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Intervention de Hubert du Mesnil

Réunion du 19 mai 2010 à 18h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Hubert du Mesnil, président de Réseau ferré de France :

Je me contenterai d'aborder quelques points afin de lancer la discussion sur un sujet fort complexe. Quel est l'impact de la conjoncture sur notre activité et notre situation ? Que peut-on dire des problèmes de fond et d'équilibre économique de ce réseau, de son avenir, de son développement et de ses investissements ?

Nous avons un métier de gestionnaire de réseau et nous amortissons les effets de la crise. Très concrètement, l'année dernière, la crise n'a pas eu d'impact sur le nombre de trains de voyageurs. En revanche, elle en a eu sur le trafic de fret, qui a perdu 25 %. Mais le fret nous rapportant très peu en péages – 160 millions d'euros sur 3 milliards –, cette perte ne s'est pas beaucoup ressentie.

Il peut sembler indécent de traverser la crise sans trop de dommages et avec des résultats positifs en grande partie conformes à nos prévisions, d'autant que la baisse des taux d'intérêt nous a fait économiser pratiquement 300 millions d'euros. Il faut ajouter que les gestionnaires d'infrastructures que nous sommes sont moins sensibles que les transporteurs, qui « sur réagissent » aux effets de la crise ; c'est le cas de la SNCF et d'Air France. Nous n'avons donc pas grand mérite à faire ce constat. Malgré tout, nous avons joué un rôle positif d'amortisseur puisque nous avons contribué au plan de relance et atteint l'an dernier 100 % de notre objectif de croissance d'investissement. Ainsi, 3,4 milliards d'euros ont été investis dans le réseau, ce qui constitue un record.

Nous avons aussi ressenti en 2009 les effets de la restructuration financière décidée par le Parlement : jusque-là, RFF était subventionné sur différentes lignes comptables par l'État et ces lignes ont été regroupées et retracées dans le compte de résultat. Cela a entraîné une amélioration mécanique de notre résultat, les subventions qui apparaissaient en investissement passant de la sorte en résultats. Cette amélioration va toutefois au-delà des apparences car, s'il n'y a pas un euro de plus dans la caisse, notre résultat ressemble davantage à un résultat d'entreprise et il est positif, ce qui signifie que nous disposons d'une capacité d'autofinancement. Cela a amené l'État à nous confier la responsabilité de piloter la rénovation du réseau, en en assurant nous-mêmes le financement – en recourant également à l'emprunt en cas de besoin –, alors que vous votiez précédemment une subvention annuelle de renouvellement du réseau, financée à 100 % par l'État, ce qui faisait de ce dernier le pilote de la rénovation du réseau. Maintenant, il nous apporte un complément de chiffre d'affaires, ce qui créée une capacité d'autofinancement. Notre structure de comptes ressemble davantage à une structure d'entreprise, qui dégage, en résultat, une capacité de financement. L'entreprise a une politique d'investissement et de renouvellement de son réseau, qu'elle décide en fonction de critères de performance ou de critères d'évaluation économique.

Nous percevons environ 3 milliards d'euros de recettes commerciales au titre des péages, auxquels s'ajoutent 2,3 milliards de subvention complémentaire de l'État.

Notre dette atteint 28 milliards d'euros dont 7 milliards de dette créée par RFF pour financer des projets d'investissement et un stock compris entre 21 et 22 milliards qu'il nous faut gérer.

Le contrat de performance avait pour objectifs que nous nous mettions d'accord avec l'État sur les grandes orientations stratégiques de l'entreprise ; que nous disposions d'un plan d'affaires, c'est-à-dire de prévisions de recettes, de dépenses, d'activité et de résultats, pour quatre ou cinq ans ; que nous élaborions une trajectoire de long terme pour savoir où tout cela nous mène.

Conformément aux objectifs que l'État nous confie, notre priorité est d'ouvrir le réseau à la concurrence – 15 % des parts de marché du trafic de fret sont assurés par d'autres entreprises que la SNCF et le trafic de voyageurs s'ouvre progressivement – et de nous inscrire dans un marché européen en matière de transport, mais aussi d'ingénierie et de conception, y compris en nous adressant à de nouveaux acteurs, grâce notamment à des partenariats public-privé(PPP). Il nous revient aussi de rénover et de moderniser un réseau souvent ancien, obsolète et inadapté. Nous devons également bâtir l'équilibre économique de ce réseau. Il nous revient enfin de faire oeuvre de développement durable.

