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Intervention de Guy Lefrand

Réunion du 13 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Article 25

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Lefrand :

C'est une véritable refondation de l'exercice de cette spécialité médicale qui s'impose. Peu d'éléments manquent encore pour aboutir, mais le point principal reste à traiter : celui de la nature et de la place de l'intervention en santé environnementale au travail.

Les modalités de l'exercice du médecin du travail, telles qu'elles se sont construites depuis une soixantaine d'années en entreprise, restent à auditer, non pas uniquement au plan quantitatif de la démographie médicale, cela a été fait, mais également au plan qualitatif, ce qui reste à faire.

À côté du rôle clinique, le rôle ergonomique du médecin du travail est également à discuter. Les difficultés de l'exercice de la médecine du travail sont, en effet, pour partie liées à une incompréhension de la place du médecin du travail dans la santé publique. C'est pourquoi la place de la médecine du travail dans la dynamique des soins et dans la recherche clinique est, à notre avis, à repenser.

De même, les futurs spécialistes devraient acquérir, lors de leur spécialisation, les outils nécessaires à l'action pluridisciplinaire en santé au travail ; jusqu'à présent, c'est loin d'être le cas.

Le retard accumulé par la France dans la mise en place d'une politique équilibrée de promotion de la santé des travailleurs au travail conforme à la directive de juin 1989 résulte de l'absence de gestion conjointe de ces deux problématiques de santé, individuelle et environnementale, traitées séparément alors qu'elles devraient l'être concomitamment. Il convient de tout faire pour que, à l'avenir, ces deux champs soient compris comme devant être abordés concomitamment.

Les difficultés que nous connaissons aujourd'hui, notamment dans la surveillance des risques professionnels par les médecins du travail, ne sont pas imputables qu'aux médecins, dont personne ne remet en cause la bonne volonté. Cependant, les modalités réglementaires d'organisation des surveillances médicales remontent à 1947, alors que celles qui imposent la présence du médecin sur les lieux de travail au titre du tiers temps ne datent que de 1979.

Cet aspect technico-ergonomique de la médecine du travail que l'on retrouve dans la santé au travail aurait plutôt dû nous conduire au recrutement de techniciens, d'ingénieurs, de toxicologues et autres, comme l'a tout à l'heure dit le ministre, dans les services médicaux du travail. Malheureusement, la mise en oeuvre de cette seconde action, pourtant obligatoire, a été mal comprise et beaucoup moins stricte.

Si le médecin est indépendant et seul responsable de son activité clinique du fait de sa compétence médicale, son action ergonomique et de prévention technique, à laquelle il est souvent très insuffisamment préparé, s'inscrit au sein d'un travail d'équipe pluridisciplinaire. Nous sommes heureux des amendements qui seront présentés à ce sujet.

Enfin, les réformes du début des années 2000 ont principalement porté sur le calendrier des visites, mais ont laissé de côté toute vraie réflexion sur la pratique clinique du médecin et sur la place des médecins dans une politique de santé collective d'inspiration ergonomique.

Nous devons donc, nous, les politiques, redéfinir le rôle des médecins du travail dans la santé au travail, et les nécessaires coopérations médicales et non-médicales en entreprise.

Dans cette optique, nous vous proposerons plusieurs amendements qui visent, notamment, à permettre aux internes de médecine du travail de remplacer les médecins du travail, mais également des amendements relatifs à la profession d'infirmières en santé au travail.

Dans ce contexte, nous aborderons également la place relative de chacun des acteurs de la santé au travail dans la promotion de la santé. Cette réflexion devrait nous permettre de transposer plus valablement qu'actuellement, le principe d'égalité de tous devant le droit à la prévention des risques sanitaires et environnementaux.

Je vais insister quelques instants sur un dispositif qui distingue la prévention médicale des risques d'un côté et le contrôle des aptitudes et des droits médicaux de l'autre. Vous le verrez, c'est très intéressant, puisque certaines de ces actions ont été mises en place par les socialistes dans les années 1980.

