,5 milliards d'euros, devrait également faire l'objet d'un certain nombre d'aménagements. Plusieurs propositions figurent dans le rapport : certaines modalités d'application particulièrement favorables de ce régime pourraient, par exemple, être supprimées, pour un gain estimé à 1,8 milliard d'euros.

Le régime de bénéfice mondial consolidé, qui fonctionne sur la base d'un agrément, est ancien. Seuls cinq groupes en bénéficient encore aujourd'hui. La perte d'attractivité de ce régime s'explique par le fait qu'il n'a véritablement d'intérêt que si le groupe imposable en France peut déduire de son IS les pertes subies à l'étranger. Il ne semble pas que la suppression de ce dispositif présenterait un inconvénient dirimant pour ses bénéficiaires, qui sont des grands groupes internationaux, alors qu'il coûte 302 millions d'euros au budget de l'État.

Le régime « mère-filles » vise à supprimer une double imposition économique des dividendes provenant de bénéfices déjà imposés, pour un coût évalué à près de 35 milliards d'euros. Certains aménagements pourraient rendre cette charge moins coûteuse dans la perspective d'une réflexion sur la fiscalité des groupes : l'objectif serait d'éviter l'asymétrie qui permet de bénéficier des effets cumulatifs de l'exonération des produits et de la déductibilité des charges, qui transforment l'IS en impôt négatif dans certains cas extrêmes.

Les niches en faveur de la recherche et de l'innovation restent dominées par le crédit d'impôt recherche. Du fait de son extension, le régime du CIR est devenu l'un des plus favorables de l'OCDE. Son coût est évalué à 4,2 milliards d'euros. Les constats du CPO ne sont pas négatifs ; ils sont même positifs, mais le Conseil se prononce en défaveur de la création d'un crédit d'impôt innovation, et propose de réformer à la marge le dispositif du CIR en délimitant plus clairement la frontière entre les dépenses éligibles et celles qui ne doivent pas l'être, en améliorant le contrôle sur les dépenses engagées, notamment les dépenses de personnel, et en rendant plus efficace la dépense.

Le CPO a envisagé plusieurs scénarios. On peut, tout d'abord, envisager de réduire le seuil de dépenses à partir duquel on passe du taux de 30 % à celui de 5 %. Des simulations montrent que l'économie ainsi réalisée serait comprise entre 171 à 671 millions d'euros selon la réduction du seuil décidée. Un autre scénario consisterait à supprimer le taux réduit de 5 % et à réduire le seuil. L'économie réalisée serait alors de l'ordre de 506 millions. Un dernier scénario tend à effectuer le calcul du passage de seuil à l'échelle du groupe, et non au niveau de chaque filiale, afin d'éviter que le montant du CIR perçu ne soit abusivement optimisé par un effet de lissage entre les filiales. Cette forme d'intégration permettrait d'économiser 386 millions au titre des groupes ayant des dépenses en R&D supérieures à 100 millions.

Certains dispositifs dérogatoires applicables aux entreprises visent, en fait, à accroître le pouvoir d'achat des salariés. Il s'agit en particulier de l'intéressement et de la participation, de certains avantages sociaux, des contributions à la protection sociale complémentaire, mais aussi des avantages en matière d'indemnités pour rupture de contrat de travail. Le coût total de ces mesures, qui prennent essentiellement la forme d'exemptions de cotisations sociales, auxquelles s'ajoute parfois un volet fiscal, s'élève à 25 milliards d'euros.

Ces avantages semblent disproportionnés au regard des effets d'aubaine et des inégalités dont ils s'accompagnent. La recommandation du CPO est de réintégrer au moins partiellement les sommes exemptées de cotisations sociales. Pour l'épargne salariale, l'économie se chiffrerait à 1,6 milliard d'euros. Les avantages affectés – chèques-vacances, activités sociales des comités d'entreprise, ou encore titres-restaurant – devraient à tout le moins être assujettis à la CSG. Le rendement qui en résulterait pour la sécurité sociale serait de 450 millions d'euros.

La participation de l'employeur à la protection sociale complémentaire de ses salariés est également exemptée de tout prélèvement social, exception faite de la CSG et de la CRDS, ce qui représente au total un manque à gagner de 4,5 milliards d'euros. Si on ajoute à cela les avantages fiscaux liés, on arrive à un coût global de 7,5 milliards. Le CPO propose de resserrer les conditions d'éligibilité des « contrats responsables » et de porter de 8 à 16 % le taux de la taxe « prévoyance ». Le rendement de cette mesure serait de 720 millions d'euros, sans effet désincitatif pour le régime de la prévoyance sociale.

