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Intervention de Francis Vercamer

Réunion du 7 septembre 2010 à 21h30
Réforme des retraites — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrancis Vercamer :

Pour le groupe Nouveau Centre, il existe d'autres réponses au problème de la pénibilité. L'amélioration des conditions de travail, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la construction de parcours professionnels permettant d'envisager de véritables deuxièmes carrières, avec une meilleure gestion des âges dans l'entreprise : autant de pistes qui n'ont pas été beaucoup évoquées ces dernières semaines, alors qu'elles constituent de véritables moyens de réduire l'usure professionnelle – qui devrait être notre objectif – ou de mieux la prendre en compte.

Nous avancerons, pour notre part, un certain nombre de propositions destinées à mieux prévenir les situations de pénibilité au travail. Nous souhaitons ainsi que, dans les entreprises, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail puisse élargir le champ de ses missions à ce sujet. Nous proposerons également de réaffirmer la responsabilité des employeurs en matière de prévention de la pénibilité. L'un de nos amendements vise à préciser les missions des services de santé au travail. Dans la même logique, nous souhaitons que les branches professionnelles soient davantage impliquées dans la conclusion d'accords sur l'amélioration des conditions de travail, en vue de réduire autant que possible l'exposition des salariés à des facteurs de pénibilité.

La mobilisation des employeurs et des représentants des salariés en faveur de l'amélioration des conditions de travail est en effet, dans l'entreprise, un vecteur d'innovation et de cohésion bien plus efficace que le mécanisme de la faute inexcusable. Celle-ci est constatée dès lors que l'employeur, en dépit de sa responsabilité en matière de protection de la santé des salariés, n'a pas mis en oeuvre les mesures de prévention et de protection utiles pour parer aux dangers auxquels le salarié est exposé dans le cadre de sa situation de travail. Au sein des entreprises, des politiques actives de prévention et d'amélioration des conditions de travail sont donc indispensables pour écarter le risque pénal. L'incitation à la conclusion d'accords collectifs sur ce thème contribuerait à accroître la sécurité juridique, tout en réaffirmant le principe de la responsabilité de l'employeur.

Enfin, il nous semble essentiel que, au sein du comité de pilotage des retraites, l'observatoire des pénibilités du Comité d'orientation des conditions de travail puisse être missionné sur la question de la pénibilité et de sa prise en compte dans le cadre de l'accès à la retraite, ainsi que sur la question des maladies professionnelles provoquées par les risques différés.

Évoquer la prévention ne signifie pas esquiver la question de la réparation. Oui, nous pensons qu'il est juste de prendre en compte les effets de l'usure professionnelle. Le projet de loi, il faut le rappeler, introduit cette notion et constitue, à cet égard, une avancée au regard du droit existant. Toutefois, le groupe Nouveau Centre estime que le Gouvernement peut aller plus loin et qu'il existe, sur la question de la compensation de la pénibilité, une marge de progression.

Nous voulons traiter le sujet de la pénibilité avec générosité et responsabilité. Responsabilité, car nous ne pouvons nous permettre de donner à cette notion une définition qui serait trop extensive parce que trop subjective, chacun ayant à un moment ou à un autre une bonne raison de penser que son métier est pénible. En outre, nous gardons à l'esprit qu'il est difficile de parvenir à l'équilibre du financement de notre système de retraite ; or, le projet de réforme doit obéir à une exigence de soutenabilité financière.

Générosité, car il nous paraît difficile de se limiter à un système de prise en compte de la pénibilité fondé uniquement sur les effets constatés de l'usure professionnelle et l'incapacité dont est frappé le salarié. Ce dispositif supposerait en effet que le salarié soit déjà atteint par la maladie pour bénéficier d'un départ anticipé à la retraite.

Certes, le dispositif des carrières longues peut être considéré comme une réponse complémentaire à la question de la pénibilité. Il ouvre en effet, depuis 2003, un accès anticipé à la retraite à des personnes ayant commencé à exercer très jeunes des métiers ne nécessitant pas, le plus souvent, de formation préalable, et pour beaucoup pénibles. Le Gouvernement a décidé de prolonger ce dispositif et de l'élargir aux assurés ayant entamé leur parcours professionnel à dix-sept ans. Nous nous félicitons de cette mesure, même si nous souhaitons que, sur ce point aussi, la réflexion se poursuive, afin que le dispositif soit étendu aux personnes ayant commencé à travailler à partir de dix-huit ans, et ce pour mieux tenir compte du report de deux ans de l'âge légal de départ à la retraite.

