Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Marc Roubaud

Réunion du 7 juillet 2010 à 11h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Roubaud, président de la mission :

De l'empire ottoman au XXIème siècle, la Turquie a toujours compté. La réaction turque aux récents événements au large de Gaza pose une nouvelle fois la question du sens et de la portée qu'il convient d'attribuer aux développements actuels de la politique étrangère turque.

Parce qu'elle a connu dans ces dernières années des évolutions marquantes, inattendues voire spectaculaires, la diplomatie turque est l'objet de toutes les attentions - diplomatiques comme universitaires.

Ce constat d'une Turquie à la recherche d'une nouvelle place sur la scène internationale a convaincu, il y a un an, la commission des affaires étrangères de créer une mission d'information, pluraliste et composée de douze membres, sur cette question. Pour mener à bien cette tâche ardue, la Mission a réalisé une vingtaine d'auditions et s'est rendue en Turquie, en Syrie, en Israël et à Bruxelles.

Le rôle de la Turquie sur la scène internationale a longtemps semblé reposer sur trois piliers : l'appartenance à l'OTAN, l'alliance avec les Etats-Unis et la candidature à l'Union européenne, auxquels venaient s'ajouter des conflits de voisinage historiques.

Aujourd'hui la Turquie semble ne plus se contenter de ce rôle. La fin de la guerre froide, les attentats du 11 septembre 2001, l'arrivée de l'AKP au pouvoir, l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne sont autant d'éléments qui ont contribué à la révision de la politique étrangère turque.

Sa puissance économique, récemment acquise, ainsi que l'arme énergétique lui donnent en outre quelques arguments pour réclamer une considération nouvelle de la part de ses interlocuteurs traditionnels mais aussi pour élargir sa sphère d'influence. Parallèlement, l'essoufflement du processus européen l'oblige à s'interroger sur ses priorités stratégiques.

Dans le même temps, la Turquie a mis en oeuvre une politique de bon voisinage qui n'a pas toujours été couronnée de succès mais qui lui permet d'essayer de mettre fin à des conflits historiques, d'une part, et de se rapprocher du Moyen-Orient, d'autre part. Cette amélioration dans son environnement régional contraste avec la dégradation de ses relations avec ses alliés stratégiques traditionnels, notamment avec Israël.

Notre rapport comporte donc trois parties : la première sur la Turquie puissance émergente, la seconde sur l'infléchissement, réel ou supposé, de son ancrage occidental et la dernière sur son rôle régional.

Afin de s'imposer comme une puissance émergente, la Turquie dispose avec l'économie et l'énergie de deux cartes maîtresses.

En premier lieu, elle n'est devenue que récemment une puissance économique passant en dix ans du 28ème au 16ème rang mondial. Cette progression exceptionnelle doit beaucoup à une politique volontariste d'ouverture qui s'est notamment appuyée sur les échanges avec l'Union européenne. Elle a ensuite été complétée par une série de réformes structurelles qui ont permis à la Turquie de traverser la crise financière sans trop de dommages, crise qui l'a d'ailleurs poussée vers de nouveaux marchés et l'a renforcée dans sa conviction qu'elle peut jouer sur le plan économique, mais pas seulement, dans la cour des grands.

Le Premier ministre turc, qui espère que son pays deviendra dans vingt ans la dixième économie mondiale, s'investit particulièrement dans la diplomatie économique. Au cours des 234 visites qu'il a effectuées dans 80 pays, il a toujours veillé à être largement entouré d'hommes d'affaires turcs et a signé quantité d'accords de coopération économique.

Alors que certains pays du Moyen-Orient souhaitent s'inspirer de la « success story » turque pour encourager l'ouverture économique, d'autres pays reprochent à la Turquie d'avoir toujours des arrière-pensées économiques dans ses relations diplomatiques.

En second lieu, la situation géographique de la Turquie lui permet d'aspirer à devenir un « hub » énergétique puisqu'elle se situe au carrefour de nombreux réseaux existants ou en projet. Elle n'hésite d'ailleurs pas à rappeler aux responsables de l'Union européenne son rôle de pivot de l'acheminement des ressources de l'Est vers l'Ouest.

Mais sa propre dépendance énergétique pèse sur son ambition en même tant qu'elle la nourrit. Elle l'oblige en effet à être accommodante avec de nombreux fournisseurs tout en cherchant à diversifier ces derniers. En 2007, l'approvisionnement turc était réparti principalement entre la Russie (63 %), l'Iran (17 %), l'Algérie (12 %) et l'Azerbaïdjan (4 %).

La Turquie est donc intéressée ou partenaire direct de tous les projets énergétiques en cours dans la région ce qui entraîne des répercussion importantes sur sa diplomatie.

La Turquie est partenaire à hauteur d'un sixième du projet de gazoduc Nabucco, dont l'accord a été signé à Ankara le 13 juillet 2009. Le soutien turc à Nabucco n'est pas à ce jour très coûteux puisque ce projet doit d'abord surmonter plusieurs difficultés liées à son financement et à son approvisionnement.

