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Intervention de Didier Migaud

Réunion du 7 juillet 2010 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis très heureux d'être auditionné aujourd'hui, en compagnie de plusieurs magistrats de la Cour qui suivent plus particulièrement ce projet de loi portant réforme des juridictions financières.

Je voudrais saluer le président Warsmann, qui fait à la Cour l'honneur d'être le rapporteur de ce texte, et auquel je sais gré d'avoir prévu l'examen de ce texte à l'ordre du jour de la Commission. Je suis, par ailleurs, très heureux de continuer à travailler, dans d'autres fonctions, avec Michel Bouvard, désigné comme rapporteur pour avis par la Commission des finances.

Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer devant le CEC, dont je salue le vice-président, M. Goasguen, la Cour des comptes est naturellement à la disposition du Parlement pour l'assister dans ses missions de contrôle et d'évaluation des politiques publiques.

L'examen de ce projet de loi constituera une date essentielle dans l'histoire de la Cour : c'est sa réforme la plus importante depuis qu'elle a été créée. Le texte a été adopté par le Conseil des ministres du 28 octobre 2009, un peu plus de deux mois avant le décès de Philippe Séguin. Persuadé qu'il fallait donner aux juridictions financières les moyens de contribuer encore davantage à une gestion publique plus performante et plus transparente, mon prédécesseur, auquel je souhaite à nouveau rendre hommage, avait consacré toute son énergie à ce texte.

Comme l'a souhaité le Président de la République lors des célébrations du bicentenaire de la Cour, le 5 novembre 2007, nous devons faire de la Cour « le grand organisme d'audit et d'évaluation dont la France a besoin ». C'est la première ambition de ce projet, et elle est partagée par tous, me semble-t-il. Elle conduit à confier à la Cour de nouvelles fonctions, s'ajoutant à ses missions traditionnelles de contrôle et de jugement.

La seconde ambition du texte est de donner à la Cour les moyens de remplir ses nouvelles missions d'évaluation des politiques publiques et de certification des comptes publics, qui ont été consacrées par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, tout en lui permettant de continuer à assurer ses missions traditionnelles.

La réforme que vous allez examiner est nécessaire, car elle donnera toute sa portée à la mission d'assistance de la Cour envers le Parlement, conformément à l'article 47-2 de la Constitution. Je sais à quel point les commissions permanentes sont désireuses de progresser en matière d'évaluation afin d'aller au-delà de la seule analyse du coût des politiques publiques et d'apprécier plus précisément leur efficacité. Le CEC, qui m'a auditionné le 3 juin dernier, souhaite également être en mesure de saisir rapidement la Cour de demandes d'évaluation.

La Cour désire naturellement répondre dans les meilleurs délais à vos attentes. C'est pourquoi elle a besoin que ce projet de loi soit rapidement examiné, puis adopté par le Parlement. Cela permettrait aussi, de mettre un terme aux inquiétudes et aux interrogations suscitées par cette réforme, depuis maintenant deux ans, parmi les personnels des juridictions financières, en particulier ceux des chambres régionales des comptes.

Depuis ma nomination, je n'ai pas cessé de dire que je m'inscris pleinement dans la voie tracée par mon prédécesseur. Une réforme est nécessaire. J'ai toutefois souhaité prendre le temps de la concertation et de l'écoute, estimant que le projet de réforme pouvait être enrichi sur certains points. Dès mon installation, j'ai rappelé que le texte restait perfectible, comme toute oeuvre humaine. Cela ne signifie en aucune façon que je renie la réforme ou que je m'en distancie, bien au contraire. Je le répète : j'adhère totalement à ses objectifs, que je fais miens.

C'est pourquoi je veux m'assurer que les conditions nécessaires à la réussite de ce projet seront réunies, notamment son acceptabilité. Or, il est évident que ce n'est pas encore tout à fait le cas : le texte suscite des réticences au sein des juridictions financières, et certaines modalités de la réforme alimentent des malentendus.

Je voudrais donc vous exposer mes convictions dans ce domaine et tenter de tracer un chemin qui permettrait, selon moi, d'atteindre les objectifs de la réforme, tels qu'ils ont été esquissés par Philippe Séguin. Nous devons réunir un consensus aussi large possible, tant au sein des juridictions financières que du Parlement, afin que le texte soit adopté au plus tôt.

Le premier objectif est de faire en sorte que la Cour soit en mesure d'exercer ses nouvelles missions constitutionnelles. Le cloisonnement et l'autonomie des chambres régionales des comptes ne permettent pas d'organiser avec efficacité et de façon homogène les travaux de contrôle et d'évaluation des politiques publiques au niveau national, comme au niveau local. La Cour des comptes ne peut pas répondre aussi efficacement qu'elle le souhaiterait aux demandes d'enquête du Parlement lorsqu'elles portent sur des politiques dont la mise en oeuvre est en partie décentralisée. Or, elles sont de plus en plus nombreuses.