Il est également proposé de moraliser les retraites-chapeaux, qui bénéficient aujourd'hui d'un assujettissement social avantageux, en faisant cotiser les rentes dès le premier euro. Le projet de loi sur les retraites tend déjà en ce sens, mais nous proposons d'aller plus loin en portant le taux de prélèvement au même niveau que celui des salaires. Le rendement serait alors de 70 millions d'euros.

Les exemptions en matière d'indemnités de rupture du contrat de travail se sont éloignées des objectifs qui leur avaient été initialement assignés. Il apparaît donc souhaitable, pour des raisons tenant à la politique en faveur de l'emploi des seniors, mais pour des raisons d'équité entre catégories de salariés, de réintégrer dans l'assiette des cotisations sociales les indemnités versées dès lors que le préjudice moral n'est pas clairement avéré. On pourrait même envisager de limiter le plafond d'exonération des indemnités de licenciement à un niveau légal ou conventionnel, ou bien à un seuil forfaitaire.

Les mesures en faveur de l'aménagement du territoire font l'objet de nombreuses exonérations fiscales et sociales. En additionnant le coût de ces dispositifs ciblés sur des territoires – zones prioritaires d'aménagement, zones franches urbaines, zones de revitalisation rurale ou encore zones de revitalisation urbaine –, on arrive à un montant de 3,6 milliards d'euros, sans compter toutes les aides à l'outre-mer, dont la plupart s'adressant avant tout aux ménages.

L'aménagement du territoire est une bonne illustration des effets produits par la sédimentation et la superposition de mesures à l'impact économique incertain. Le CPO recommande que des outils d'évaluation soient mis en place, et surtout que les dispositifs en vigueur fassent l'objet d'un réexamen et d'une harmonisation. Il conviendrait, en toute hypothèse, de limiter les exonérations « zonées » de cotisations sociales. À ce stade, le CPO n'a pas été en mesure de chiffrer le gain attendu d'une telle évolution, car de multiples paramètres devront être pris en compte.

En conclusion, même s'il faut admettre que les niches fiscales et sociales peuvent être utiles dans certains cas pour atteindre des objectifs de politique économique, force est de reconnaître qu'elles ont connu un développement rapide et difficilement maîtrisable, qui nuit au nécessaire encadrement de la dépense publique.

Je le répète : notre propos n'est pas de supprimer l'ensemble des niches que je viens de présenter. Ce n'est pas un menu qui vous est proposé, mais une carte à consommer avec discernement et sur plusieurs repas.

L'ensemble des économies budgétaires citées dans ce rapport est compris dans une fourchette allant de 15 à 29 milliards d'euros. Le CPO a volontairement évité de présenter une « addition » : elle serait fausse par nature, car elle ne tiendrait pas compte des effets induits dans une logique de bouclage macroéconomique ex post. Le gain budgétaire à attendre de la suppression d'une mesure est souvent inférieur au coût de celle-ci.

Cela étant, le foisonnement des niches illustre une tendance bien française qui consiste à privilégier des prélèvements à taux élevés – facialement élevés – frappant des assiettes étroites. Une réduction drastique de ces niches devrait contribuer à inverser cette situation, en développant des prélèvements assis sur des bases larges avec des taux plus bas, sans remettre en cause ni l'attractivité de la France, ni le nécessaire objectif de redistributivité qui est assigné à la fiscalité, au sens large du terme.

J'observe par ailleurs que le CPO a réalisé, en deux ou trois ans, un tour d'horizon assez complet de notre fiscalité, y compris au plan des comparaisons internationales : nous avons remis un rapport sur la fiscalité du patrimoine à l'automne 2008, un rapport sur les prélèvements obligatoires des entreprises françaises dans le cadre d'une économie globalisée à l'automne 2009, un rapport sur la fiscalité locale en mai 2010, et nous avons réalisé un travail sur les prélèvements obligatoires dans une logique d'équité intergénérationnelle en 2008. Vous nous avez, en outre, demandé d'étudier la question des prélèvements obligatoires portant sur les ménages dans une double dimension : celle de la redistribution et celle de la progressivité. La Cour des comptes est également en train de réaliser une étude sur la fiscalité des entreprises et des particuliers en France et en Allemagne. Le rapport du CPO relatif à l'imposition sur le revenu devrait vous être remis en mars prochain, et le travail de la Cour dans le courant du premier trimestre 2011.

Je rappellerai enfin que le remplacement du Conseil des impôts par le Conseil des prélèvements obligatoires a permis d'élargir sa composition. Le CPO n'est pas seulement constitué de magistrats de la Cour des comptes, du Conseil d'État et de la Cour de cassation, mais aussi de personnalités extérieures, notamment des chefs d'entreprise et des personnalités reconnues dans le monde économique. Cet élargissement permet aux recommandations et aux préconisations du CPO d'être aussi pertinentes que possible et de tenir compte de la dimension économique qui s'impose sur tous les sujets traités.

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