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Intervention de Jean-Michel Lemétayer

Réunion du 2 juin 2010 à 9h30
Commission des affaires économiques

Jean-Michel Lemétayer, président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, FNSEA :

Je répondrai globalement à vos questions, dont la variété témoigne de l'intérêt que vous portez à ce débat.

C'est selon ce que nous en ferons, que le texte apportera beaucoup ou, au contraire, n'apportera rien.

Chacun sait que les producteurs n'ont pas toute leur place dans les filières agricoles, qui ne sont pas bien organisées. Si le projet de loi permet de redonner le pouvoir aux producteurs dans la filière, alors il aura permis de faire un grand pas.

La politique de contractualisation existe déjà, mais c'est l'industriel, et non pas le producteur, qui décide du contrat. Avec ce texte, ce dernier sera défini par la filière dans le cadre de l'interprofession. C'est une mesure essentielle, car elle permet de redonner sa place au producteur.

Quant aux rapports entre le privé et les coopératives, monsieur Auclair, les contre-exemples sont aussi nombreux que les exemples. Il y a ainsi trop de concurrence dans la filière porcine, puisque, en contradiction avec l'esprit coopératif, les coopératives luttent entre elles pour ravir les parts de marché. Au Danemark, il existe une seule structure. Conviendrait-il de réunir les quatre grandes coopératives restantes ? Les producteurs protesteraient. Exemple inverse : il y a trois ans, les prix du marché des céréales flambaient. Un représentant du secteur de la conserve de légumes est venu me trouver en vue d'imposer des droits à paiement unique (DPU) aux producteurs de légumes de plein champ, ce qui aurait accentué la baisse des prix. J'ai au contraire demandé à ce qu'il augmente le prix d'achat au producteur, et le contrat a été revalorisé.

Quant à la politique des structures menée au début des années soixante, on s'aperçoit, si on en fait le bilan, que tous les départements n'ont pas joué le jeu. Vous pouvez voter toutes les lois que vous voulez, si les hommes sur le terrain ne souhaitent pas les appliquer, c'est le laisser-faire généralisé. Le texte n'améliorera l'organisation des filières que si les acteurs, de la production à la transformation, voire à la distribution pour le secteur des fruits et légumes et du vin, le veulent bien. J'ai signé, il y a trois ans, une convention pour le secteur viticole avec la grande distribution, du fait que 70 % de la production de vin passe par celle-ci : je ne suis pas certain que cette convention ait servi à grand-chose. Je le répète : si, en France, les acteurs, du producteur au distributeur en passant par le transformateur, acceptent de se mettre autour d'une table pour défendre leurs intérêts communs, alors, ils seront gagnants gagnants. La loi n'est qu'un cadre de travail.

Je suis opposé au règne du tout marché. Toutefois, ne nous faisons pas d'illusion : en Europe et dans le reste du monde, la règle, c'est le libre marché. J'ai participé aux deux cycles de l'OMC, Seattle et Doha, et j'ai été à tous les rendez-vous, notamment à ceux de Hongkong, de Cancun et de Genève : l'objectif est que l'agriculture et l'alimentaire servent à la libéralisation des services et de l'industrie. Or, il y a un consensus en France pour considérer que l'agriculture est un élément stratégique. Tous les dirigeants européens, à l'exemple des Américains, devraient considérer l'agriculture comme une priorité.

De plus, les Français devraient présenter un front uni, ce qu'ils ne font pas toujours : l'interprofession viticole s'est présentée en ordre dispersé à Vinexpo, qui s'est tenu cette année à Hongkong, contrairement aux viticulteurs argentins, chiliens, italiens ou espagnols, qui présentaient un front uni. Chaque filière devrait les imiter. Si le débat, qui ne peut avoir lieu qu'au sein de l'interprofession, n'aboutit pas, alors, dans quelques années, les multinationales prendront la place, en France même, d'une multitude de PME agricoles et agroalimentaires qui irriguent le territoire national.

C'est toute la difficulté de la LME : une grande multinationale peut se défendre face à la grande distribution, contrairement à une PME. Or, les mêmes règles commerciales s'appliquent aux deux. Il conviendrait d'en instaurer qui permettent aux PME de se défendre, elles aussi, face à la grande distribution.

La FNSEA a adopté, voilà deux ans, lors de son congrès, une résolution appelant tous les acteurs des filières à mieux s'organiser. Il convient toutefois de rester réaliste : chaque marché a ses spécificités et le cadre législatif, tout en étant incitatif, ne peut être que général. Il doit inviter les acteurs à mieux s'organiser et à faire preuve de responsabilité, par un respect mutuel au sein de chaque filière. Chacune d'entre elles devra alors s'efforcer de déterminer de manière consensuelle une valeur ajoutée. Les distributeurs eux-mêmes le savent – c'est pourquoi il conviendrait de développer le partenariat avec eux : tous les acteurs ont intérêt à ce que l'agriculture française se porte bien, ou du moins se porte mieux et fasse vivre les exploitants. Il y va des investissements de chaque maillon de la filière. À quoi cela servira-t-il à la grande distribution d'être toujours capable d'investir si l'industrie agroalimentaire ou les producteurs n'en ont plus la capacité ?