Cette difficulté pourrait être résolue si la Cour disposait de l'entière compétence pour effectuer les évaluations demandées. Cela permettrait de mettre un terme aux difficultés de programmation des enquêtes communes, étant entendu que les magistrats des chambres régionales, dont les compétences sont unanimement reconnues pour les questions de gestion locale, pourront toujours être associés aux évaluations en tant que de besoin.

Il me semble nécessaire, en outre, que l'expérimentation conduite dans le domaine de la certification des comptes des collectivités territoriales soit pilotée par la Cour, avec l'appui des chambres en région, sans mobiliser de façon excessive les moyens de la Cour ou ceux des chambres. Nous pourrons notamment nous appuyer sur l'expertise que la Cour a su développer dans le domaine de la certification des comptes de l'État et du régime général de sécurité sociale, exercice qui pourrait ainsi s'avérer utile tant pour l'État, et pour la sécurité sociale que pour la Cour elle-même.

Ces différentes inflexions permettraient de garantir que les chambres régionales demeurent des juridictions autonomes, qu'elles conservent la maîtrise de la programmation de leurs travaux et qu'elles se concentrent sur leurs trois métiers principaux : l'examen de la gestion, qualifié de « contrôle organique » par le projet de loi, le jugement des comptes, ainsi que le contrôle budgétaire.

À mes yeux, les conditions d'exercice du « contrôle organique » devraient toutefois évoluer. Il n'est pas acceptable, pour les justiciables, qu'on ne fasse pas usage des mêmes référentiels de contrôle selon qu'on se trouve au nord, au sud, à l'est ou à l'ouest de la France. Il existe, en la matière, une demande très forte des personnes que nous contrôlons, en particulier les élus locaux. L'indépendance des juridictions financières ne doit pas signifier une absence de normes ou de références communes. Pour cela, il conviendrait d'instaurer des mécanismes permettant d'harmoniser les méthodes de contrôle et d'édicter des normes communes sous la responsabilité du Premier président de la Cour des comptes, en sa qualité de président des conseils supérieurs de la Cour et des chambres régionales.

En outre, ces dernières pourraient utilement développer leur rôle de conseil aux collectivités, comme cela avait été envisagé dès la réforme de décembre 2001. De nombreux élus sont désireux de saisir les chambres, en dehors de toute procédure de contrôle, pour obtenir leur assistance et leur expertise sur des questions de gestion locale. Je ne verrais, pour ma part, que des avantages à ce qu'elles puissent apporter un tel soutien, dans le respect de leur indépendance.

Il serait ensuite possible de réexaminer deux questions qui soulèvent un certain nombre d'interrogations et d'oppositions : le regroupement des chambres dans un ressort interrégional, fixé par décret, ainsi que l'instauration d'une unité organique des juridictions financières. On pourrait, en outre, permettre au Parlement d'exercer la plénitude de ses attributions en supprimant le renvoi à des ordonnances.

Sans remettre en cause la nécessité de procéder à des regroupements, on pourrait envisager de les adapter selon l'étendue et la nature des missions des chambres régionales. Ils concerneraient les seules chambres dont les effectifs sont, dès aujourd'hui, inférieurs à un seuil critique indispensable pour une bonne organisation des équipes de contrôle et des instances de délibéré. On pourrait arriver alors à un nombre de 12 à 16 chambres régionales en métropole, contre 22 à ce jour.

Je rappelle que le texte prévoit de transformer les chambres régionales des comptes en chambres de la Cour des comptes, cette réforme devant s'accompagner de l'unification statutaire des corps des magistrats financiers. L'unité organique des juridictions financières n'est pas, à mes yeux, un objectif en soi. Ce n'est qu'une modalité d'organisation, dont l'application risque de mobiliser pendant des années les forces des juridictions financières, lesquelles seraient ainsi détournées de leurs missions premières.

Votre assemblée pourrait considérer que la modernisation des juridictions financières ne requiert pas un tel changement d'organisation, pourvu que les objectifs fixés à la réforme soient atteints. Ce faisant, vous répondriez à certaines inquiétudes qui se sont exprimées au sein des juridictions financières. S'il existe un consensus sur les principales orientations du texte, ainsi que sur les nouvelles missions confiées à la Cour, l'instauration d'une unité organique, qui a pour corollaire l'unité statutaire, suscite de vives oppositions.

Depuis ma prise de fonction, j'ai pu recevoir l'ensemble des parties prenantes : j'ai rencontré les représentants élus par les magistrats et par les personnels, j'ai visité six chambres régionales, et je me suis entretenu avec un certain nombre de parlementaires sur ce sujet. Il me semble que nous pourrions atteindre les objectifs assignés à cette réforme en adoptant d'autres modalités d'organisation, plus souples et moins traumatisantes que l'instauration d'une unité organique. Plusieurs groupes de travail constitués au sein de la Cour ont esquissé un certain nombre de solutions, relevant de notre pouvoir propre d'organisation, qui me paraissent tout à fait pertinentes.

