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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 31 août 2010 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Au nom du groupe SRC, je vous souhaite, madame, la bienvenue. Nous portons un intérêt tout particulier à votre audition, à trois titres.

Nous nous félicitons de pouvoir, enfin, entendre une impétrante à la fonction de membre du Conseil constitutionnel -en mars dernier, chacune des trois autorités ayant pouvoir de nomination avait proposé un homme. Dès lors que la parité est un objectif à valeur constitutionnelle inscrit à l'article premier de notre Constitution, il serait incompréhensible que cette exigence ne s'applique pas à un organe précisément chargé de la défendre. Si elle est confirmée, votre candidature constituera un pas heureux dans la bonne direction.

Nous nous félicitons également que vous ne soyez pas, madame, une ancienne ministre. Bien que le Conseil constitutionnel ait coutume de dire « qu'il ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation identique à celui du Parlement », de fait, depuis la fin des années 70, cette marge d'appréciation a tendance à se réduire. Si avoir un passé d'élu ne doit certes pas interdire de siéger au Conseil constitutionnel, tout est affaire de mesure. Or, le passé fourmille de trop d'exemples où les nominations s'expliquaient essentiellement par le souhait de récompenser des fidélités ou d'offrir des portes de sortie honorables. Le résultat en est une composition aujourd'hui déséquilibrée du Conseil. Six membres sur onze sont d'anciens parlementaires, tous issus de la majorité actuelle. Nous voulons voir dans le choix de Bernard Accoyer un signe que ces temps sont révolus. Il y va de l'intérêt du Conseil comme des justiciables.

Enfin, il n'est pas anodin que vous soyez juriste. Depuis le 1ermars en effet, le Conseil constitutionnel a entamé une mue qui l'amènera à remplir les fonctions d'une véritable cour constitutionnelle. Il détient maintenant le pouvoir d'abroger une loi, ce qui avait été refusé à toute instance de ce type depuis la Révolution de 1789. Il ne se contente plus de trancher des questions abstraites dans la continuité du débat parlementaire, avec pour seul pouvoir d'empêcher la promulgation de tout ou partie d'une loi. Il peut désormais être saisi d'une loi en vigueur, parfois depuis longtemps et qui a déjà produit des effets, et peut l'abroger. Dans le premier cas, l'avis du Conseil est un élément du processus législatif. Son verdict est nécessairement politique, mais il n'est pas à proprement parler une juridiction, au mieux une instance d'arbitrage juridique entre majorité et opposition. Dans le second cas, il est une véritable juridiction, intervenant dans le cadre d'une procédure juridictionnelle, dont l'issue dépend de sa décision. C'est d'ailleurs pourquoi, comme l'a souligné la Cour européenne des droits de l'homme depuis son arrêt Ruiz-Mateos du 23 juin 1993, toutes les cours constitutionnelles, dès lors que le résultat de leurs décisions peut influer sur l'issue d'un litige débattu devant des juridictions ordinaires, doivent respecter les standards internationaux en matière de procès équitable, notamment le respect d'une procédure contradictoire. D'où l'importance de la qualité des hommes et des femmes qui forment ce juge constitutionnel.

Si les décisions des cours constitutionnelles sont toujours très politiques, leur dimension technique est nécessairement beaucoup plus marquée quand elles interviennent dans le cours d'instances judiciaires et portent sur du droit vivant. Vous êtes, madame, magistrate et siégiez déjà dans une juridiction : ce sont en l'espèce pour nous des qualités.

Une remarque de forme maintenant sur l'organisation de cette audition. Le fonctionnement du Conseil constitutionnel est régi par une ordonnance de 1958. Il ressort de ses articles 10 et 11 qu'en cas de démission ou « lorsqu'une incapacité physique permanente empêche définitivement les membres du conseil d'exercer leurs fonctions », le remplacement doit s'effectuer dans les huit jours. Un décès entre incontestablement dans cette catégorie. C'est d'ailleurs cette règle qui fut appliquée lors de la disparition d'Etienne Dailly et de Marcel Rudloff en 1996, comme après la démission de Roland Dumas en 2000. La révision constitutionnelle de 2008 n'a rien changé à cette prescription, non plus que la récente loi organique relative à l'article 13. Je me félicite au passage que le Conseil, dans sa décision du 12 juillet dernier, ait validé l'interprétation de l'Assemblée sur la délicate question de la délégation de vote. Nous aurions, aux termes de l'ordonnance de 1958, dû procéder à cette audition avant le 30 juillet. Je regrette ce mois de retard et cette légèreté dans l'interprétation de l'ordonnance, qui risque d'avoir créé une jurisprudence.

A ce mal, il est toutefois un bien. Cela nous a permis de mieux préparer cette audition. Notre groupe l'a fait dans la conviction que le Conseil constitutionnel doit continuer de changer. Je dis « continuer » car depuis le début de la présidence de Jean-Louis Debré, des progrès substantiels ont eu lieu. Les améliorations sont nettes dans le domaine de la procédure, de la conduite des débats, de la préparation des décisions. Si on est encore loin d'un fonctionnement exemplaire, au moins va-t-on dans le bon sens. Ce satisfecit ne vaut néanmoins pas pour le contenu des décisions : nous considérons toujours que celle du 21 février 2008 sur la rétention de sûreté fut un mauvais coup contre un État qui se veut de droit.

Le principe de l'audition des personnalités pressenties participe des progrès en cours. Nous avons pris la liberté de vous adresser la semaine dernière la trame de nos questions dans lesquelles il n'y a nul piège, nulle volonté de vous mettre en difficulté, simplement le souci que ce moment soit un rendez-vous utile au Conseil constitutionnel et donc profitable à un fonctionnement apaisé de nos institutions.

J'en viens à ces questions. La France a signé la convention européenne sur la nationalité de 1997, laquelle dispose que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité sauf en cas de comportement portant un préjudice grave aux intérêts essentiels de l'État », ce qui signifie qu'on ne peut déchoir une personne de sa nationalité pour des cas de droit pénal général. Notre pays n'a toutefois pas ratifié cette convention. Quelle est, pour vous, la valeur juridique de cette convention signée mais non ratifiée ?

Dans une décision du 16 juillet 1996, le Conseil constitutionnel a autorisé la déchéance de nationalité pour faits de terrorisme. Il a justifié le caractère exceptionnel de la mesure et rappelé dans ses considérants « qu'au regard du droit de la nationalité, les personnes ayant acquis la nationalité française et celles auxquelles la nationalité française a été attribuée à leur naissance sont dans la même situation. » Au vu de cette jurisprudence, pensez-vous que demain un texte puisse revenir sur le mécanisme de la déchéance de nationalité sans que la Constitution ait été modifiée ?

La Cour des comptes dénonce régulièrement l'insincérité du budget de l'État, concernant notamment l'estimation des dépenses de certains programmes et missions. Or, le Conseil constitutionnel n'a jamais fait référence à aucun rapport de la Cour alors que ce pourrait être le moyen de sanctionner des situations contestables sur le plan constitutionnel. D'aucuns ont d'ailleurs souligné ce manque total de coordination entre les deux institutions. Pensez-vous qu'elles pourraient travailler ensemble et si oui, comment, notamment en matière de contrôle budgétaire ?

Même si le Conseil constitutionnel n'est pas juge des faits, pensez-vous que sa jurisprudence soit assez explicite ? Le droit anglo-saxon dit que « la justice doit non seulement être rendue, mais perçue comme rendue. » La jurisprudence du Conseil vous paraît-elle répondre à cette exigence ?

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