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Intervention de Jean-Pierre Dufau

Réunion du 7 octobre 2010 à 9h30
Accord fiscal france-antigua et barbuda — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Dufau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis quelques mois, l'Assemblée nationale et le Sénat sont saisis d'un grand nombre de textes à vocation fiscale. Une véritable prolifération – n'est-ce pas, monsieur le ministre ? –, qui serait justifiée par les décisions prises par le G20 en 2008 et l'OCDE en 2009 afin de renforcer la lutte contre les paradis fiscaux. C'est bien.

Évoquons le sujet d'aujourd'hui. Le rapport n° 2788 de la commission traite de l'échange de renseignements fiscaux avec cinq États des Caraïbes. Le projet de loi dont nous débattons concerne uniquement Antigua-et-Barbuda, à titre d'exemple, suite à la demande du groupe GDR, demande que le groupe SRC soutient. Ces deux îles d'Antigua et Barbuda, dont Mme la rapporteure nous a fait la description, ont obtenu leur indépendance en 1981. Elles abritent à la fois un paradis fiscal, un pavillon de complaisance et le siège d'une dizaine de sociétés de jeux en ligne. C'est ce que j'appelle « la totale » !

Faut-il rappeler la mission d'information commune sur les obstacles aux contrôles et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux, diligentée en 2002 – bien avant le G20, bien avant l'OCDE – par Arnaud Montebourg et Vincent Peillon pour souligner, bien avant la crise, que les socialistes avaient déjà pointé d'où venait le mal.

Auparavant, en 1999, Dominique Strauss-Kahn affirmait devant la Conférence européenne de la Banque mondiale : « Les centres offshore, ces territoires laxistes, véritables trous noirs de la régulation internationale, sont les lieux de tous les blanchiments. » Il ajoutait ceci : « Que visons-nous ? La France estime que certains territoires sont aujourd'hui défaillants dans leur contrôle bancaire : Antigua-et-Barbuda, les îles Caïmans, les îles Marshall, par exemple. » Rien de nouveau sous le soleil des Caraïbes !

Certes, si l'on est optimiste, on peut considérer, comme vous l'avez fait, que cet échange de renseignements en matière fiscale va dans le bon sens. Mais il faut aussi mesurer la timidité et les limites de ce type de convention. Le président de la commission des finances du Sénat a porté sur ces accords le jugement suivant : « Il y a un mouvement général de conventionnement, et même les paradis fiscaux conventionnent entre eux, mais cela ne nous dit pas que les pratiques changeront. » Il ajoutait cette remarque pleine de bon sens : « Il faut se garder de tout angélisme et nous devons rester vigilants. »

Le rapporteur de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, Loïc Bouvard, l'a reconnu avec honnêteté : « Pour la France, les bénéfices concrets – financiers – qu'elle peut en espérer sont impossibles à évaluer, de l'aveu même du Gouvernement. » Impossibles à évaluer, de l'aveu même du Gouvernement : il n'y a pas plus belle litote.

Revenons à la convention qui est soumise à notre examen. Mme la rapporteure a souligné l'importance des articles 1er, 3 et 5. Mais l'alinéa 3 de l'article 5, l'article 6 et l'article 7 montrent bien les limites de ces échanges de renseignements, qui sont soumis à une condition de compatibilité avec le droit interne de la partie requise. Vous l'avez bien dit : on « peut » enquêter sur ce territoire, mais à condition que le pays l'accepte. Ce n'est donc pas automatique.

Les intérêts français sont limités dans ce pays des Caraïbes : 108 nationaux sur une population de 86 000 habitants, nos principaux groupes étant d'ailleurs, pour l'anecdote, une boulangerie traiteur et une fabrique de yaourts. Ce n'est pas, loin de là, l'équivalent de la Suisse et de ses exilés fiscaux, pour lesquels on attend du Gouvernement des retombés concrètes et précises après les effets d'annonce et la liste noire de M. Woerth. Vous avez parlé de liste grise. Il y aussi des listes noires. Pour l'instant, on a beaucoup d'effets d'annonce, mais pas beaucoup de résultats dans ce domaine. Quant aux listes grises, si elles prolifèrent dans les Caraïbes, c'est peut-être aussi parce qu'il y a le rhum des Antilles, qui grise. (Sourires.)

On ne peut que reprendre, in fine, l'une des conclusions des travaux effectués par la mission d'information commune sur la délinquance fiscale, toujours en 2002 : « Cette attitude frileuse traduit en réalité la difficulté pour des pays transformés en place financière pour y puiser leur richesse de renoncer à des mécanismes protecteurs ou dérogatoires : secret bancaire, fiscalité inexistante pour les non-résidents. »

Le groupe SRC ne peut suivre le rapporteur en votant ce texte, même s'il est rappelé qu'il n'aurait qu'une valeur symbolique. Nous sommes trop loin des rodomontades du Président de la République, qui annonçait urbi et orbi, comme à Rome, la fin des paradis fiscaux, mais qui, en France, maintient le bouclier fiscal.

Pour terminer sur une note d'humour, peut-on espérer, monsieur le ministre, que l'éradication des paradis fiscaux interviendra avant 400 000 ans, quand M. Kerviel aura acquitté sa dette ? (Sourires.)

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