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Intervention de Jean-Pierre Brard

Réunion du 10 juin 2010 à 9h30
Régulation bancaire et financière — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Brard :

…de 91 000 à 592 000 milliards de dollars entre 1998 et 2008, vous en déduisez que ce secteur de l'économie doit être un puissant moteur pour la création de richesses et, par conséquent, un levier essentiel pour l'ensemble de l'économie. L'état actuel de notre économie, le chômage de masse, la généralisation des temps partiels subis, les délocalisations, le surendettement rampant de nos concitoyens et la dette colossale de presque tous les pays de la planète d'un côté, et le retour des bonus, les profits extravagants des banques, et l'explosion des inégalités de l'autre, prouvent pourtant le contraire.

Tout ce que vous avez fait jusqu'ici, c'était de répondre aux exigences des marchés financiers en injectant toujours plus de liquidités dans les circuits du casino mondial. Ainsi, vous ne cessez d'encourager les pratiques qui, depuis deux décennies, favorisent systématiquement la recherche du profit facile au détriment des investissements productifs, créateurs d'emplois et de richesses pour l'ensemble de la société.

Le Gouvernement et vous-même êtes encore cohérents – quoique cyniques – lorsque vous dites vouloir saisir l'opportunité de la crise. Vous cherchez à en profiter pour promouvoir un modèle de société qui mette les intérêts des grands groupes privés au centre de l'action politique où les assurances privées auront vocation à remplacer les caisses de retraites et la sécurité sociale pour la plus grande joie des actionnaires. Vous voulez encore détériorer la répartition des fruits du travail au bénéfice de la rentabilité du capital, au détriment de la rémunération du travail et des conditions de vie de nos honnêtes concitoyens, par opposition à ceux qui s'enrichissent sans travailler vraiment.

Rien d'autre que cela ne se cache derrière la nécessité absolue – comme vous le répétez sans cesse – de mettre en place des plans d'austérité drastiques dans tous les pays européens.

Il s'agit tout simplement d'offrir sur un plateau d'argent aux investisseurs privés tous les services publics : la santé, l'éducation, les transports, le gaz, l'électricité, mais aussi, bien sûr, les retraites. Vous continuez de faire confiance aux spéculateurs pour être le moteur d'une croissance censée profiter à l'ensemble de la société.

Quand allez-vous enfin comprendre, madame la ministre, mes chers collègues de la majorité, que ce modèle économique nous conduit tout droit dans le mur ?

Votre cohérence politique est celle des talibans de la finance, ces intégristes en costumes trois-pièces de la City de Londres, de Wall Street et des étages supérieurs de nos grandes banques. Je les compare aux talibans parce que, sur le fond, ils ne valent pas mieux que Ben Laden et sont aussi dangereux que lui pour l'avenir de nos sociétés.

Parce que ce sont ces gens-là qui vous conseillent, parce que ce sont ceux-là auxquels vous faites confiance pour prendre les rênes de l'économie mondiale, vous êtes, madame la ministre, parfaitement cohérente avec vous-même lorsque vous nous présentez un projet de régulation bancaire qui n'en est pas un. Vous ne souhaitez pas réguler, ni surveiller. Vous cherchez seulement à donner l'impression de le faire en vous contentant de supprimer quelques excès.

Votre problème, si je puis me permettre, madame la ministre, c'est que l'opinion publique, c'est que les Français ne partagent pas vos options idéologiques. Les gens ne sont pas dupes, ils ont bien compris qu'il faut mettre un terme à des pratiques spéculatives qui ne profitent qu'à une poignée de privilégiés tout en plongeant la grande majorité dans la difficulté et la détresse.

La colère gronde dans nos villes, madame la ministre, et elle gronde tellement que vous ne pouvez plus l'ignorer, même enfermée dans votre tour d'ivoire.

Alors, pour apaiser la colère comme vous cherchez à apaiser les marchés, vous communiquez, le Président de la République gesticule et vous faites de la politique spectacle.

