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Intervention de Bruno le Maire

Réunion du 1er juillet 2010 à 15h00
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Article 3

Bruno le Maire, ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche :

Je ne veux surtout pas rouvrir la discussion générale, mais je me permets d'intervenir à ce stade de notre débat, car il ne faudrait pas que l'article 3, qui est l'un des piliers du projet de loi, suscite des craintes inutiles ou crée des ambiguïtés.

Je suis un peu étonné par les différentes interventions des orateurs, toutes tendances confondues, qui viennent de s'exprimer. J'ai en effet le sentiment que l'on fait comme s'il ne s'était pas produit, en France, en 2009, une crise agricole d'une gravité sans précédent, comme si l'INSEE n'avait pas récemment publié des chiffres révélant que, dans la majorité des filières agricoles, le revenu s'est effondré de plus de 30 %, 54 % dans la filière du lait notamment. La crise a provoqué un effondrement des revenus, les producteurs ne s'en sortent pas, mais il faudrait se croiser les bras et attendre que les revenus remontent !

Depuis près d'un an que je travaille sur ce texte, j'ai discuté avec à peu près toutes les personnes qui connaissent la question agricole dans ce pays ainsi qu'avec des intermédiaires européens, et aucune solution ne m'a paru plus convaincante pour stabiliser le revenu des producteurs que la signature de contrats écrits entre le producteur et l'industriel.

Il serait plus simple, pour moi, de ne rien faire. Je pourrais me contenter d'expliquer aux producteurs que le prix du lait remonte, grâce à notre initiative, et qu'il remontera probablement encore dans les mois à venir, car nous continuerons de le soutenir. Vous savez, je le regretterai, mais il est fort probable qu'en 2015, je ne sois plus ministre de l'agriculture. Or, à cette date, les quotas auront été supprimés ; personne ne pourra les rétablir, d'ici là. Les producteurs de lait, pour ne citer que cette filière, se retrouveraient alors sans gestion administrative de l'offre ni contrats de nature à stabiliser leurs relations avec les industriels. Moi, j'essaie d'être un homme politique responsable. Je ne veux pas que les producteurs, toutes filières confondues, se retrouvent seuls face au marché ; je veux qu'ils aient les outils pour se battre.

Je désire donc lever un certain nombre d'ambiguïtés.

Premièrement, le contrat de l'article 3 n'est pas celui de la loi de 1964, qui permet à l'industriel de définir le lieu où le producteur achète son alimentation et l'industriel auprès duquel il doit se fournir, sa localisation ou la taille des cages. Ce fut le cas dans un certain nombre de filières, notamment celle de la volaille. Je ne citerai pas de nom, mais toute personne qui connaît la situation de cette filière sait que les producteurs souffrent de contrats qui prennent la forme d'une intégration totale, de sorte qu'ils se retrouvent salariés, alors que l'état d'esprit d'un agriculteur est celui d'un entrepreneur. Ce n'est pas le type de contrat que nous voulons. Celui que nous proposons n'est pas un contrat d'intégration : il préserve la liberté du producteur.

Deuxièmement, le producteur aura toujours la faculté de refuser ce contrat. Toutefois je regrette de devoir dire à la fédération nationale des industries laitières, qui prétend pouvoir s'exonérer de cette obligation légale, que les industriels ne pourront pas faire autrement que de proposer, dans tous les cas de figure, un contrat écrit au producteur. En revanche, s'il le souhaite, celui-ci pourra ne contractualiser qu'une partie de son volume, de manière à sécuriser son revenu sur trois ou quatre ans, et en garder une autre partie pour le valoriser davantage en faisant, par exemple, de la crème ou du beurre – comme c'est le cas en Normandie dans nombre d'exploitations –, qu'il vendra en circuit court, sur le marché. Il restera entièrement libre : il pourra à la fois sécuriser son revenu et garder la liberté de commercialiser différemment une partie de son activité.

Troisièmement, le contrat n'est pas le même pour tous, puisque, à la suite des discussions que nous avons eues ensemble – et c'est une avancée importante que l'on doit au Sénat et à la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale –, il a été décidé que les contrats seraient négociés en première instance par les interprofessions, filière par filière, afin de tenir compte des spécificités de chacune d'entre elles. Il ne s'agit donc pas, contrairement au contrat de la loi de 1964, d'un contrat unique qui s'imposera sur l'ensemble du territoire national. Il variera selon les filières et sera adapté à leurs spécificités. Il est en effet évident, cher Jean Auclair, que les fruits et légumes n'ont pas grand-chose à voir avec les bovins, les bovins avec la production de lait et la production de lait avec la viticulture.

Dernier élément : le contrat est entouré de garanties, puisque la désignation d'un arbitre a été proposée par les parlementaires eux-mêmes. Celui-ci sera, comme vous l'avez souhaité, un représentant de la puissance publique qui s'assurera que les contrats fonctionnent bien.

S'agissant des prix, là encore, il appartiendra aux interprofessions de définir des indices qui permettront de les fixer. Ils sont, du reste, en cours d'élaboration dans la filière laitière. C'est ainsi que nous trouverons le meilleur équilibre possible. En effet, je ne laisserai pas croire aux producteurs que l'État a actuellement la faculté de garantir les prix : ce n'est pas vrai. Même l'accord du 3 juin 2009 – je le sais d'expérience, puisque je rencontre les personnes chargées de le faire respecter – est chaque jour plus difficile à appliquer, car, de vous à moi, nous sommes tout de même très tangents par rapport aux règles européennes. Nous sommes donc obligés de définir des modalités plus équitables, plus respectueuses du droit et des règles de l'offre et de la demande.