Néanmoins, le seul dispositif des carrières longues ne permet pas d'appréhender l'ensemble des situations de pénibilité au travail justifiant une éventuelle cessation anticipée d'activité. Il ne constitue pas, par exemple, une réponse à l'exposition de salariés à des produits toxiques et aux risques de maladies à effets différés. C'est pourquoi nous souhaitons aller plus loin en matière de compensation de la pénibilité.

Le Gouvernement propose, dans le cadre de cette réforme, une compensation de la pénibilité au regard des effets constatés de celle-ci. Le groupe Nouveau Centre estime, quant à lui, qu'il serait certes plus difficile, mais aussi plus juste de prendre en compte la pénibilité au regard des causes qui la provoquent. En effet, nous jugeons nécessaire de prendre en compte les effets différés des situations de pénibilité, qui altèrent significativement la santé des salariés plusieurs années après qu'ils ont quitté leur poste de travail. Pourraient ainsi bénéficier d'un départ anticipé à la retraite les salariés exposés pendant un certain nombre d'années à un ou plusieurs facteurs de pénibilité susceptibles de porter fortement atteinte à leur espérance de vie en bonne santé. Les modalités devront bien sûr être précisées, soit par décret, soit par les branches professionnelles elles-mêmes.

Ce dispositif suppose, dans un premier temps, de déterminer les critères de pénibilité. Au cours des négociations entamées sur la pénibilité, les partenaires sociaux ont isolé trois grands types de facteurs susceptibles de concourir à l'usure d'un salarié dans le cadre de l'exercice de sa profession, qui ont été mis en relief par les enquêtes de surveillance médicale des risques professionnels – SUMER.

Ces trois types de facteurs sont les suivants : l'existence sur le long terme de contraintes physiques – le port de charges lourdes, les contraintes de posture, l'agressivité de l'environnement de travail : bruit, froid, chaleur, intempéries ; le rythme de travail : horaires décalés ou atypiques, travail posté ou à la chaîne, travail de nuit, dont le Conseil économique, social et environnemental a décrit les effets à long terme, tant en termes de maladies cardio-vasculaires que de risque de cancers ; l'exposition à des produits toxiques, en particulier aux CMR – produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.

Ce dispositif implique, dans un deuxième temps, que la notion de pénibilité soit clairement identifiée sur le plan juridique. En effet, il n'existe pas de définition juridique de la pénibilité. Or, il nous semble qu'une telle définition est essentielle si le Parlement veut poser, dans ce projet de loi, le principe selon lequel des droits spécifiques peuvent être attachés à cette notion, sans laisser la jurisprudence s'en saisir au fil du temps.

Le groupe Nouveau Centre a effectué, comme vous tous ici, un travail préalable de fond sur la pénibilité, en rencontrant les partenaires sociaux et en débattant de cette question. Pour nous, la pénibilité au travail s'entend comme l'usure physique ou psychique du salarié confronté, dans le cadre professionnel, à des contraintes telles qu'elles provoquent des atteintes mesurables, durables et irréversibles à son état de santé et à son espérance de vie sans incapacité.

En proposant cette définition, nous mesurons bien toute la difficulté qu'il y a à évaluer avec précision la notion d'usure psychique. Du reste, toute mesure de la pénibilité est délicate, puisque interfèrent des éléments liés aux sujétions propres à une profession et des éléments liés à chaque individu et à son parcours personnel.

Si la mesure de ce phénomène est délicate mais envisageable pour la pénibilité physique au regard des critères d'ores et déjà repérés et des travaux effectués par la communauté scientifique, elle reste difficile pour l'usure professionnelle lorsqu'elle est d'ordre psychique. Toutefois, nous pensons que la prise en compte de l'usure psychique est un cap qui doit continuer à guider l'action des pouvoirs publics, eu égard à l'importance et à la croissance des problématiques liées aux risques psychosociaux dans notre société.

