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Intervention de Sandrine Mazetier

Réunion du 8 septembre 2010 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mazetier :

Monsieur le ministre, l'adhésion aux principes et aux valeurs essentielles de la République vaut-elle seulement pour les candidats à la naturalisation ou pour tous les citoyens, à commencer par le garant de nos institutions qu'est le Président de la République ? L'article 1er de la Constitution ne dispose-t-il pas que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » ? À ce propos, je voudrais que vous m'expliquiez les conclusions du séminaire gouvernemental du 8 février 2010 sur l'identité nationale, qui faisait de la nationalité française un élément de la politique pénale.

Plus généralement, le projet de loi signe un échec flagrant : en matière d'immigration comme de sécurité, les textes se sont enchaînés ; on en est ainsi au sixième depuis 2002. Un tel prurit législatif marque l'échec de votre politique – vous avez vous-même fait état des résultats catastrophiques s'agissant des reconduites effectives à la frontière. Quand la gauche était aux responsabilités, plus de 60 % des reconduites étaient effectuées car l'État de droit était respecté : nous n'avions pas à contourner le juge des libertés et de la détention, comme vous tentez de le faire avec le texte, lequel tire prétexte de la transposition de trois directives.

Au moment de l'adoption de la dernière d'entre elles, la « directive retour », votre prédécesseur, M. Hortefeux, avait indiqué : « En France, il n'est pas question de modifier la durée maximale de la rétention », à savoir 32 jours en théorie et 12 jours en pratique. La parole d'un ministre devant la représentation nationale ne vaut visiblement pas grand-chose pour vous, puisque vous vous apprêtez à allonger la durée de la rétention, en contradiction avec tous les engagements pris.

« Le texte », déclarait-il également, « traite ensuite de l'interdiction de retour de cinq ans qui pourrait être opposée aux personnes reconduites. Avec mes collègues Kouchner et Jouyet, nous avons obtenu que cette durée puisse être diminuée voire supprimée. Je le dis sans détours : la France n'est pas favorable à des politiques de bannissement. » Est-ce la parole de la France et du Gouvernement qui a des valeurs différentes selon les périodes, ou les vérités qui changent d'un ministre à l'autre ? Mentir à la représentation nationale ou bafouer la signature de la France, cela relève-t-il à vos yeux de la haute trahison, voire de la déchéance de nationalité ?

Le 17 juin 2008, Brice Hortefeux déclarait : « La directive traite de la situation des enfants mineurs isolés sans papiers. Contrairement à certains pays, la France ne les renvoie pas dans leur pays d'origine. Le projet de directive vise à atténuer cette possibilité en exigeant des garanties mais, là non plus, cela ne change rien pour la France. » En réalité, la directive prévoit que la rétention ne soit pas obligatoire, que la liberté reste la règle et sa privation l'exception. Or, vous vous apprêtez à la rendre systématique et à en allonger la durée.

S'agissant des garanties procédurales, vous nous avez expliqué que, pour un étranger susceptible d'être éloigné, le recours serait suspensif. Pourtant, rien n'est apparemment prévu à ce sujet dans les articles du projet de loi.

La « directive retour » ne traite nullement des contentieux relatifs aux mesures d'éloignement : c'est le Gouvernement et lui seul qui, au prétexte de la transposer, entend bouleverser le système actuel de fond en comble. Je ne reviendrai pas sur vos chiffres, mais le fait est que le respect de l'État de droit donne de meilleurs résultats judiciaires pour l'administration : vous devriez vous interroger sur ce point. Les expulsions de groupes auxquelles nous avons assisté à la fin de l'été ont été emblématiques de l'irrespect des droits fondamentaux de chacun.

S'agissant des zones d'attente, en quoi sont-elles « temporaires », alors que le projet de loi ne dit rien de leur durée ? Qu'est-ce qui justifie, dans l'histoire récente, l'existence de ces dispositifs d'urgence, sinon l'arrivée, sur les rivages corses, d'un groupe important de Kurdes fuyant manifestement des persécutions ? Pourquoi ne vous saisissez-vous toujours pas de la « directive protection temporaire » qui accorde une protection et des droits à ces personnes, alors que vous avez tiré argument de la situation ?

Quant à la transposition de la « directive sanctions », je m'étonne que votre texte ne comporte aucune disposition claire pour lutter contre l'immigration irrégulière et le travail dissimulé. Le recours à une main-d'oeuvre en situation d'extrême précarité est devenu structurel dans certains secteurs d'activité, et ce depuis de nombreuses années. Votre curiosité me semble bien sélective.

Par ailleurs, quelle valeur juridique accordez-vous à l'addendum au guide des bonnes pratiques, lui-même adjoint à la circulaire du 24 novembre 2009 ? Ce texte constitue la base pour la régularisation des travailleurs sans papiers, qui ont obtenu une ouverture le 18 juin dernier après deux années de grève. Pourquoi n'avez-vous pas saisi l'occasion de ce projet de loi pour énoncer des critères de régularisation clairs ? Ces régularisations s'effectuent aujourd'hui dans la plus complète opacité, selon l'appréciation discrétionnaire des préfets : d'un département à l'autre, des personnes dans la même situation sont régularisées et d'autres non. Est-il supportable que la délivrance des titres de séjour dans notre République se fasse à la tête du client ou en fonction des consignes du ministère ?

Vous prétendez lutter contre l'immigration clandestine. Mais quelles mesures réellement nouvelles proposez-vous ? Comment votre texte entend-il combattre la traite des êtres humains ? Il ne contient pas un seul article sur les trafiquants ou les filières mafieuses, qui pourtant existent bel et bien : pourquoi ne sont-elles pas sanctionnées pour ce qu'elles font, et non pour d'autres motifs ? Nous ferons des propositions sur ce point.

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