Si la situation est confuse dans le secteur privé, un même médecin pouvant statuer dans un même avis tantôt sur l'aptitude médicale, tantôt sur la compatibilité du travail avec la promotion de la santé, tantôt sur ces deux points de vue mélangés, il n'en est réglementairement pas de même dans la fonction publique. En effet, depuis 1982, la médecine de prévention attend du médecin qu'il formule à l'issue des surveillances qu'il réalise, un unique avis sur la compatibilité du travail avec la promotion de la santé des agents. Il serait intéressant de considérer cela en relation avec la durée des visites.

Les médecins de prévention sont habilités depuis près de trente ans à proposer aux partenaires sociaux une modulation des surveillances médicales en fonction des risques, les agents non exposés à des risques particuliers n'ayant qu'une obligation quinquennale de visite.

Par ailleurs, les textes en vigueur dans la fonction publique de l'État depuis la réforme de l'exercice de la médecine agréée en 1986, confient à des médecins généralistes agréés par le ministère de la santé le contrôle des aptitudes médicales à l'exercice des fonctions postulées ; le contrôle des aptitudes en cours de carrière leur incombe également. Or les exigences de formation des médecins agréés sont aujourd'hui largement insuffisantes pour remplir au mieux leurs missions médicales. Ils ne sont en effet soumis à aucune exigence de qualification, ni pour le contrôle médical, ni pour le contrôle et la formulation des avis d'aptitude médicale, sauf, depuis 2005 – merci, la droite –, pour l'emploi des personnes handicapées.

Il faudrait, malgré tout, que tout le monde s'accorde pour faire comprendre à tous que la physiologie et la pathologie devraient transcender les statuts d'emploi. Nous pourrions aussi utilement nous interroger sur la santé au travail des non salariés.

Nous aurons l'occasion de revenir sur un amendement que nous avons déposé à la suite des auditions du groupe de travail de Jean-François Copé visant à prendre en charge plus de deux millions de personnes qui ne sont actuellement pas prises en charge et à les intégrer dans une nouvelle forme d'organisation, avec l'arrivée de médecins non-spécialistes de médecine du travail mais formés et volontaires, et après signature d'une convention avec un service de santé au travail. Ce que vous avez proposé en 1986 pour la fonction publique, nous le proposerons donc pour des travailleurs salariés qui n'ont aucune couverture, et en faisant même davantage : en mettant cela sous le contrôle d'un service de santé au travail.

Je n'en doute évidemment pas, mes chers collègues : suivant vos grands ancêtres – Laurent Fabius ou Henri Emmanuelli –, vous aurez à coeur de voter avec nous ces amendements qui renforcent le rôle du médecin généraliste dans la prise en charge de la santé au travail.

S'agissant de l'organisation de la santé au travail dans le milieu privé, nous proposons de rénover le paritarisme des conseils d'administration en créant un vrai paritarisme entre les représentants des employeurs et ceux des salariés. Il s'agit, pour nous, d'une avancée importante, rendue nécessaire par l'évolution qui pousse les salariés à prendre chaque jour davantage leur place dans la gestion de leur santé, mais cela n'exonère bien évidemment pas les employeurs de leur responsabilité vis-à-vis de leurs salariés.

Si nos amendements sont adoptés, les services de santé au travail auront donc désormais une double obligation de certification et de contractualisation.

Mes chers collègues, j'aimerais vous avoir convaincus, avec ces éléments de réflexion, de la nécessité d'une profonde rénovation de la santé au travail. Les améliorations que nous vous proposons devraient rassembler les députés siégeant sur tous les bancs de cette assemblée. Refondation, paritarisme renforcé, suivi de travailleurs aujourd'hui complètement ignorés, gouvernance rénovée sont effectivement les maîtres mots des amendements qui vont maintenant vous être soumis. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

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