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Intervention de Jean-Pierre Jouyet

Réunion du 13 juillet 2010 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Pierre Jouyet :

Pourquoi notre endettement est-il surveillé, et non celui du Japon ? C'est que la dette japonaise est intérieure : ce sont les Japonais qui détiennent leur propre dette et leur taux d'épargne est très fort. Les Français ne finançant pas notre dette, nous sommes plus dépendants de l'extérieur. Cela fait longtemps que nous nous tournons vers les marchés pour nous financer, et nous le faisons d'ailleurs avec beaucoup de talent et de professionnalisme – je le dis d'autant plus facilement que je n'exerce plus de responsabilités au sein du Trésor. C'est ce qui nous permet aujourd'hui de limiter nos spreads.

Vous avez raison, monsieur Labaune, en ce qui concerne le stop and go. Il faut l'éviter. Si le creusement des déficits et de la dette permettait d'obtenir de la croissance, on le saurait depuis trente ou quarante ans, car ce type de sport a été beaucoup pratiqué. Mieux vaudrait se mettre d'accord, au plan politique, sur un rythme de décélération qui permettrait de ne pas mettre en danger le minimum de croissance dont nous avons besoin. Les deux ou trois années qui viennent vont indéniablement être difficiles, mais nous devons nous efforcer de procurer de la visibilité aux acteurs et d'amortir les évolutions.

S'agissant de l'inflation, les Allemands n'accepteront jamais un taux de 4, 5 ou 6 %, comme je l'ai indiqué à M. Myard.

Je ne crois pas au risque déflationniste, monsieur Garrigue. Le prix des actifs, aussi bien immobiliers que financiers, se maintient. Nous devons apporter de la prévisibilité et favoriser la confiance : dans ce but, le secteur public doit réduire son déficit et sa dette. Les comportements des acteurs privés sont en effet très prudents, voire peureux, en Europe. Notre atout est d'être un fantastique bassin d'épargne – nous n'avons pas à rougir devant le Japon à cet égard –, mais cette épargne n'est pas mobilisée. La part des dépôts liquides n'a jamais été aussi élevée qu'aujourd'hui. Les gens ont peur, et il faut répondre à cette anxiété.

Le « paquet » adopté par les États-Unis comporte trois progrès. Il instaure, tout d'abord, une protection du consommateur et de l'épargnant qui était inexistante jusque là. Quoi qu'on en pense à Paris, il renforce également la distinction entre les activités bancaires de nature commerciale et de crédit et les activités de marché. De notre côté, il ne faudrait pas attendre deux ans pour nous demander si ce n'est pas une si mauvaise idée, comme nous l'avons fait pour les stress tests. Enfin, les États-Unis sont en avance sur nous dans le domaine des marchés grâce au développement des chambres de compensation, à la surveillance des transactions et à l'encadrement des ventes à découvert.

En ce qui concerne la procédure de codécision, ce ne sont pas les Britanniques qui créent un blocage au Parlement européen, même si la commission des affaires économiques et monétaires y est présidée par une Britannique. Les Français et les Allemands s'entendent assez bien au Parlement européen, qui fait plutôt avancer la situation malgré quelques excès, auxquels les représentants français ne sont pas toujours étrangers. Les retards sont surtout liés à la difficulté des relations entre le Parlement et le Conseil. J'observe, au passage, que les Britanniques pèsent davantage au Conseil qu'au Parlement.

Il ne me semble pas qu'une taxation sur les activités des marchés freinera beaucoup la spéculation. En revanche, elle peut rapporter de l'argent – c'est précisément le but de la fiscalité. Il est normal que les assiettes évoluent : nous avons connu des taxes sur les portes et les fenêtres, mais aussi sur le sel, puis la taxation du revenu a été instaurée après la Première guerre mondiale ; on a ensuite créé la TVA pendant les Trente glorieuses compte tenu de l'augmentation de la consommation. L'industrie financière se développant aujourd'hui, en particulier les activités de marché, c'est un gisement fiscal que nous devons exploiter...

La relation franco-allemande reste la pierre angulaire de la politique européenne. La première raison est que la France et l'Allemagne sont deux pays très importants en Europe. Je ne crois pas que l'élargissement soit le facteur qui ait le plus changé l'attitude de l'Allemagne par rapport à l'Europe, même s'il est vrai que ce pays aujourd'hui a moins besoin d'elle qu'hier. Quant à l'attitude de la France, elle varie au gré des circonstances, comme vous l'avez rappelé. Une deuxième raison tient à la puissance relativement inférieure des autres pays : les pays capables de contrebalancer la France et l'Allemagne sont moins en position de le faire aujourd'hui qu'hier. La situation économique du Royaume-Uni s'est dégradée, et ce pays expérimente aujourd'hui une coalition politique dont il n'a pas l'habitude. L'influence de l'Italie, qui était une des poutres maîtresses de la construction européenne, a décliné. L'Espagne traverse aujourd'hui des difficultés, même si elle rebondira. Quant à la Pologne, c'est un peu pays encore peu visible, même si cela pourrait changer à l'avenir.

La question des bases du partenariat franco-allemand est essentielle. Il faudrait passer de la coopération traditionnelle à une concertation plus régulière. Nous avons besoin d'un équivalent franco-allemand du Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) pour éviter que les dossiers remontent systématiquement au niveau des chefs d'État et de gouvernement dans les domaines techniques, et nous avons également besoin de projets franco-allemands en matière de recherche, d'innovation et de formation. Des terrains d'entente sont, en outre, possibles en matière économique et financière, comme dans le domaine de la politique extérieure. On pourrait notamment envisager de renforcer la reconnaissance internationale de l'Allemagne. J'ai été très frappé par ce qu'a dit le Président de la République à propos du Conseil de Sécurité de l'ONU. Il faut voir comment on peut négocier avec les Allemands sur ce sujet.

Les Chinois souhaitent une parité qui ne les gêne pas trop en termes d'ajustement et de croissance au niveau interne, et qui ne fasse pas souffrir leur modèle de croissance en termes de compétitivité, car il est en grande partie fondé sur les exportations. Ils se calent donc sur les États-Unis. Le yuan est aujourd'hui sous-évalué, mais ceux qui investissent en Chine n'ont aucun intérêt à ce que de fortes tensions sociales se produisent – ce n'est l'intérêt de personne –, ni à ce qu'il y ait une réévaluation trop rapide.

S'agissant de la création d'une agence européenne de notation, je suis du même avis que M. Clément, qui a parlé d'or : cela nous coûterait très cher pour un résultat bien modeste. Il serait préférable d'ouvrir le jeu à d'autres agences, bien que cette industrie, reposant sur un haut niveau de valeur ajoutée, soit très capitalistique – c'est pour cette raison qu'il n'existe aujourd'hui que trois agences de notation, voire deux et demi, si j'ose dire. Il faudrait, en outre, se montrer sans pitié à l'égard des conflits d'intérêts. Le gendarme européen que j'appelle de mes voeux devra porter une attention particulière à cette question, ainsi qu'aux changements de méthode des agences de notation – il n'est pas normal qu'elles s'appuient un jour sur les marchés, et un autre sur les fondamentaux.

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