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Intervention de Patrick Gandil

Réunion du 23 juin 2010 à 10h00
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Patrick Gandil, directeur général de l'Aviation civile, DGAC :

Monsieur Gonnot, nous avons déjà tiré une première leçon opérationnelle de l'éruption du volcan. Lors du deuxième épisode, nous n'avons pas suspendu la circulation aérienne malgré des cartes encore plus alarmantes que celles de la première semaine. Nous disposons désormais d'une méthode, pragmatique, mais sûre, d'évaluation de la dangerosité des cendres.

Les concentrations de cendres étaient beaucoup trop faibles pour qu'un avion test s'écrase ou que ses moteurs s'étouffent. En cas de risque pour les personnes, de telles expérimentations n'auraient pas été lancées. La question à trancher ne concerne que d'éventuels coûts de réparation des moteurs des appareils.

L'existence préalable de la recommandation de l'EASA, élaborée après les discussions entre les DGAC, puis les ministres des transports européens, aurait permis un bien meilleur traitement de chacune des deux dernières crises, alors même que la répartition des cendres, l'altitude et la vitesse de propagation du nuage y étaient très différentes. Elle sera tout à fait appropriée à une prochaine crise de même nature. Dans un autre cas, nous devrons nous adapter.

La France milite aujourd'hui en faveur d'une doctrine européenne claire. Malheureusement, si, Anglais et Français ont trouvé un accord, les Allemands continuent à souhaiter des précautions beaucoup plus strictes en matière de maintenance des moteurs et de définition du seuil où ceux doivent être révisés – je rappelle qu'il ne s'agit pas ici de sécurité des personnes.

La position commune anglais et française est que, sans raisons de sécurité, l'espace aérien ne doit pas être fermé. Pour moi, si la sécurité des passagers et des équipages relève de la responsabilité de la DGAC, tel n'est pas le cas de l'usure des moteurs. Ne pas voler pour protéger leur moteur – au risque de disparaître économiquement avec des moteurs parfaits – ou voler avec précaution, en choisissant finement les plans de vols, et en prenant le risque d'user un peu ceux-ci – comme avec le sable saharien – relève à mon sens des compagnies aériennes, et non pas de la DGAC, ni de l'AESA. Note rôle est de fixer le seuil de cendres interdisant le vol ainsi que les modalités de surveillance des moteurs en cas de vol dans un environnement de cendres situé en dessous du seuil. Édicter qu'un moteur qui a volé en atmosphère contaminée doit être vérifié avant de voler de nouveau constitue une responsabilité de sécurité que la DGAC se doit d'assumer, mais elle n'a pas à aller au-delà.

Autant j'espère que les processus pourront être unifiés rapidement, autant je me dois de constater que si la France est le pays européen qui a le mieux réagi, c'est parce qu'elle a pu le faire de façon autonome. Il ne faudrait pas que, par volonté d'unifier les processus, nous nous trouvions obligés de fermer l'espace aérien alors que nous avons la certitude que ce n'est pas nécessaire. Grand pays d'aviation, la France est écoutée en Europe ; mais la Grande-Bretagne et l'Allemagne également ! Il nous faut donc nous mettre d'accord.

En mars, nous avons obtenu de l'OACI, non sans difficulté, qu'elle retienne les conséquences de l'accident du vol AF 447 comme thème pour sa prochaine assemblée générale, début octobre. La transmission en permanence des données de vol, au lieu de leur stockage dans des boîtes noires qu'il faut ensuite rechercher – parfois en vain – sera donc abordée. À ma grande surprise, le thème de l'information des passagers sur la sécurité des compagnies aériennes – que nous avons proposé – a également été retenu.

Cela dit, chaque étape de l'élaboration de la procédure sera un combat. Plusieurs années seront nécessaires avant que l'on obtienne une directive d'application obligatoire à l'échelle mondiale. Une recommandation ou une expression publique serait un premier pas positif, grâce auquel nous pourrions commencer à travailler. Il est vrai, monsieur Gonnot, que les progrès ne sont pas rapides.

Monsieur Plisson, parmi les 180 aéroports pourvus de plans d'exposition au bruit figurent non seulement tous les aéroports commerciaux, mais aussi des aéroports plus petits, qui n'accueillent pas d'avions de ligne. Il nous faut maintenant concevoir des PEB pour des aéroports accueillant occasionnellement des avions d'affaires ou des missions de service public – pour le transport d'organes, par exemple – et dont l'aviation légère constitue l'essentiel de l'activité. Le trafic, très irrégulier, varie fortement entre la semaine et le week-end. Si une ligne régulière les dessert, elle peut ne comporter qu'un seul avion, comme à Ouessant. Les méthodes de calcul de trafic retenues pour les aéroports commerciaux fréquentés par des lignes régulières ne peuvent donc leur être appliqués. Un décret spécifique, qui vient d'être transmis au Conseil d'État, va donc leur être consacré. Les obligations seront fixées sur la base non pas de la fréquentation moyenne par jour, mais de la réalité du trafic. Sa publication devrait permettre le lancement d'une deuxième vague de PEB.