Premier acte : vous multipliez les déclarations à la fois tonitruantes et lénifiantes. Ainsi, Nicolas Sarkozy, dès septembre 2008, à Toulon, avait déclaré que « les responsabilités doivent être recherchées et les responsables de ce naufrage au moins sanctionnés financièrement. L'impunité serait immorale ». Vous voyez, à travers cette citation, que le Président de la République s'accommode parfaitement de l'immoralité. Nicolas Sarkozy de poursuivre : « Il faut ensuite réglementer les banques pour réguler le système. »

Un an plus tard, au sommet du G 20 à Pittsburgh, vous avez déclaré, madame la ministre, que nous nous trouvions, dans « un moment crucial de transition entre la crise et la reprise pour tourner la page d'une ère d'irresponsabilité et adopter un ensemble de mesures, de règles et de réformes nécessaires pour répondre aux besoins de l'économie mondiale du XXIe siècle. » Aujourd'hui, vous dites vouloir, si l'on en croit votre texte, « entraîner la communauté internationale à tirer les leçons de la crise pour que ce qui s'est produit ne se reproduise plus. » En résumé, nous aurons eu trois années de bonnes intentions, ou plutôt trois années de faux-semblants.

Deuxième acte : pour mieux maquiller votre inaction, vous vous cachez derrière les instances européennes et internationales. Votre gouvernement a fait le choix délibéré de se dédouaner de ses responsabilités en confiant un rôle faussement moteur à la Commission européenne, au Fonds monétaire international, au G 7, au G 20 et, plus généralement, à la négociation internationale. Nous avons désormais l'habitude de ce genre de procédé. Le dernier épisode en date a été celui du pseudo-plan de stabilisation d'il y a à peine deux semaines.

En ce qui concerne la régulation des banques et « la moralisation du capitalisme », pour reprendre les mots de Nicolas Sarkozy, vous procédez exactement de la même manière. Le dernier exemple ne date pas de plus tard que mardi soir : dans une lettre commune signée par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, ces deux héros de la régulation estiment « qu'il existe un besoin urgent que la Commission puisse accélérer ses travaux s'agissant de l'encadrement renforcé du marché des CDS souverains et des ventes à découvert, et présente, avant l'ECOFIN de juillet, l'ensemble des pistes d'action envisageables ».

Il faut croire qu'Angela Merkel a cru que tout était dit dans cette lettre puisqu'elle a annulé son rendez-vous avec Nicolas Sarkozy. Procédé plus que classique : lorsqu'il y a un problème, c'est toujours la faute de Bruxelles. Passons sur le fait que le moteur franco-allemand ne demande qu'une régulation minimale.

Le troisième acte s'est joué outre-Atlantique. Vu l'inaction coupable des dirigeants européens, je serais presque tenté de rendre hommage au président Barack Obama, même si je ne fais pas partie de ses idolâtres car il ne faut jamais oublier ce qu'il a dit le soir de son élection : « J'ai été élu pour rétablir le leadership des États-Unis ». Or aucun d'entre nous, j'imagine, n'est demandeur d'un leadership des États-Unis : nous sommes demandeurs d'égalité dans les relations internationales. Reste que Barack Obama a fait preuve d'un certain courage en proposant une loi dont l'énumération des mesures prendrait malheureusement trop de temps.

Vous noterez en tout cas que le président américain n'hésite pas à s'en prendre à Wall Street. On attend donc que le Gouvernement français s'en prenne à la Bourse. Vous cherchez toujours des compromis souterrains mais jamais n'appelez un chat un chat.

Or, croyez-moi, la liste des mesures proposées par Barack Obama est longue, mes chers collègues, bien trop longue pour être traduite en une loi de régulation bancaire de seulement sept articles.

Madame la ministre, vous voyez qu'il n'est absolument pas crédible de se cacher derrière la prétendue nécessité d'aboutir, avant toute initiative nationale, à un consensus international. Cela s'appelle d'ailleurs « mettre la charrue avant les boeufs », puisque les mesures nationales servent de base de négociation dans les instances internationales.

Les États-Unis et, dans une moindre mesure, l'Allemagne, l'ont bien compris. Contrairement à vous, madame la ministre, ils ont compris que la sauvegarde de ce système – système que nous combattons par ailleurs – passe par une certaine dose de régulation. Plus exactement, un peu moins aveuglés par les dogmes du capitalisme financier, les dirigeants de ces pays ont compris que la seule chance, certes minime, de sauver ce système était de faire preuve d'un certain pragmatisme.

Le pragmatisme, en l'occurrence, c'est la régulation. Or, en la matière, selon notre collègue Christian Kert, votre projet de loi serait creux. Je ne dirais pas, pour ma part, qu'il est creux mais qu'il est vide. En effet, selon la définition de Raymond Devos, qu'est-ce que le vide ? Un trou avec rien autour. (Sourires.) J'ignore si cette définition agréerait aux physiciens mais elle s'applique à mon avis plutôt bien à votre texte.