Jean Auclair a cité la filière ovine. J'y fais également référence, mais comme à un modèle de contractualisation qui fonctionne. En effet, il y a un peu plus d'un an, cette filière était totalement désorganisée : on trouvait des fédérations de producteurs un peu partout et il n'y avait pas de contrat écrit. Eh bien, ces producteurs se sont organisés car ils se sont aperçu, non seulement qu'il y avait des consommateurs, une demande, mais aussi qu'ils étaient marginalisés – près de 70 % de la viande ovine sont importés de Nouvelle-Zélande – parce que, cette viande n'étant pour les Néo-Zélandais qu'un sous-produit de la laine, ils la vendent à un prix dérisoire défiant toute concurrence.

Dès lors, la seule force de la filière française réside dans la proximité et la sécurité de l'approvisionnement. Ils en ont donc joué auprès des industriels et des distributeurs, en faisant valoir le fait qu'ils peuvent leur fournir la quantité et la qualité qu'ils souhaitent quand ils le veulent. Moyennant quoi, ils sont parvenus à valoriser leurs produits, à stabiliser leurs revenus et à signer des contrats sur plusieurs années qui ont permis à la filière de se redresser. Ainsi, grâce à la contractualisation, la filière ovine se porte mieux aujourd'hui qu'il y a un an.

J'ai entendu Jean Auclair, dont je connais les réticences, au sujet de la filière bovine. Nous l'avons écouté, si bien que nous avons accepté, par pragmatisme, de ne pas supprimer les organisations de producteurs non commerciales, afin de laisser à chacun sa liberté. Je n'impose pas de directives de manière arbitraire : nous verrons ce que cela donnera. Toutefois, je suis persuadé, compte tenu de l'évolution des marchés, que ces contrats sont la seule solution pour stabiliser les revenus des producteurs.

Je termine en évoquant un point important, qui a été évoqué, à juste titre, par plusieurs orateurs, notamment par Mme Touraine : le dispositif ne peut fonctionner que si nous luttons par ailleurs en faveur de la régulation européenne des marchés, c'est-à-dire pour améliorer l'organisation des producteurs de manière à rééquilibrer leur face-à-face avec les industriels. Encore une fois, pour peser face à des industriels tels que Lactalis, Bongrain ou Danone, les producteurs laitiers, par exemple, doivent s'organiser, non pas à 300 ou 400, comme c'est le cas aujourd'hui, mais à 4 000. Ainsi, pour que les contrats fonctionnent, il faut que l'Union européenne autorise les producteurs à mieux s'organiser ; les deux démarches sont complémentaires.

Je le vois chez moi, en Haute-Normandie, où les producteurs de lait souhaitent s'allier avec ceux de Basse-Normandie et de la Manche, afin de négocier tous ensemble le prix du lait avec les industriels. C'est une très bonne chose. Hélas, ils n'ont pas le droit ! L'essentiel, c'est donc que les contrats soient disponibles – tel est l'objet du projet de loi – et que le droit européen soit modifié afin que ces producteurs puissent s'allier et négocier le prix du lait avec les industriels. Si le prix ne leur convient pas, les industriels – et je me réjouis que l'industrie du lait soit forte en France – pourront toujours expliquer qu'ils iront chercher le lait ailleurs, cela ne tient pas la route. Ceux qui sont installés en Basse-Normandie, en Haute-Normandie ou dans la Manche n'iront pas, quoi qu'ils en disent, collecter du lait en Allemagne ou ailleurs : ces menaces ne riment à rien !

En matière de régulation, il est également important que l'interprofession soit responsable de la définition des indicateurs de tendance de marché, lesquelles sont nécessaires aux producteurs pour pouvoir négocier les prix. C'est très concret. Le représentant de 3 000 ou 4 000 producteurs de lait qui va négocier avec un industriel doit impérativement avoir été informé auparavant par l'interprofession de l'indicateur de tendance de marché. Celui-ci permet en effet, en tenant compte de ce qui se passe en Allemagne, en Espagne, en Italie, de fixer le prix du lait, selon la région, à 300, 320 ou 340 euros. À partir de là, le représentant des producteurs peut négocier, en fonction de la situation et de la valorisation du produit. En tout état de cause, il faut que l'interprofession puisse fixer des indicateurs de tendance de marché. C'est, pour moi, un point crucial. J'en ai d'ailleurs parlé avec Joaquin Almunia, le commissaire à la concurrence, et Dacian Ciolos. Je peux même vous dire que le Président de la République s'est entretenu au moins quinze minutes avec ce dernier, afin de le convaincre de la nécessité de modifier les règles en la matière.

Enfin, même si je reconnais bien volontiers que nous ne sommes pas encore entendus sur ce point, je souhaite que la réalisation des volumes de lait en Europe soit transparente. On peut supprimer les quotas – on s'est engagé dans cette voie et personne ne pourra revenir en arrière –, mais il me paraît indispensable qu'un observatoire des volumes de lait indique le volume total de lait produit dans chaque pays européen et sur l'ensemble du continent européen. C'est une indication dont tous les producteurs ont besoin.

Voilà ce que sont les contrats. On peut y être opposé ou les défendre, mais je ne veux pas qu'on les caricature. Chacun doit comprendre que c'est un élément de stabilisation du revenu des producteurs absolument indispensable dans le monde tel qu'il est et que c'est la meilleure réponse à la gestion de l'offre et de la demande, ainsi qu'à la volatilité des prix. Néanmoins, ces contrats ne sont pas créés pour solde de tout compte : c'est le point de départ à partir duquel nous parviendrons, avec la régulation européenne, pour laquelle je me bats, à stabiliser le revenu des producteurs. (Applaudissements de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)

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