Sous l'influence notamment du Grenelle, l'aide à l'insonorisation a fortement évolué depuis deux ans. Aujourd'hui – changement fondamental – les « files d'attente » ont été résorbées. Les recettes dans le périmètre de l'aéroport d'Orly ont doublé ; à Nantes et à Toulouse, les deux autres villes où le retard était sensible, elles ont fortement progressé. Un décret relatif aux opérations groupées a été publié : il permet le financement de 95 % des dépenses d'insonorisation. La limitation à 95 %, – au lieu de 100 % – a cependant des répercussions psychologiques, même si elle représente un enjeu financier plutôt négligeable. Je souhaite donc une évolution.

Monsieur Gonzales, je ne dispose pas ici d'éléments relatifs au calendrier prévisionnel que vous demandez. Si vous m'y autorisez, je vous répondrai donc par écrit.

En vue de réduire le bruit, nous avons sensiblement amélioré les procédures opérationnelles d'atterrissage. À Orly, des procédures de descente continue sont désormais régulièrement pratiquées. Leur mise en oeuvre à Marseille, où les mouvements sont beaucoup moins nombreux, a donné de très réelles satisfactions. Nous travaillons dans le même sens pour les atterrissages de nuit à Roissy.

Cela dit, seule la mise en place intégrale de SESAR permettra de généraliser les procédures de descente continue en situation de fort trafic. Celles-ci resteront donc longtemps réservées soit à des approches spécifiques où la composition du trafic le permet – comme celle, nouvelle, d'Orly par le sud – soit aux périodes creuses. Cela dit, lesdites périodes correspondant pour l'essentiel au trafic de nuit, où la sensibilité au bruit est la plus forte, l'installation de ces procédures reste intéressante.

En cas de circulation dense ou très dense, en période de pointe, la méthode traditionnelle de descente en paliers, avec des intercroisements d'avions venant de toutes directions et qu'il faut décaler les uns par rapport aux autres pour permettre leur atterrissage en toute sécurité, va perdurer. Pour réduire le bruit induit, nous avons lancé le chantier du relèvement des altitudes de survol en Île-de-France. Sans doute est-ce la cause des principales difficultés rencontrées actuellement dans l'Essonne. Nous cherchons à supprimer le niveau de vol le plus bas, en remontant de 1 000 pieds l'altitude des appareils.

Nous avons commencé par la trajectoire relativement isolée évoquée par M. Marlin. Parallèlement, nous réalisons à Brétigny la simulation, sans doute la plus difficile jamais réalisée en France, d'un relèvement généralisé de toutes les trajectoires autour de Paris – dans la mesure où elles s'interpénètrent en tous sens, toutes doivent être relevées, sous peine de créer des collisions. Ce relèvement général du système de circulation aérienne de l'Île-de-France, l'un des plus complexes du monde, constitue une entreprise d'une difficulté considérable.

Si l'opération présente un intérêt collectif évident, elle n'est pas bénéfique pour tous. L'angle d'atterrissage étant constant, relever l'altitude de vol conduit à éloigner de l'aéroport l'endroit où l'avion va virer pour s'aligner sur la piste. De ce fait, alors qu'une partie de la population anciennement survolée ne le sera plus, des personnes qui ne l'étaient pas le seront – mais à une altitude plus élevée. Aux termes de la théorie du bilan élaborée par le Conseil d'État – que le monde des travaux public connaît bien – tout doute sur l'intérêt collectif de l'opération est exclu. Par contre, individuellement, certains seront gagnants et d'autres perdants.

Monsieur Marlin, si je puis vous garantir que nous n'avons pas commis de faute dans l'application du droit de la concertation, je ne saurais soutenir que cette concertation a été efficace. Nous nous efforçons donc aujourd'hui de la reprendre, sur la base des directives des préfets en charge des dossiers sur le territoire et nous sommes prêts à prendre le temps qu'il faut. Le gain collectif pouvant s'accompagner de pertes individuelles, je suis assez effrayé des mouvements que risque de créer l'opération globale pour l'ensemble de l'Île-de-France. Cependant, faire voler les avions le plus haut possible le plus longtemps possible représentera un progrès indéniable pour les populations. Les paliers d'approche de Roissy s'égrènent sur 30 kilomètres depuis Cergy-Pontoise. Certains sont à 4 000 pieds. Par rapport à cette référence, gagner 1 000 pieds est loin d'être négligeable. Cela dit, eu égard à la densité de la zone, où que se situe le virage d'approche, il surplombe malheureusement toujours une zone habitée.