Avant d'entrer dans le détail des sept articles de ce projet, permettez-moi de formuler une remarque sur les notions de « régulation » et de « surveillance ».

La régulation et la surveillance ne se recoupent pas du tout : réguler, madame la ministre, c'est édicter de nouvelles règles, c'est transformer le fonctionnement des marchés financiers et imposer de nouveaux devoirs aux banquiers ; surveiller, en revanche, c'est faire en sorte que les règles actuelles soient bien respectées.

Vous pouvez, du moins en théorie, installer des détecteurs de fumée dans tous les logements et poster un pompier à chaque coin de rue, mais tant que vous n'aurez pas interdit les feux de camp en plein milieu du salon, les incendies ne cesseront de faire des ravages. On a vu dans le passé, avec la Caisse d'épargne, comment la surveillance a marché, alors que l'AMF avait pourtant relevé des irrégularités.

En ce qui concerne ce projet de loi, vous aurez compris, madame la ministre, que nous considérons que vous et votre gouvernement, voulez au mieux introduire quelques mécanismes de surveillance.

Ainsi, l'article 1er prévoit la création d'un « machin », comme disait le général de Gaulle, trompeusement appelé « Conseil de régulation financière et du risque systémique. »

Ce nouveau conseil « pourra auditionner des professionnels du secteur financier en tant que de besoin », est-il écrit dans l'exposé des motifs. Madame la ministre, votre dernière invention ne peut manquer de me faire penser à la création du fameux Financial Stability Board, le conseil de stabilité financière créé après la crise asiatique de 1997-1998 pour mieux surveiller la finance : on a vu à quoi cela a servi !

Ce nouveau conseil permettra également, selon vous, « de renforcer le dispositif français de négociation des normes internationales et européennes en matière de régulation financière. » En résumé, vous voulez créer une commission d'experts, une sorte de « commission Clemenceau », pour reprendre l'expression de Nadine Morano, c'est-à-dire une instance animée par ceux-là même qui profitent du système actuel.

Quant au deuxième article de ce projet de loi, il donne au président de l'Autorité des marchés financiers, toujours selon l'exposé des motifs, la « capacité de prendre des mesures d'urgence [...] pour faire face aux situations exceptionnelles de marché. » En somme, le gendarme de la bourse sera, demain, également son pompier. Malheureusement, les situations exceptionnelles de marché ont tendance à se généraliser depuis quelques mois.

Les articles 3 et 4 prévoient l'introduction dans le droit français d'un contrôle des agences de notation. En réalité, il s'agit encore seulement d'une belle formule puisque cela consistera essentiellement en l'encaissement par l'AMF d'un droit d'enregistrement desdites agences. Même nos collègues du Nouveau Centre, qui ne sont pourtant pas des bolcheviques en puissance, ont déposé un amendement visant à créer une agence de notation européenne.

Les articles 5, 6 et 7 prétendent « renforcer l'efficacité du contrôle des groupes bancaires européens », mais il ne s'agit que de la transposition en droit français de la directive européenne du 16 septembre 2009 relative à la réglementation bancaire.

Vous le voyez, mes chers collègues, avec ce projet de loi, nous sommes bien en deçà de ce que l'on pourrait légitimement attendre d'un gouvernement qui prétend « réglementer les banques pour réguler le système », selon les propres termes de Nicolas Sarkozy en septembre 2008. Le Gouvernement s'applique à lui-même la loi sur le service minimum, et les conséquences en sont toujours aussi désastreuses.

Des marges de manoeuvre existent pourtant pour mettre un terme à la domination des marchés et pour rétablir le primat du politique sur les diktats d'une économie spéculative devenue folle. Je n'aurai malheureusement pas le temps de vous détailler les mesures que vous auriez dû prendre dès l'année dernière. Mais vous aurez compris, mes chers collègues, madame la ministre, que les députés du groupe de la gauche démocrate et républicaine s'opposeront à un projet de régulation bancaire qui n'a de régulateur que le nom. Nous ne cautionnons pas cette mascarade. C'est un projet dilatoire, une illusion, un faire-semblant. Tout cela n'est que cautère sur jambe de bois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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