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Intervention de Fadela Amara

Réunion du 8 septembre 2010 à 15h15
Commission des affaires économiques

Fadela Amara, secrétaire d'état chargée de la politique de la ville :

Pendant longtemps, ces quartiers et leurs habitants ont été considérés comme étant en dehors de la République et traités comme tels, ce qui a créé la fracture que l'on sait. Mon parcours, mon expérience font que j'ai toujours rejeté cette vision. J'estime, par exemple, que le fait de ne pas avoir veillé à la sécurité des personnes les plus modestes était une erreur, conduisant à l'enkystement des trafics de drogue. Pour l'avoir intimement vécu, je sais combien il est difficile de récupérer un jeune lorsqu'il a basculé dans la délinquance et adopté une hiérarchie inversée des valeurs, dominée par l'argent.

C'est précisément parce que ces quartiers ne doivent pas être traités comme des territoires hors de la République que la mobilisation de tous est nécessaire. Certes, une politique de la ville doit être pérenne et durablement financée – je comprends maintenant combien cela était difficile pour mes prédécesseurs –, mais cela ne suffit pas. Elle doit reposer sur une dynamique partagée. Or je constate encore ça et là des inerties, des blocages, parfois même une mauvaise compréhension des enjeux du plan Espoir banlieues.

Notre objectif, car je crois que nous le partageons tous, est de réduire les écarts territoriaux en luttant contre les inégalités sociales. D'où la nécessité de concentrer tous les efforts sur les territoires les plus en difficulté, qu'ils soient urbains ou ruraux, monsieur Pérat. Cela suppose de réformer la géographie prioritaire. Les statistiques montrent que certains quartiers classés en ZUS se portent mieux, tandis que d'autres quartiers, qui ne bénéficiaient pas d'actions spécifiques, sont aujourd'hui en proie à la décomposition sociale. Afin que la géographie prioritaire soit la plus adéquate possible, il convient de revoir les critères adoptés en 1996, en y intégrant, par exemple, la part des jeunes de moins de 18 ans dans la population, une donnée non négligeable pour les finances d'une ville. Mais il n'est pas question d'abandonner qui que ce soit. Les quartiers qui se verront refuser le classement en ZUS seront accompagnés dans le cadre des contrats urbains de cohésion sociale – CUCS.

Dans mes précédentes fonctions associatives, j'étais très critique à l'égard des médias. Ceux-ci donnent, comme M. Brottes l'a expliqué, une image négative des quartiers. Mais si nous savons que les talents et les compétences ne font pas défaut à ces territoires, l'existence de discriminations rend difficile leur valorisation. En me nommant avec Rachida Dati et Rama Yade au Gouvernement, le Président de la République a envoyé un signal fort à leurs habitants. Que cela plaise ou non, il a participé à cette stratégie de communication que nous souhaitons voir se mettre en place, qui consiste à sortir les mentalités de l'enfermement, à ouvrir des perspectives politiques, à « déghettoïser » les esprits.

Cette « déghettoïsation » doit aussi se traduire dans l'espace, grâce à la rénovation urbaine, à l'ouverture de commerces de proximité, monsieur Gérard, et à l'extension des réseaux de transports publics. Les blocages auxquels se heurte le projet de débranchement du Tram-train T4 vers le plateau de Clichy-Montfermeil illustrent la difficulté de l'exercice : après avoir exhumé ce projet des cartons et obtenu un financement de l'État, il faut maintenant affronter les égoïsmes territoriaux et l'irresponsabilité de certains élus – je mesure mes mots –, prêts à empêcher la mise en place de cette desserte. Pourtant, j'en suis convaincue, monsieur Goldberg, si une antenne du T4 permettant de désenclaver ces communes avait existé en 2005, il n'y aurait pas eu d'émeutes au mois de septembre. Voilà la réalité !

La dynamique du plan Espoir banlieues et les programmes triennaux des ministères reposent sur la mise en oeuvre du droit commun. Certains de mes collègues du Gouvernement sont profondément motivés et se sont fortement investis – ainsi le ministre de l'éducation nationale. Mais nous sommes dans le même bateau « France » et nous devons compter avec des restrictions budgétaires, de l'ordre de 10 %. Croyez néanmoins que notre détermination est intacte pour assurer le succès du plan « réussite éducative », notamment. Car, sachez-le, celui-ci sera reconduit !