À l'échelle mondiale, l'action en faveur de l'insonorisation ne passe que très difficilement par la réglementation. Les différences entre réglementations nationales sont considérables. Les vols de nuit ont représenté l'un des enjeux cruciaux du débat sur le traité « Ciel ouvert » avec les États-Unis. Ceux-ci souhaitaient en effet contrôler les décisions des Européens, considérant qu'elles portaient atteinte à la libre circulation. Nous avons réussi à limiter leurs exigences à l'obtention d'information.

Aujourd'hui, nous sommes dans une phase de révision des procédures. La DGAC doit remettre un dossier à l'ambassade des États-Unis en France. Il ne s'agit pas de mise sous tutelle : les enjeux économiques de l'aviation sont mondiaux ! Nous cherchons nous-mêmes à bénéficier de droits économiques particuliers aux États-Unis. Au reste, l'accord « Ciel ouvert » nous est très bénéfique. Chacune des trois grandes alliances mondiales de transport aérien est dirigée par une compagnie européenne. En échange, les États-Unis sont naturellement très attentifs aux intérêts de certaines compagnies américaines, comme Fedex. En matière de réglementations urbanistiques ou relatives aux vols de nuit, je n'attends pas de progrès des négociations au plan mondial dans l'immédiat.

En revanche, le système d'accords mondiaux est extrêmement efficace sur l'évolution des appareils. L'aviation a été exemplaire. Dans les années 1970, aucune norme de bruit ne s'y appliquait. L'instauration de la méthode des chapitres acoustiques successifs de l'OACI a abouti à la formulation, tous les dix ans, d'une nouvelle exigence, qui constitue au départ un objectif pour les avions futurs. Cependant, les constructeurs savent bien que, dix ans plus tard, l'objectif sera devenu la norme obligatoire. C'est cette méthode qui a permis de supprimer les avions non classés au sein des chapitres acoustiques, puis ceux du chapitre 1, du chapitre 2 et enfin de la partie basse du chapitre 3 – des équipementiers ayant conçu des dispositifs permettant d'en satisfaire les conditions minimales. Aujourd'hui, nous limitons dans le temps les mouvements des appareils relevant de la partie haute de ce chapitre. L'accord international à l'origine de ces progrès a été défendu par l'Europe et les États-Unis.

Monsieur Pérat, à quoi serviraient les pilotes s'ils ne disposaient pas de marges de manoeuvre ? Il est attendu d'eux une parfaite connaissance de la réglementation technique, c'est-à-dire de la codification des règles de l'art. Celle-ci a été réalisée pour leur donner les meilleurs conseils possibles. Ils doivent aussi savoir utiliser tous les modes dégradés de pilotage, et connaître, en cas de panne, les conséquences de celle-ci. Enfin, au pire, ils doivent aussi être capables de reprendre la main « à l'ancienne », en coupant les automatismes. Certes, cette dernière solution est moins efficace en terme de sécurité que le maintien des automatismes et systèmes de sécurité existants ; cependant, les systèmes de sécurité peuvent avoir des effets pervers lorsque leur action n'est plus absolument maîtrisée. Je ne crois pas une seconde qu'un pilote puisse ne pas chercher à sauver son avion pour respecter la réglementation ou préserver son évolution de carrière ! Non seulement il est dans l'avion, mais son honneur s'y oppose.

Cela dit, les syndicats de pilotes soulèvent fréquemment la question de la « just culture », la distinction de l'erreur et de la faute. Une erreur ne relève pas de la loi pénale car dans quel métier n'en commet-on pas ? Cependant, il faut savoir identifier la faute qui mérite sanction. La laisser à l'appréciation exclusive du juge reviendrait à nier tout système disciplinaire interne. De plus, si tout expert d'un métier à risque – pilote mais aussi contrôleur aérien, médecin ou encore constructeur d'ouvrage d'art – est mis en examen à chaque erreur de choix, plus personne ne pourra travailler. Pour autant, il ne faut pas tomber dans l'impunité. Si, alors que le déroulement d'un vol – qui pourtant s'est achevé normalement – suscite des interrogations, il n'était pas possible d'accéder à ses paramètres, et notamment aux boîtes noires, parce que des éléments disciplinaires relatifs aux pilotes pourraient apparaître, il ne serait plus possible de faire progresser l'aviation à partir d'incidents mineurs. Inversement, ne pas réduire les pilotes à un mutisme total dans le cockpit ou à la dissimulation de l'ensemble des informations de vol suppose de ne pas engager sans discernement des procédures de sanctions internes. La gestion de cet écart suppose déontologie et dialogue. A mes yeux, les conventions en cours de finalisation à Air France représentent certainement la meilleure façon de progresser.