La contractualisation est un des grands volets du projet de loi et on ne saurait en réduire la portée à la sortie des quotas laitiers. Toutefois, lorsque celle-ci se produira, voulons-nous que ce soient Lactalis, Danone ou la coopérative Sodiaal qui décident pour les producteurs ? Ne conviendra-t-il pas au contraire que tous les acteurs se mettent autour de la table pour décider des contrats, notamment en termes de volume de production ?

Dans toutes les filières, les producteurs pourront ainsi prendre part à la décision, tous les acteurs devant se rappeler que nous sommes loin d'être les seuls en Europe, que les choix effectués ont une répercussion au-delà de nos frontières et qu'on ne saurait accepter de se laisser marcher sur les pieds en permanence, comme aujourd'hui par les Allemands, qui ont décidé de développer à grande vitesse leur agriculture et leur industrie agroalimentaire, notamment dans le secteur des fruits et légumes, où ils nous prennent des parts de marché. Pour redresser la tête, les producteurs et les industriels français doivent s'organiser afin d'affronter ensemble le marché européen.

En ce qui concerne les mesures de déduction fiscale, la FNSEA a pris position l'année dernière : pour elle, il est nécessaire, tout en allant vers la DPA, de maintenir une part de dotation pour investissement. Même s'il convient d'éviter les dérapages, la suppression de la DPI serait une erreur.

S'agissant des chambres d'agriculture, la mesure a été prise à la demande de deux régions – le Nord-Pas-de-Calais et l'Alsace – qui comptent seulement deux chambres souhaitant se regrouper. Une telle faculté, qui va dans le sens de la régionalisation des politiques publiques, reposerait sur le volontariat. J'invite le rapporteur à étudier la question avec M. Guy Vasseur, le président des chambres d'agriculture. Toutefois, n'interdisons pas aux chambres qui le souhaitent de travailler sur le plan régional. La mise en commun des moyens, notamment en recherche expérimentale, me paraît être une source intelligente d'économies – du reste, elle se pratique déjà.

Quant aux forêts, je n'ai pas la réponse. Je sais que ce dossier pose des problèmes à certaines chambres d'agriculture qui recouvrent des territoires très boisés. Il serait souhaitable que le rapporteur étudie la question avec les intéressés.

Pour ce qui est des interprofessions, je n'ai pas changé d'avis depuis l'époque où j'ai convaincu Jean Glavany, alors ministre de l'agriculture, de ne pas les ouvrir. Je n'imagine pas demander une place au nom de la FNSEA dans 21 interprofessions relevant de la viticulture ! Et surtout, il ne faudrait pas oublier que ces interprofessions sont des organismes de droit privé. Il me paraît difficile de revenir sur ce statut alors que la France a exercé un recours au niveau européen pour défendre non seulement le caractère de droit privé des interprofessions en tant que telles, mais aussi celui de leurs ressources. Je rappelle que la France a été attaquée par Bruxelles au motif que les cotisations volontaires obligatoires (CVO) seraient de nature publique.

Je ne reviendrai pas sur l'histoire des interprofessions, car chacun la connaît. Certaines d'entre elles datent de la « guerre du lait » de 1972, avant même l'adoption de la loi de 1975. Elles correspondent à une démarche volontaire lancée par les acteurs concernés. C'est pourquoi il n'existe pas de modèle commun : certaines interprofessions sont organisées sous forme de « familles », d'autres de collèges rassemblant différents types d'acteurs, y compris les distributeurs et les consommateurs dans certains cas. Les interprofessions doivent prendre leurs responsabilités et assurer leurs missions d'intérêt général.

Comme les autres syndicats, la FNSEA désigne des représentants au sein des différentes sections des offices et au sein de FranceAgriMer, mais elle ne le fait pas pour les interprofessions. Cela ne signifie pas que ces dernières n'ont pas de comptes à rendre. Elles bénéficient de cotisations qui étaient à l'origine volontaires, mais qui ont été rendues obligatoires en considération de leur intérêt général. Cela étant, il faut reconnaître que les interprofessions n'ont rien à voir avec les offices et les autres instances paritaires.

J'ajoute qu'il existe une sorte d'interprofession à laquelle nous ne participons pas, alors que nous sommes un des grands employeurs de main-d'oeuvre dans ce pays : c'est l'interprofession de la politique sociale. Le MEDEF, la CGPME et l'UPA y participent, ainsi que les cinq syndicats de salariés, et non l'UNAPL et la FNSEA, alors que les décisions prises s'appliquent à tous.

Vous aurez compris que je ne défends pas la position de la FNSEA sur ce point, car elle n'est pas concernée. C'est le statut de droit privé des interprofessions que je défends. Si nous l'abandonnons, les politiques qui sont menées devront changer.

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