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Intervention de Jean Lassalle

Réunion du 30 juin 2010 à 21h30
Modernisation de l'agriculture et de la pêche — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Lassalle :

Monsieur le ministre, je voudrais d'abord vous dire que votre réputation de négociateur, de ministre qui respecte le monde agricole et d'Européen convaincu est parvenue jusqu'à nos territoires lointains. (Rires sur de nombreux bancs.) Je vous ai encore vu samedi dernier passer de longues minutes à écouter les agriculteurs parler de problèmes bien difficiles.

Chacun comprendra donc que je fais la part des choses entre votre action actuelle et ce que je voudrais tant essayer de dire.

Que je parte de mon petit village de montagne pour aller vers le vaste monde, ou que je parte du vaste monde pour revenir, en passant par l'Europe, vers mon petit village, je rencontre partout la même réalité. Je ne sais pas comment les choses étaient autrefois ; je n'étais pas là pour les voir. Mais en 2010 – ce moment où, certes, les guerres et les crises jettent la terreur et l'effroi un peu partout, mais où tant de lieux sur notre planète vivent en paix – pourquoi n'entend-on pas de temps en temps, ici ou là, un paysan heureux ? Pourquoi n'entend-on pas un seul agriculteur se réjouir d'avoir fait le bon choix, et dire qu'il prépare tout naturellement son fils à prendre sa succession ?

Quel que soit le sens dans lequel je parcours le monde, cela, je ne l'entends pas – pays développés, pays émergents, pays modernes, peu importe : partout, c'est la même histoire. En quelques décennies, ce qui apparaissait comme l'une des plus nobles activités de ce bas monde serait brutalement devenue inutile ! Car ceux qui s'efforcent d'en vivre se considèrent eux-mêmes comme inutiles, et même oubliés. C'est tout de même curieux que l'on retrouve ce même sentiment sur toute la surface de notre planète !

Et si le problème ne concernait que la terre ! Mais non, il concerne aussi la mer, pour laquelle les marins, les courageux marins, ont le même amour que l'on peut avoir pour la montagne – si belle quand elle est belle, mais où un soudain cri d'effroi peut venir briser ce qui n'était que beauté et jouvence.

Pourquoi, un peu partout, le paysan est-il ce délaissé que l'on n'entend plus ? Pourquoi, partout, ne peut-il plus s'organiser, pourquoi perd-il son statut ? Les folles herbes de l'oubli doivent-elles prendre le dessus, dès lors que l'on est au-dessous du seuil de productivité nécessaire ?

Aurions-nous renoncé à être ce que nous sommes – des hommes liés à leur territoire, des hommes étroitement liés à une terre où ils se sont succédé de père en fils depuis si longtemps, sans que les guerres, les révolutions, les guerres civiles même viennent briser cet éternel recommencement ?

Aujourd'hui, pourtant, en quelques années, tout se délite, et nous sommes incapables d'arrêter cette tragédie qui n'est rien d'autre que la fin d'une civilisation !

On formera toujours des ingénieurs et des aviateurs ; mais si le tronc et la racine sont pourris, serons-nous encore capables de former des paysans, des bergers, des pêcheurs ? Ces métiers doivent aussi se transmettre de père en fils, de génération en génération, de territoire en territoire. Saurons-nous le faire si nous perdons à ce point tous nos repères ?

Et toi, France, vieille France, chère France, où vas-tu pour laisser choir ainsi ton agriculture éternelle ? C'est elle, pourtant, qui t'a permis de devenir ce que tu es, elle qui t'a permis d'être respectée sur toute la planète, elle qui a donné un statut à ce pays tout entier, elle qui, de peuples, de provinces et de nations même, fiers de leur État comme de leur originalité, a fait un pays !

Au soir de leur vie, partout, ces hommes, et parfois leurs femmes, sont en larmes. Leurs seuls compagnons, ce sont les arbres, qui bientôt rentreront dans leur cuisine – leurs fils, leurs petits-fils les ont délaissés depuis si longtemps pour essayer d'aller gagner leur vie ailleurs. Alors peu importe ce qu'il y a sur l'étiquette : made in…, made in…

Vous pourriez penser que mon regard est désespéré. Mais je vous dis précisément ce que ressent un homme qui a dépassé la cinquantaine, qui a été berger, qui est fils de paysan…

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