Nous participons activement à la recherche sur les biocarburants, notamment dans le cadre de l'Union européenne. Ceux-ci constituent sûrement une voie de progrès, à condition d'aboutir à un gain d'émission de CO2. Ainsi, la production de kérosène à partir de la liquéfaction de la houille – le procédé, dit de Fischer-Tropsch, qui date de la Seconde Guerre mondiale, est tout à fait efficace – ne peut avoir le moindre effet positif sur la production de CO2. En revanche, en cas de production de kérosène à partir de la biomasse, le carbone rejeté n'est pas du carbone fossile mais du carbone atmosphérique transformé en produits végétaux ou ligneux par photosynthèse, puis brûlé. Le carbone rejeté dans l'atmosphère s'y trouvait donc déjà. Ainsi, au contraire de l'utilisation de pétrole, celle de ce type de carburant remplace des émissions de carbone fossile par un cycle du carbone atmosphérique, sans émission nouvelle.

Nous sommes tous favorables à ce type de recherche. Cela dit, l'utilisation de biocarburant est beaucoup plus délicate dans l'aviation que dans l'automobile. En effet, un carburant d'avion doit rester liquide à la fois au soleil, l'été, dans un pays désertique du Moyen-Orient, et en haute atmosphère, à moins 50 degrés, sans le moindre cristal de glace. De ce fait, la variété de produits chimiques utilisables est beaucoup plus faible que pour l'automobile ; aucune automobile ne passe dans la même journée d'un environnement de plus 80°degrés à un autre de moins 50 degrés !

Il faudra aussi que le biocarburant soit produit en quantité suffisante, sauf à effectuer des mélanges. De plus, si la production de biocarburants a donné de bons résultats techniques, elle ne peut aujourd'hui s'insérer dans le système économique. Ce serait donc une hérésie de renchérir à ce point les coûts de l'aviation en les utilisant. En attendant que la baisse des coûts de production des nouveaux carburants et la hausse de ceux des carburants fossiles fassent rentrer les premiers dans les prix du marché, il semble préférable que, via les systèmes de permis d'émission, l'aviation finance d'autres secteurs, car elle ne représente que 2 % de la consommation mondiale.

Nous n'avons pas travaillé sur les biocarburants de deuxième génération, Pourquoi ? Le rendement énergétique de carburants fabriqués à base de produits oléagineux ou sucrés n'est en général pas excellent. De plus cette transformation entre en compétition avec la production de produits alimentaires, alors que la Terre ne nourrit pas tous ses habitants. En revanche, les biocarburants de troisième génération, qui utilisent la plante entière, notamment des déchets de bois, des plantes sans intérêt alimentaire ou encore des algues marines – lesquelles proviennent directement de la transformation de la lumière par photosynthèse – constituent une voie très intéressante. Nous y travaillons, avec des espoirs vraiment sérieux dans un avenir proche. Cependant, l'aviation reste, pour l'utilisation des biocarburants, le mode de transport le plus difficile.

Messieurs Chassaigne et Le Nay, l'éolien et l'aviation n'ont aucune raison de ne pas coexister… sauf aux environs des aéroports. En effet, le sommet des pales des éoliennes peut atteindre 150 mètres au-dessus du niveau du sol, ce qui équivaut à 500 pieds, soit le niveau bas de vol de croisière des avions. Par ailleurs, pour atterrir, un avion doit descendre. Autrement dit, à proximité des aéroports, et pas seulement dans l'axe des pistes, l'emplacement des éoliennes doit faire l'objet d'un choix attentif.

En application du code de l'aviation civile, la DGAC est consultée sur l'ensemble des emplacements d'éoliennes. Dans plus de 80 % des cas, son avis est favorable ; dans les autres cas, nous négocions avec le constructeur au regard des circuits aériens car nous sommes souvent en situation de lui donner de bons conseils pour la progression du dossier : le plus souvent une seule des éoliennes prévues pose difficulté. Il est même arrivé qu'une piste d'un petit aéroport soit reconfigurée pour permettre l'implantation d'un champ d'éoliennes. Les refus de construction sont donc minoritaires. Cela dit, chaque dossier suppose une étude détaillée, tant de la position du champ éolien que du circuit des pistes aéroportuaires.

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