Il conviendrait, en parallèle, d'améliorer la gestion des personnels des juridictions financières.

En ce qui concerne les chambres régionales, plusieurs évolutions pourraient s'avérer utiles, notamment un élargissement des voies d'intégration des magistrats des chambres régionales et territoriales au sein de la Cour des comptes. Je serais, en outre, très favorable à une révision du régime des incompatibilités applicable aux magistrats des chambres régionales, aujourd'hui beaucoup plus restrictif que les dispositions en vigueur pour les conseillers des tribunaux administratifs. Un alignement sur le régime de ces derniers serait une mesure d'équité et de bonne gestion. Je souhaiterais enfin la suppression de la disposition législative – visiblement d'un autre âge – qui réserve une part importante des présidences de chambres aux magistrats de la Cour des comptes. Cela permettrait d'ouvrir davantage ces hautes fonctions aux magistrats des chambres régionales.

Je suis également convaincu de l'intérêt pour la Cour des dispositions figurant dans les projets d'ordonnances dans le domaine de la gestion des ressources humaines. Il s'agit de moderniser les modalités de recrutement dans une perspective de professionnalisation et de diversification des compétences dont la Cour a besoin pour exercer ses nouvelles missions.

Après avoir évoqué les missions de contrôle, de certification et d'évaluation confiées aux juridictions financières, j'en viens maintenant à leur mission juridictionnelle, qualifiée par mon prédécesseur de « parent pauvre » de la réforme.

Dans son discours du 5 novembre 2007, le Président de la République avait appelé de ses voeux une « révolution morale », concernant la responsabilité de ceux qui gèrent ou manient les fonds publics. L'actualité montre bien à quel point nos concitoyens sont attachés à la probité de la gestion publique et à la sanction des dérives ou des dysfonctionnements qui seraient constatés. Or, il faut reconnaître que les dispositions applicables sont largement inopérantes, tant pour les comptables que pour les gestionnaires publics.

En ce qui concerne les premiers, Philippe Séguin aimait à rappeler que le système actuel offre le dernier exemple de « justice retenue » en vigueur dans notre pays, le ministre pouvant priver de toute portée une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée – en l'occurrence, un débet prononcé par le juge. C'est ce que l'on constate dans la très grande majorité des cas, ce qui conduit à démobiliser les magistrats financiers et à déresponsabiliser les comptables publics. Une réforme s'impose donc : nous devons nous orienter vers un système de type répressif, reposant sur des amendes infligées par le juge en cas d'irrégularités, et modulables selon des critères directement fixés par la loi.

S'agissant des gestionnaires publics, le projet de loi permet de réaliser quelques avancées. Il réorganise, tout d'abord, les procédures de jugement en prévoyant que les attributions de l'actuelle Cour de discipline budgétaire et financière seront exercées par la Cour des comptes. La Cour recevra pleine compétence pour juger la responsabilité des gestionnaires publics, lesquels bénéficieront alors des garanties offertes par l'existence d'une jurisprudence unifiée. Les chambres régionales conserveront la possibilité de saisir la Cour dans le cadre de sa mission de discipline budgétaire et financière.

En second lieu, le projet de loi étend le champ des infractions visées, en y incluant par exemple l'octroi d'un avantage injustifié à soi-même, ou encore les infractions liées à la comptabilité générale. Il reste, en revanche, timide pour ce qui est du champ des justiciables. La Cour pourra certes juger les élus et les exécutifs locaux des collectivités et de leurs groupements, ainsi que les membres de leurs cabinets et les fonctionnaires territoriaux, mais les conditions d'engagement de la responsabilité des élus sont tellement formalistes qu'on peut s'interroger sur la portée pratique du dispositif : il faudrait que les élus aient été dûment informés de l'affaire dans l'exercice de leurs fonctions et qu'ils aient donné un ordre écrit donnant naissance à l'infraction. On pourrait très bien envisager une évolution du texte sur ce point, comme le souhaitait Philippe Séguin.

Voici les principales orientations que je souhaitais évoquer. Ce sont là, me semble-t-il, les voies et moyens qui permettront de réaliser une réforme ambitieuse des juridictions financières, grâce à laquelle elles pourront répondre aux demandes d'assistance formulées par le Parlement et par le Gouvernement.

J'ajoute que je ne verrais que des avantages à ce que la loi fixe directement les modalités d'application des principes fixés par le texte – la rénovation des missions des juridictions financières et l'adaptation de leur organisation – au lieu de renvoyer à des ordonnances adoptées dans le cadre de l'article 38 de la Constitution. Cela permettrait au Parlement de se prononcer sur l'ensemble de la réforme, de lui donner une plus grande solennité grâce à son vote, et d'adopter plus rapidement les dispositions nécessaires à la Cour pour l'exercice de ses nouvelles missions.

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