Sur ce point, le secteur de l'économie sociale a apporté, cet été, une nouvelle démonstration de sa capacité à innover, en concluant un accord sur la prévention de ces risques. Certes, cet accord relève du champ de la prévention : l'objectif est de mettre en oeuvre des actions de sensibilisation adaptées au secteur de l'économie sociale et d'identifier les publics prioritaires visés par ces actions. Mais les organisations d'employeurs et les syndicats de salariés du secteur de l'économie sociale sont parvenus à formaliser une définition des risques psychosociaux et à établir une liste de situations professionnelles susceptibles de les engendrer.

Ce faisant, le secteur de l'économie sociale nous permet de progresser dans le sens d'une meilleure appréhension des risques psychosociaux et fait la démonstration qu'il est possible de mettre en oeuvre, dans le cadre du dialogue social, des démarches très actives afin de mieux traiter ces risques nouveaux. C'est ce qui nous incite à laisser ouverte, pour l'avenir, la porte d'une reconnaissance de la dimension psychique de l'usure professionnelle liée à la pénibilité.

En tout état de cause, nous vous proposerons d'inscrire la définition de la pénibilité dans notre droit positif, en présentant deux amendements en ce sens.

Pour une meilleure prise en compte de la pénibilité au travail dans le cadre de l'accès à la retraite, notre groupe souhaitait proposer que la condition d'âge pour faire valoir ses droits à la retraite prenne en compte l'exposition des salariés à des facteurs de pénibilité. Nous avions également suggéré que puisse être examinée la situation des personnes handicapées exposées dans le cadre de leur activité professionnelle à des conditions de travail pénibles. Hélas, nos amendements ont été déclarés irrecevables au titre de l'article 40.

Le groupe Nouveau Centre proposera, enfin, que des accords de branche puissent prévoir des modalités de cessation anticipée d'activité pour les salariés exposés à des facteurs de pénibilité. Ces dispositifs de cessation anticipée d'activité seraient, dans ce cadre, financés par un fonds alimenté par les cotisations des entreprises de la branche, dans une logique de mutualisation mais aussi de responsabilisation des branches en matière d'amélioration des conditions de travail.

Le Nouveau Centre sera également attentif, au cours de ce débat, aux dispositions concernant la traçabilité de l'exposition des salariés à des conditions de travail pénibles.

Nous avancerons des propositions garantissant la confidentialité du document établi par l'employeur, dont les informations ne doivent pas pouvoir justifier le refus d'embauche d'un salarié à l'occasion d'un recrutement ultérieur.

Nous formulerons également un certain nombre de propositions pour mieux articuler l'existence de ce document avec les documents d'exposition aux risques professionnels d'ores et déjà existants.

Se saisir du sujet de la pénibilité au travail, c'est, enfin, poser la question de la place des services de santé au travail, qui ont un vrai rôle à jouer dans l'accompagnement du salarié. Pourtant, on le sait, ces services de santé au travail sont aujourd'hui confrontés à des enjeux dont la résolution s'affirme de plus en plus nécessaire – j'ai rédigé à ce sujet un rapport pour avis dans le cadre de la mission « Travail » du projet de loi de finances pour 2010.

L'enjeu est démographique, avec une diminution continue du nombre de médecins du travail, qui devrait s'accentuer dans les années qui viennent en raison de nombreux départs en retraite. L'enjeu est également médical, en raison du nombre de salariés suivis en moyenne par un médecin du travail – 1 486 salariés dans les services dits autonomes, 2 989 salariés dans les services interentreprises. Comment, dans ces conditions, suivre correctement certains salariés affectés de pathologies difficiles à détecter, notamment dans le cadre des risques psychosociaux ? Comment se former pour mieux appréhender les signes permettant de détecter de nouvelles pathologies ? Comment assurer un temps de travail significatif pour l'indispensable prévention ? L'urgence d'une réforme des services de santé au travail s'impose avec d'autant plus d'acuité qu'elle est un préalable incontournable à la mise en place d'un dispositif global d'amélioration des conditions de travail dans l'entreprise, afin de mieux prendre en compte les phénomènes de pénibilité.

Cette réforme passe par une meilleure attractivité du métier de médecin du travail,…

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