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Intervention de Pierre Gosnat

Réunion du 6 juillet 2010 à 21h45
Interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Gosnat :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom des députés communistes, républicains et du Parti de gauche, je tiens à exprimer solennellement notre refus de participer au débat et au vote sur ce projet de loi – et je m'en explique.

Mon intervention fera d'ailleurs écho à celle prononcée ici par mon collègue Alain Bocquet lors de la discussion sur la résolution concernant le respect des valeurs républicaines. À cet égard, je conteste fortement ce que vous avez dit, madame la ministre, sur le consensus général, puisque Alain Bocquet s'était catégoriquement opposé à cette résolution.

Nous ne participerons donc pas, mes chers collègues, à cette entreprise d'instrumentalisation du débat politique par une droite qui cherche à sortir – et ses membres ont d'ailleurs presque tous quitté l'hémicycle ! – du marasme dans lequel elle est engluée. Nous refusons de cautionner un texte de loi qui divise, qui stigmatise et qui joue avec les peurs.

Les communistes ont toujours combattu l'intégrisme et l'obscurantisme, où qu'ils se nichent. Nous dénonçons toutes les dérives sectaires, toutes les aliénations. Nous condamnons sans appel le port de la burqa ou du niqab, car c'est une insulte à la femme. Lutter contre une prison de tissu qui enchaîne les corps et les esprits est pour nous un combat permanent. Pour preuve, nous avons toujours voté les textes qui mettaient les droits des femmes au coeur de l'évolution de notre société. Et j'ai en tête cette belle phrase d'Aragon : « La femme est l'avenir de l'homme. »

Or tel n'est pas le cas dans ce texte. La preuve est flagrante : l'article 3, premier dispositif coercitif créé, ne vise ni les hommes qui imposent le voile, ni les fondamentalistes, mais bien les femmes ! Premières victimes jugées ici, elles sont aussi les premières coupables. Il est évident que leur sort n'est pas la préoccupation réelle du Gouvernement. Si tel avait été le cas, il aurait suffi d'ajouter un article sur la burqa à la loi contre les violences faites aux femmes et la question aurait été réglée. Or Marie-George Buffet a déposé un amendement en ce sens, qui a été rejeté par le Gouvernement.

Nous sommes donc confrontés à une volonté délibérée de la majorité d'orienter le débat politique, de mobiliser l'opinion publique, non pas sur le sort de ces femmes masquées par un voile intégral, mais bien sur l'imaginaire, sur les raccourcis et sur les amalgames qu'il attise. En outre, ce débat intervient bien entendu dans un contexte marqué par une révolte de plus en plus grande de notre peuple contre votre politique, ses injustices et je dirai même ses scandales.

Face à cette urgence, le Gouvernement a réagi. Il s'est empressé de lancer le débat sur l'interdiction du port de la burqa, sans prendre en compte sa légalité. Pour lui, les fondements juridiques de la loi étaient négligeables. C'est ainsi qu'il soumet à l'Assemblée nationale un texte mal rédigé et juridiquement très contestable, ce qui a été démontré en particulier par Noël Mamère et Jean Glavany.

Je l'affirme sans détour : le projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public est un texte dangereux, stigmatisant et qui se révélera à l'usage totalement inapplicable.

Oui, cette loi est dangereuse, car comment la comprendre sans la rapprocher du débat malsain sur l'identité nationale, mais aussi des politiques d'immigration et de la chasse aux sans-papiers orchestrés par le ministère de la honte de M. Besson ? Et que penser de la surmédiatisation des événements de Nantes ?

Le Gouvernement s'est mué en apprenti sorcier. Alors, vous ne cessez de brandir les symboles de notre République : liberté, égalité, fraternité ; mais c'est pour mieux les fouler au pied. Quant à la laïcité, qui, lors de sa création et dans son évolution, fut un progrès fondamental de la société française, elle est aujourd'hui devenue par détournement un instrument idéologique au service de votre entreprise de division du peuple.

N'avez-vous donc pas tiré les conséquences du fiasco du débat sur l'identité nationale ? Si ce n'était pas aussi grave, je parlerais même du ridicule de ce débat. En réalité, ce sont des coups politiques et des calculs électoraux à courte vue, qui ne font qu'affaiblir le pacte républicain et l'unité de notre société. Le débat sur l'identité nationale, que vous prolongez aujourd'hui, a ouvert la boîte de Pandore, et lorsque vous affirmez officiellement lutter contre l'intégrisme religieux, vous ne faites que nourrir l'extrémisme politique dans lequel, évidemment, s'engouffre le Front national.