La Turquie a également accepté de se rapprocher du projet concurrent South Stream, soutenu par les Italiens et les Russes. Elle veille en effet à ne pas fâcher ces derniers car elle doit sécuriser ses approvisionnements. Elle n'en est pas moins incontournable sur le projet South Stream aussi puisque celui-ci doit traverser ses eaux territoriales.

Forte de sa puissance économique et de son atout énergétique, la politique étrangère turque, théorisée par son ministre actuel, M. Ahmet Davutoglu, se doit de revêtir une « profondeur stratégique » conforme aux ambitions affichées de puissance émergente. La Turquie cherche à acquérir cette profondeur notamment en déployant ses efforts diplomatiques sur tout le globe, aussi bien sur des continents inconnus pour elle que dans des régions avec lesquelles elle entretient des relations historiques. Cependant, la lisibilité comme les moyens consacrés à cette diplomatie tous azimuts posent question. Les résultats ne sont pas à ce jour à la hauteur des attentes.

Plusieurs interlocuteurs ont en effet souligné l'insuffisance actuelle des moyens diplomatiques turcs. Le ministre actuel cherche cependant à obtenir les moyens correspondant aux nouvelles aspirations turques.

En Afrique, la Turquie semble s'inspirer de l'expansionnisme chinois. L'offensive est politique avec l'ouverture de nombreuses ambassades mais aussi fortement économique. En Amérique latine, il s'agit de mettre un pied sur un autre continent en devenir ainsi que de nouer des relations politiques fortes avec d'autres puissances émergentes, au premier rang desquels le Brésil.

Dans les Balkans, à l'indifférence observée pendant la guerre froide a succédé aujourd'hui une attention marquée qui s'est jusqu'à présent traduite principalement par la mise en oeuvre d'une médiation entre la Serbie et la Bosnie-Herzégovine.

Dans le cadre de sa politique de « zéro problème avec le voisinage » et de sa stratégie de « hub » énergétique, la Turquie n'est pas indifférente au sort du Caucase du Sud. Cependant, son rôle dans cette région est largement hypothéqué par ses relations avec l'Arménie. En outre, la diplomatie y est phagocytée par les Etats-Unis et la Russie.

Dès la fin de la guerre entre la Russie et la Géorgie, la Turquie a proposé la mise en place d'une « plateforme de stabilité et de coopération pour le Caucase », réunissant les trois républiques caucasiennes et la Russie. Cette initiative peine aujourd'hui à voir le jour, empêtrée elle aussi dans les querelles entre l'Arménie et la Turquie.

Alors que les années 90 ont été marquées par un enthousiasme pour l'Asie centrale qui recouvrait alors son indépendance, les ambitions turques ont depuis été revues à la baisse. L'intérêt pour le monde turcophone s'est heurté à de nombreux obstacles (faible unité culturelle, absence de cohérence politique, nationalisme revendiqué des dirigeants et ombre russe). Les seules avancées significatives, en dehors de l'économie, ont été réalisées dans les domaines culturel et linguistique.

Le Pakistan et l'Afghanistan sont deux autres pays cibles de la politique étrangère turque dans lesquels la religion musulmane et l'histoire donnent à la Turquie un avantage certain par rapport aux autres puissance impliquées dans la recherche de solutions.

La Turquie considère qu'elle a des responsabilités particulières à assumer à l'égard de l'Afghanistan. Elle gère depuis le 1er novembre 2009 le commandement régional de Kaboul, après avoir dirigé une PRT (Provincial Reconstruction Team) dans la province de Wardak alors que 1795 soldats turcs sont aujourd'hui présents en Afghanistan. Elle participe aux efforts de reconstruction au travers notamment de son agence de coopération TIKA.

Partageant les vues occidentales sur la dimension régionale du conflit afghan, la Turquie s'est engagée en faveur du renforcement de la solidarité entre Afghanistan et Pakistan. A cette fin, elle a organisé quatre sommets trilatéraux depuis 2007. Elle a par ailleurs accueilli en janvier dernier le sommet régional des voisins immédiats de l'Afghanistan. Pour autant, la coopération trilatérale avec ces pays relève pour le moment davantage de l'effet d'affichage que de la réalisation concrète selon l'analyse d'un diplomate français.

Cette question se pose d'ailleurs plus généralement pour la politique étrangère turque. De nombreuses voix s'élèvent également pour s'interroger sur la lisibilité des ambitions turques sur la scène internationale. Celles-ci sont-elles la simple transposition sur le plan politique des succès économiques turcs ou signifient-elles une révision profonde de la politique étrangère turque ? Je laisse à Madame Fort le soin de vous présenter des pistes de réponse à cette difficile question.

1 commentaire :

Le 18/07/2010 à 10:35, Glasberg Alain (citoyen) a dit :

avatar

l'analyse du président de la mission JM Roubaud est intéressante et nécessiterai une plus grande diffusion car la position de la France reste toujours ambiguë notamment avec les déclarations régulière et anti turque du Président de la république. Je suis positivement étonné du travail de la commission

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Inscription
ou
Connexion