À mon sens, ces quatre orientations stratégiques ne sont remises en cause ni par l'État ni par la conjoncture. Si la trajectoire doit sans doute être revue, les prévisions d'activité ne sont toutefois pas bousculées par la crise, notre contrat de performance étant bâti sur une hypothèse de quasi stagnation du nombre de trains. En effet, contrairement à ce que tout le monde croit, il n'y a pas de plus en plus de trains sur le réseau : depuis un certain nombre d'années, le nombre des trains de fret diminue et quand on met des TGV sur une nouvelle ligne, on supprime les trains classiques, les Corail. Seul le nombre des trains régionaux progresse de façon continue.

Ce n'est donc pas la conjoncture qui peut remettre en cause notre trajectoire, mais l'évolution de nos coûts et de nos recettes. En fait, tout dépend de notre capacité à maîtriser les coûts et, en termes de recettes, de l'évolution favorable du couple « péages plus subventions ». Or ce n'est pas ce qui se passe. D'une part, les coûts d'entretien du réseau, que nous prenons en charge pour la SNCF, augmentent constamment, de 3 à 4 % par an, soit plus que l'indexation du BTP et plus que l'inflation. D'autre part, si les péages ont augmenté les subventions ont diminué parallèlement et nos recettes demeurent ainsi inchangées. De la sorte, le système dérive structurellement.

Il faudra donc dans l'avenir corriger cette situation, afin que nous puissions continuer à faire face à notre endettement. Dans la mesure où, même en temps de crise, nous n'avons pas de difficultés à trouver de l'argent pour réemprunter et refinancer les échéances, nous pensions en effet être capables de commencer à résorber cette dette d'ici une quinzaine d'années.

En somme, si l'on est sur une trajectoire de dérive, la dette augmente et on ne sait plus où l'on va ; si l'on est sur une trajectoire de stabilisation et de réduction, ce n'est pas grave car on sait trouver de l'argent pour refinancer. Ou l'on dérive, ou l'on converge…

Dans notre contrat de performance, la convergence devait se produire à l'horizon de 2022-2023. Or, nous sommes partis pour diverger à nouveau puisque la progression des péages est annihilée par la baisse des subventions ; ces trois ou quatre dernières années, nous avons perdu à peu près 300 millions de subventions, soit l'équivalent de 10 % du montant des péages.

Comment faire évoluer ce modèle ? Telle est la question qui se pose à tous, notamment au Parlement.

Pour revenir « dans les clous », on peut imaginer que l'on laisse RFF et la SNCF bâtir leur mode de fonctionnement : ils peuvent, dans la durée, parvenir à un équilibre et éponger durablement leur dette, à condition que les recettes soient en augmentation. À défaut, la hausse des péages ne pouvant compenser la baisse des subventions, la trajectoire de la dette recommencerait à dériver et notre actif se déprécierait.

Il y a trois ou quatre ans, nous avons connu la même situation que la SNCF l'année dernière. Avant le contrat de performance, nous avions dû déprécier la valeur de notre actif, à savoir notre réseau, d'environ une dizaine de milliards d'euros. Lorsque nous avons passé le contrat de performance, les commissaires aux comptes ont accepté la réappréciation de notre actif, considérant qu'en raison de cette trajectoire de stabilisation et de réduction de la dette, nous pouvions atteindre l'équilibre économique à moyen terme.

Si cet équilibre économique n'est plus possible parce que nous sommes à nouveau en situation de divergence, nous allons être obligés de déprécier à nouveau notre actif, en portant en résultat 10 milliards d'euros de pertes. Et l'on peut se demander, dans un tel scénario, comment serait appréciée une dette inscrite dans un bilan dont les actifs auraient été détruits.

D'une certaine manière, en gardant pour lui la dette, au motif qu'il peut, à terme, en faire son affaire, RFF protège aujourd'hui l'État. Si ce n'est plus le cas, parce que notre actif est considéré comme incapable de porter cette dette, parce qu'il n'a plus de valeur, parce les recettes ne couvrent plus les dépenses, le système risque de s'écrouler. En tout cas, l'entreprise RFF n'ira pas bien et l'État pas beaucoup mieux…

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