Oui, cette loi est dangereuse. Elle ouvre une brèche sans précédent, car face aux réserves du Conseil d'État, vous agitez la notion de sécurité publique afin de justifier l'interdiction du voile intégral. De fait, cette loi instaure un contrôle resserré de l'espace public. Auparavant, les restrictions vestimentaires se justifiaient uniquement par la lutte contre la fraude. Avec ce texte, vous créez un nouveau régime coercitif dont les contours flous ne feront qu'entraîner de redoutables dérives.

Cette loi est d'autant plus dangereuse qu'elle est profondément stigmatisante. Songez, mes chers collègues, qu'il vous est demandé de voter une loi pour moins de 2 000 femmes portant un voile intégral, essentiellement en Île-de-France et dans quelques grandes agglomérations, soit moins de 0,003 % de la population !

Face à cette pratique – dont nous voyons bien qu'elle reste isolée – n'y a-t-il pas d'autres moyens d'action à notre portée. Au premier rang de ceux-ci, il y a la médiation et le dialogue ; mais vous ne proposez pas de moyens nouveaux pour la médiation. En faisant le choix de la loi, vous pointez du doigt ces femmes ; vous les mettez au ban de la société sans leur offrir d'alternatives – elles qui en auraient tant besoin !

Enfin, à l'usage, cette loi se révélera inapplicable. Je vous rappelle que le Conseil d'État relevait le risque réel d'inconstitutionnalité de ce projet et mettait l'accent sur l'existence d'outils juridiques permettant déjà d'encadrer cette pratique dans l'espace public. Vous l'avez d'ailleurs rappelé, madame la garde des sceaux.

Mais le Gouvernement n'en a que faire, car il s'obstine à centrer le débat politique sur la question du voile intégral, quand des millions de Français l'interpellent en ce moment même sur le droit à la retraite à soixante ans, sur l'augmentation des salaires, sur la sécurité de l'emploi, sur la lutte sans complaisance contre les inégalités sociales et – que sais-je encore ? – sur le bouclier fiscal ou les paradis fiscaux.

Au fond, ce projet de loi signe l'échec de votre politique ; il montre votre incapacité à appréhender et gérer un phénomène social, somme toute marginal, autrement que par l'interdiction juridique. C'est absurde : la loi ne fait pas tout ! Si l'objectif est que plus aucune femme en France ne porte le voile intégral, alors il nous faut faire appel à la force de la politique, celle qui au-delà des lois et des règlements assied son autorité et sa légitimité sur l'ensemble de la société.

Absurde, en effet : prenons deux situations auxquelles cette loi s'appliquera : celle où la femme est contrainte de porter le voile intégral ; celle où elle se déclare volontaire et le revendique – si tant est que nous puissions établir une distinction aussi manichéenne.

Dans le premier cas, la loi condamnera une femme victime — soit par l'amende, soit par le fait qu'on lui interdira de s'exposer aux regards d'autrui en la contraignant à rester enfermée chez elle. On appelle cela la double peine !

Dans le second cas, 1'interdiction du niqab ne fera que renforcer les convictions de la personne concernée, et offrira même une tribune médiatique à l'extrémisme religieux. C'est bien ce que nous avons constaté dans l'affaire de Nantes.

Pour conclure, permettez-moi d'exprimer mon profond sentiment d'injustice : en votant cette loi, le Parlement affaiblira durablement la lutte politique contre les intégrismes quels qu'ils soient. En aucune manière, ce texte ne constituera un point d'appui pour le respect et la dignité des femmes.

Face à ces phénomènes, il nous faut au contraire favoriser la médiation et l'action locale. J'ai d'ailleurs été très étonné de la réaction d'un certain nombre de nos collègues de droite lorsque Jean Glavany a évoqué ces démarches : certains ont dit que cela ne servait à rien, l'ont accusé de ne pas y croire lui-même. Ainsi, alors que vous avez reconnu l'utilité de ces outils, madame la garde des sceaux, nos collègues de droite ne leur font aucune confiance. C'était franchement surprenant.

Il faut favoriser la médiation et l'action locale, car nous pensons que le port du voile intégral n'est que l'expression d'un phénomène beaucoup plus large qui puise ces racines dans le délitement économique et social de notre société, en particulier dans les quartiers défavorisés, où l'État est aujourd'hui bien souvent absent.

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