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Intervention de Françoise Milewski

Réunion du 30 mars 2010 à 17h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Françoise Milewski :

J'ai en effet publié récemment une étude actualisant celles que j'avais déjà réalisées : j'y expliquait, voila un an, que des évolutions étaient en train de se produire sur le marché du travail. Il ressortait en effet de la première année de la crise économique et financière que le chômage des hommes – tout particulièrement celui des jeunes hommes entre 16 et 24 ans – augmentait beaucoup plus que celui des femmes.

Je posais à l'époque deux questions : s'agit-il d'une donnée structurelle, durable, correspondant à la situation respective des femmes et des hommes sur le marché du travail, les premières étant majoritairement dans le tertiaire et les seconds dans l'industrie ? Ou s'agit-il d'une donnée conjoncturelle avec, dans ce cas, des évolutions prévisibles équivalentes ? En approfondissant le sujet, j'ai pu constater qu'une crise pouvait en cacher une autre – d'où le titre de cette étude.

Depuis le début de la récession, début 2008, le chômage des femmes s'est accru moins vite que celui des hommes. En 2009, les écarts se sont réduits, mais ils demeurent. L'évolution la plus défavorable concerne en effet le chômage des hommes. Elle est même très spectaculaire si l'on raisonne en nombre de chômeurs et non en taux de chômage. Ainsi, depuis novembre 2008 – ce qui constitue une première historique en France –, le nombre de chômeurs hommes est plus élevé que le nombre de chômeuses.

Au second semestre 2009, les évolutions sont à peu près similaires en termes de taux de croissance. Il n'empêche que sur l'ensemble de la période de la crise, de début 2008 à fin 2009, les écarts de croissance sont manifestes. Il y a eu à la fois un décalage dans la montée du chômage des femmes, et une intensité moins importante.

La statistique qui est annoncée habituellement, porte sur les chômeurs dits « de catégorie A », à savoir ceux qui n'ont aucun travail, qui recherchent un emploi et qui n'ont pas travaillé pendant les semaines qui précèdent leur inscription au chômage. Il existe des chômeurs dits « de catégorie B et C » dont on parle moins, qui sont inscrits au chômage mais qui ont une activité réduite. Or, dans cette catégorie, les femmes demeurent nettement plus nombreuses que les hommes, et le décalage constaté dans la catégorie A ne se vérifie pas.

Cette situation met en évidence le sous-emploi des femmes et signifie que le mode d'ajustement du marché du travail a été sensiblement différent pour les hommes et pour les femmes. Pour schématiser, les hommes travaillant prioritairement dans l'industrie ont été concernés par les suppressions d'emploi massives qui y ont eu lieu et se sont retrouvés au chômage pur et simple. Les femmes, qui sont davantage employées dans le tertiaire, ont connu à la fois des pertes d'emploi et des réductions d'horaires. Ce phénomène est selon moi très important.

Si l'on compare les formes qu'a prises, en matière d'emploi, la crise de 2008-2009 par rapport aux précédentes récessions économiques, on constate que comme dans les autres crises, le tertiaire est moins sensible à la conjoncture que l'industrie ou la construction – ce qui ne veut pas dire que sa croissance perdure. D'après la statistique de 2009, en un an, l'emploi a reculé de 2,5 % dans l'ensemble du secteur marchand non agricole, de 5,6 % dans l'industrie, de 3,6 % dans le bâtiment et de 1,4 % dans le tertiaire. D'une certaine façon, on pourrait dire que c'est « une chance » pour les femmes, qui ne se trouvent pas confrontées à une explosion du chômage comme les hommes.

Du côté des services à la personne, les premiers éléments dont on dispose montrent, pour tous les services qu'utilisent les particuliers employeurs autres que la garde d'enfants, un ralentissement de la croissance, à la fois en nombre d'emplois et en horaires de travail.

Au total, dans la crise, les femmes ont un taux d'emploi qui a cessé de progresser, du fait, d'une part, d'un taux d'emploi à plein-temps qui recule et, d'autre part, d'un taux d'emploi à temps partiel qui augmente. C'est pour cela que, pour ma part, je n'utiliserai pas la formule d'après laquelle « les femmes ont un peu plus de chance que les hommes dans la crise », sauf à considérer que la précarité est une chance pour les femmes.

