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Intervention de Jacques Sauret

Réunion du 12 février 2008 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Jacques Sauret :

Le débat entre données partagées et données personnelles est ancien. Un peu partout dans le monde on observe qu'il s'agit de données partagées mais de plus en plus accessibles aux patients. Il s'agit donc bien de données de nature professionnelle, fournies par les professionnels de santé à des fins de meilleure coordination des soins et pas d'un outil de vulgarisation de l'information médicale. La grande différence avec le projet anglais – qui est toutefois en train d'évoluer pour donner un accès aux patients via Internet – c'est qu'en France le législateur a dit dès 2004 qu'il voulait que le patient puisse avoir accès à ces informations et s'opposer au partage. En fait, cette possibilité d'opposition remonte à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Quand on regarde attentivement les textes, on s'aperçoit que dès aujourd'hui, dans le code de la santé publique, un patient peut s'opposer à ce qu'une information soit transmise du professionnel de santé qui le prend en charge à tout autre professionnel. En fait, la seule différence entre le DMP et les dossiers de réseaux de soins ou tout autre échange, même par messagerie ou par courrier, c'est que le DMP donnera dès l'origine un accès extrêmement simple au patient. En créant la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), la loi du 17 juillet 1978 a rendu tous les documents accessibles, même si cela est parfois compliqué. Si toutes les administrations mettaient en ligne l'ensemble des documents administratifs, comme cela se fait en Suède, les modalités d'accès seraient extrêmement simplifiées. Pour moi, le DMP est une première étape pour rendre réellement et simplement applicable la loi de 2002 et il n'y a pas de différence de substances entre ce dossier et les autres partages et échanges d'informations de santé personnelles.

La mission dirigée par M. Michel Gagneux réfléchit aux modalités de ces échanges, les professionnels de santé ne souhaitant pas qu'on leur demande de poser de multiples questions au patient : êtes-vous d'accord pour ouvrir un DMP ? Êtes-vous d'accord pour ouvrir un DP ? Êtes-vous d'accord pour participer à un réseau de soins sur le diabète ? etc. L'une des pistes de réflexion est d'uniformiser les règles de consentement du patient, qui consentirait simplement au partage des informations de santé entre les professionnels qui le prennent en charge. Dans le cadre du DP, une fois cet accord explicite donné, par la suite l'accord est présumé implicite par tous les pharmaciens, sauf indication contraire du patient. Ne pourrait-on généraliser cette formule à l'ensemble des dossiers partagés, ce qui rendrait le dispositif plus compréhensible par le patient ? Il faut prendre garde à ce que la complexité n'exclue pas toute une partie de la population qui ne comprendrait pas ce qu'on lui demande.

Je pense qu'il est temps de réconcilier les notions de données personnelles et de données partagées en disant bien qu'il s'agit de données à destination des professionnels pour la coordination des soins mais accessibles au patient et sous son contrôle. Ce que fait ensuite le patient de ces données est un autre sujet : il peut télécharger son DMP sur son poste de travail et on ne peut lui interdire ni juridiquement ni techniquement d'en faire ce qu'il veut et de le montrer à qui il veut, par exemple en l'envoyant sur un site qui lui permet de vérifier les interactions médicamenteuses ou la monographie des médicaments. S'il apparaît dans la presse qu'une information du DMP a été rendue publique, nous devrons prouver que la « fuite » ne provient pas de la chaîne du DMP, d'où l'importance de la traçabilité pour savoir qui a accédé aux informations et à quel moment.

S'agissant de la liste des professionnels de santé, nous sommes confrontés à de vraies difficultés parce qu'en 2004 le législateur a visé l'ensemble des professionnels de santé et uniquement eux. Ainsi, les opticiens lunetiers, les orthophonistes, les orthoptistes ont accès au DMP, mais à quoi exactement au sein de ce dossier ? Chacune des professions qui prescrit considère que, dans un certain nombre de situations, elle a légitimement intérêt à avoir accès aux informations de santé. Certes, mais ces cas exceptionnels justifient-ils un accès aux DMP de toute la population ? Les antécédents gynécologiques sont importants pour beaucoup de professions, mais comment faire une sélection document par document ? Notre souhait est de commencer, dans la grille d'habilitation qui sera annexée au décret, à limiter très fortement, c'est-à-dire aux principales professions, là où il y a la plus forte valeur ajoutée en termes de coordination des soins : médecins, pharmaciens, infirmières, sages-femmes. Quelques informations devraient également être disponibles pour les dentistes et les kinésithérapeutes. Après quelques années d'utilisation, il faudra regarder comment les choses se passent avant d'envisager de légères modifications.

Il me semble absolument indispensable de gérer plus finement la question du masquage, qui a fait couler beaucoup d'encre. On ne saurait se placer dans le tout – chaque professionnel de santé a accès à toutes les informations – ou rien – je refuse que l'information soit dans mon DMP. Si l'information n'est pas mise dans le dossier par le professionnel de santé qui la génère, elle n'y figurera jamais. On constate par exemple que lorsqu'une personne atteinte du sida découvre sa séropositivité, elle est assez réticente à ce que cette information soit connue, mais au bout de quelques semaines ou de quelques mois, elle s'aperçoit que c'est une nécessité pour qu'elle soit correctement prise en charge. Si elle n'avait à l'origine pas d'autre choix que d'interdire que l'information figure dans le DMP, elle n'y serait jamais transcrite. Nous rejoignons donc le rapport présenté par M. Jean-Pierre Door sur l'idée qu'il faut se donner le temps de voir ce qui se passe concrètement sur le terrain, d'observer la réalité du masquage, de constater la réalité des besoins et des pratiques.

Mais on peut aussi considérer que la liste établie par le législateur est trop étroite en ce qu'elle est exclusivement limitée aux professionnels de santé. À la différence du code de la santé publique, elle ne prend pas en compte les professionnels qui travaillent sous l'autorité du professionnel de santé : secrétaires médicales ou aides pharmaciens. Or, les professionnels de santé ont besoin que ces personnes, couvertes par le secret professionnel, puissent continuer à les aider dans la prise en charge des patients. À défaut, ils ne bouleverseront pas leurs pratiques, qui leur ont permis de se concentrer sur la valeur ajoutée médicale, et ils n'utiliseront pas le DMP.

Dans le cadre des discussions internationales sur les normes, nous avons proposé de distinguer l'auteur de la donnée, l'émetteur – celui qui donne l'ordre et qui choisit de transférer – et le transmetteur. Mais nous avons bien besoin d'être assurés que le transmetteur est également habilité. Pour l'instant, si ce n'est pas le professionnel de santé qui transmet, nous rejetons la demande.

Ce thème est aussi l'objet d'une concertation qui pourrait conduire à demander au législateur d'étendre le droit d'émission. Là aussi, il conviendra de garantir la traçabilité, c'est-à-dire de savoir concrètement ce qui se passe sous l'autorité du professionnel de santé titulaire du cabinet ou de l'officine.

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