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Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 16 juin 2010 à 21h30
Lutte contre l'absentéisme scolaire — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille :

Chercher à le faire oublier et détourner le débat sur les allocations familiales, ce n'est pas seulement faire preuve de démagogie, c'est esquisser une politique de relégation à l'égard de personnes qui souffrent déjà bien souvent de relégation sociale.

Voilà comment gâcher l'occasion du grand débat que nous devrions mener en commun sur l'échec scolaire, l'absentéisme, le décrochage. C'est un vrai débat sur l'éducation nationale qui est nécessaire.

Sommes-nous aujourd'hui vraiment sûrs que le système scolaire offre les mêmes chances à tous les enfants, qu'il soit encore une machine à intégrer ? N'induit-il pas lui-même cet absentéisme qui aboutit, en fin de parcours, aux décrochages que nous déplorons tous?

Il est clair que cette proposition de loi est d'abord une mesure d'affichage et de diversion voulue par le Gouvernement. Le calendrier de son examen ne relève bien évidemment pas du hasard. Il s'inscrit dans la continuité d'un discours parfaitement rodé et emblématique de l'exécutif sur les questions de sécurité, consistant à pointer du doigt les jeunes absentéistes comme des pré-délinquants.

Absentéiste égale délinquant. Bien sûr ce n'est pas dit aussi clairement. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Et pour cause, ce n'est étayé par aucune étude sérieuse. Mais pourquoi remettre sur le devant de la scène cette idée récurrente de suppression des allocations familiales dès qu'il est question de lutte contre la délinquance ?

Une lutte qui, à vos yeux, est indissociable d'un discours anxiogène sur les jeunes, discours qui est d'ailleurs de plus en plus mal supporté par les professionnels de santé, qui, dans le cadre d'un collectif des États généreux de l'enfant, sont venus vous rendre visite aujourd'hui, madame la secrétaire d'État.

Ces jeunes sont de plus en plus vus comme des délinquants potentiels, dont l'absentéisme serait le premier passage à l'acte, alors qu'il est malheureusement, cela a été dit, la conséquence de l'échec scolaire.

Pour illustrer mon propos, il suffit de revenir sur quelques faits et dires récents du Président de la République, qui reprend, comme il sait si bien le faire, le champ lexical de la peur et de la stigmatisation des jeunes.

Le 24 mars, trois jours après la défaite électorale, il assure qu'il n'y aura « plus aucune concession » à l'égard des perturbateurs.

À Bobigny, le 20 avril, il annonce que les allocations familiales pourraient être suspendues en cas d'absentéisme scolaire.

Enfin, le 25 mai dernier, lors d'une visite dans un collège de Beauvais, il assimile violences scolaires et absentéisme.

Ces déclarations successives ont au moins le mérite de nous éclairer sur la vision de Nicolas Sarkozy. Pour lui, l'absentéisme est nécessairement une propédeutique de la délinquance et de la violence. Cet amalgame réducteur et stigmatisant est une manière d'évacuer la question des causes de l'absentéisme en l'expliquant par sa finalité criminogène supposée. Et il oblige, nous oblige, à ne voir le problème que sous un seul angle : celui de l'insécurité.

On peut s'interroger sur la pertinence de cette stratégie de communication, mais force est de constater qu'elle est utilisée à chaque fois qu'il s'agit de faire remonter la cote de popularité du Président de la République.

Au-delà de ces effets d'annonces, dont le premier objectif est de faire la une des journaux télévisés, cette position véhicule des idées dangereuses, car elle oppose les Français et fragilise la cohésion sociale et nationale.

Tout d'abord, elle incite à penser qu'il y aurait, d'un côté, de bons parents, et de l'autre, de mauvais parents, irresponsables, qui profiteraient indûment de l'État providence. Il y aurait des familles méritantes, qu'il faudrait récompenser, et d'autres qui ne sont pas à la hauteur de leurs devoirs éducatifs : cette conception évoque une logique contraire – et c'est là le problème – à la philosophie des allocations familiales, lesquelles, rappelons-le, sont versées pour l'enfant, pour les charges qu'il représente, et sont donc dues, comme telles, à toutes les familles.

Ensuite, ce texte vise, dans l'inconscient collectif, à stigmatiser une certaine partie de la population, soupçonnée de vivre d'allocations. J'en veux pour preuve que votre texte précise dès l'article 4 que la perte des allocations ne doit pas être prise en compte dans le calcul des minima sociaux. Cela révèle bien que vous pensez d'emblée qu'elle touchera prioritairement les bénéficiaires de ces minima !

Le premier objectif de ce texte, et c'est cela qui est dérangeant, n'est pas tant d'avoir des effets sur l'absentéisme que de donner le sentiment d'agir contre l'insécurité à coup de phrases chocs et à grand renfort de communication.

Une communication qui présente cette loi comme volontariste et novatrice. Là encore, erreur ! Cette mesure de suppression des allocations familiales en cas d'absentéisme répété date de 1966. Cette possibilité avait été supprimée par décret en 2004, à la suite des conclusions rendues sur le sujet dans un rapport commandé par Luc Ferry, alors ministre de l'éducation, au motif que la suspension des allocations était « injuste et inefficace » et jugée non conforme aux principes généraux du droit et aux conventions internationales – excusez du peu !

Surviennent alors les émeutes de 2005. Le ministre de l'intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy – quelle coïncidence ! –, se saisit de l'événement pour remettre la suspension au goût du jour. C'est ainsi que la loi de cohésion sociale du 31 mars 2006 crée le contrat de responsabilité parentale et réinstaure comme sanction ultime la possibilité pour le président du conseil général de suspendre les allocations familiales. Problème : la loi n'est pas appliquée. Depuis la rentrée 2006-2007, aucun cas de suspension des allocations n'a été relevé dans le cadre d'un contrat de responsabilité parentale. Les conseils généraux se saisissent peu du dispositif de contractualisation, qui peut être jugé intéressant, mais dont le refus entraînerait la suppression des allocations. Peu de présidents souhaitent s'engager dans cette voie qui leur pose problème.

Comme tel était bel et bien l'objectif du Gouvernement, il en tire la conclusion inverse et considère qu'il faut durcir la loi. L'idée ressurgit aussi lors du débat sur la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, plus communément appelée LOPPSI 2. Lors de son examen en première lecture, en février dernier, il fut question d'un éventuel amendement proposant de donner la possibilité, non plus au président du conseil général mais au préfet, de supprimer ces prestations familiales.

Cette éventualité n'ayant pas eu de suite, quelques semaines plus tard, le Président de la République – encore lui – demande publiquement au secrétaire national de l'UMP, non pas à l'éducation mais à la sécurité,…

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