Cela étant, il faut que vous ayez conscience des obstacles auxquels nous nous heurtons. Tout le monde se récrie : « Nos écoles deviennent des ghettos ethniques ! » Cependant, lorsque nous avons voulu mettre en oeuvre le busing pour sortir les jeunes des cités de leur enfermement et organiser la mixité sociale, nous n'avons pu mener à terme que neuf des cinquante projets annoncés. Ce n'était pas un problème d'argent, mais ce dispositif, posant indirectement la question de la carte scolaire, suscitait des résistances idéologiques. C'est pourquoi j'insiste avec tant de force sur la nécessité d'une mobilisation de tous. Les compétences des régions, en matière de formation et de développement économique, m'intéressent par exemple particulièrement, pour aider les jeunes à entrer dans des processus d'insertion. Nous allons ainsi conclure avec la région Île-de-France un partenariat portant notamment sur le dispositif « deuxième chance ».

Quant au contrat autonomie, si souvent décrié, c'est une réussite : grâce à un accompagnement individuel de six mois, le jeune peut définir un projet professionnel et préparer son entrée dans le monde de l'entreprise. Son conseiller peut l'aider à travailler sur son histoire personnelle, à valoriser ses compétences, à affronter un entretien d'embauche. On aboutit à des résultats difficilement chiffrables, mais extrêmement importants. Un contrat autonomie, surtout s'il débouche sur un emploi, peut changer la destinée d'un jeune, lui faire découvrir d'autres perspectives que le repli communautaire, la revendication d'une non-appartenance à la France et le rejet de nos valeurs.

Je suis profondément convaincue que l'on ne peut rien bâtir sur le chaos et que l'ordre républicain est émancipateur. Le rétablir dans les quartiers est la condition de la réussite des dispositifs. Cela suppose bien sûr une présence policière, mais aussi l'amélioration des rapports entre policiers et habitants. Avec Brice Hortefeux, nous avons donc installé, dans le cadre de la réserve civile, des délégués à la cohésion dont la mission est d'apaiser les tensions. Leur action commence à porter ses fruits.

À ce propos, M. Reynier m'a interrogée sur le documentaire La Cité du mâle, qui rend parfaitement compte de la dure réalité des rapports entre garçons et filles dans les quartiers. Sa déprogrammation par Arte me scandalise, certes, mais les raisons qui ont poussé la chaîne à cette décision – la « fixeuse » aurait reçu des menaces – semblent parfaitement recevables lorsque l'on connaît la capacité de représailles de certains individus de ces quartiers. Le travail de notre police est donc d'autant plus essentiel.

La dynamique engagée est réelle, comme le prouve l'annonce par le Premier ministre d'expérimentations sur cinquante sites – agglomérations ou villes. Certes, les moyens sont comptés et c'est aussi pourquoi je me bats au sein du Gouvernement en faveur d'un renforcement des politiques de droit commun et pour convaincre l'éducation nationale de ne pas se désengager des territoires prioritaires, ce qui ruinerait nos efforts. Ainsi les expérimentations « Cours le matin, sport l'après-midi », lancées dans les établissements scolaires à la rentrée, sont inspirées d'une préconisation du secrétariat d'État. Nous avons voulu, là encore, défendre une politique qui réponde aux besoins du terrain, et qui soit non seulement active, mais aussi réactive.

Il est certain que le budget dont je dispose est très insuffisant pour régler tous les problèmes sur tous les territoires couverts par la politique de la ville. C'est la raison pour laquelle j'estime nécessaire la mobilisation de tous – État et collectivités territoriales. Si la fracture devait s'aggraver et qu'une explosion sociale se produisait demain, le pays entier serait touché. La politique de la ville est l'affaire de tous, bien au-delà des appartenances politiques.

Elle est d'abord celle des habitants. Lors de mes déplacements sur le terrain, j'interpelle la population, l'invitant à prendre part à la vie de la cité, insistant sur la nécessité d'une démocratie participative plus juste, plus fine et plus forte – et à laquelle la politique de la ville n'a d'ailleurs qu'à gagner. Personne dans notre pays ne doit se sentir abandonné. Chacun doit se sentir considéré comme citoyen, en premier lieu par les élus. Comme l'a déclaré le président de la République : « Il faut donner plus à ceux qui ont moins ». Tel est le sens de la dynamique Espoir banlieues. Nous devons continuer sur cette voie.

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