Je suis en train d'effectuer une étude sur la situation des jeunes, catégorie pour laquelle le chômage s'aggrave le plus. Si le chômage des jeunes femmes augmente moins que celui des jeunes hommes – l'écart est même très sensible –, le taux d'emploi des jeunes femmes à temps partiel augmente, alors qu'il est stable pour les jeunes hommes. Cela signifie que les jeunes femmes prennent des « petits boulots », faute de mieux, ce qui explique probablement une part importante de l'écart d'évolution entre les taux de chômage.

Le bilan de la situation et des évolutions récentes dressé par les économistes n'est guère positif pour les femmes. Si l'emploi des femmes a d'abord mieux résisté à la crise que celui des hommes, un ajustement s'est ensuite opéré, qui se traduit pour elles essentiellement par du sous-emploi, en termes de durée du travail, et par des conséquences très lourdes en termes de précarité.

Dans le rapport remis début 2005 à Mme Nicole Ameline, ministre de la parité et de l'égalité professionnelle, à la suite de la mission d'étude qu'elle m'avait confiée sur le thème « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de précarité », nous soulignions qu'il ne fallait plus parler de précarité au sens classique car l'analyse de celle-ci devait dorénavant prendre en compte des facteurs comme l'instabilité, le nombre des CDD, les frontières floues entre l'emploi et le sous-emploi, ainsi qu'une autre composante, celle du sous-emploi durable, fait de temps partiel contraint et d'emploi non qualifié ou peu qualifié, dans des secteurs où les femmes sont surreprésentées – le tertiaire, les services, le commerce. Nous avions remarqué par ailleurs que si l'année 2005 n'était pas une période de récession, la précarité des femmes constituait une spécificité et qu'elle allait s'aggraver par le biais du développement des emplois de service et de la crise de l'emploi. Le secteur des emplois à la personne, que l'on considère comme un gisement d'emplois considérable, est porteur de précarité pouvant aller, dans certains cas, jusqu'à la pauvreté. Pour autant, précarité n'est pas synonyme de pauvreté lorsqu'elle s'accompagne d'une solidarité conjugale. En revanche, lorsque la famille se rompt et que les femmes se retrouvent seules avec des enfants, où lorsque, à l'intérieur d'une même famille, l'un est chômeur et l'autre en emploi précaire, des situations de pauvreté apparaissent ou s'amplifient. Celles-ci ont été abondamment décrites par le Secours catholique et par le rapport très intéressant de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, même si la composante « femmes » n'y est pas très importante.

Cette aggravation de la précarité et de la pauvreté est aujourd'hui un phénomène de taille, dont on ne voit pas tellement la fin, cela pour plusieurs raisons : sur le plan structurel, le développement des emplois à temps partiel contraint est une tendance lourde ; sur le plan conjoncturel, la situation n'est pas celle d'une de sortie de crise. Certes, nous ne sommes plus au creux de la récession, mais la reprise est de faible ampleur et, pour le moment, elle ne se traduit pas par des créations d'emploi à cause du décalage que l'on observe habituellement entre reprise de l'activité et reprise de l'emploi – décalage d'autant plus important que la récession a été profonde.

Les intentions d'embauche déclarés par les entreprises montrent que lorsqu'il y a une hausse des intentions d'embauche, il s'agit de CDD, et tout particulièrement de CDD de moins d'un mois. On ne dispose pas de données sexuées, mais on sait très bien, compte tenu de la ségrégation du marché du travail, que les femmes sont surreprésentées dans les emplois en CDD. Elles seront donc les principales concernées.

Les femmes seront également concernées par un autre phénomène, qui jusqu'à présent touche majoritairement les hommes : le chômage de longue durée. Certes, à partir de 2010, arriveront en fin de droits des chômeurs licenciés au début de la crise. Mais si les femmes n'ont pas été touchées tout de suite par les pertes d'emploi, elles le seront à l'horizon de 2011, ce qui n'est pas très lointain.

Il y a lieu à cet égard d'être assez pessimiste. Les femmes ne sont pas dans la même situation de chômage que les hommes. Mais elles sont dans une situation de sous-emploi, porteur de précarité croissante.

Ce débat est important, à la fois par ses conséquences sociales, et parce qu'au niveau européen a débuté une réflexion pour l'adoption de la stratégie de Lisbonne de l'après 2010. Cette dernière, décidée en 2000 pour l'horizon 2010, avait tracé comme objectif un taux d'emploi des femmes de 60 % en moyenne européenne.

La France l'a atteint et l'a même un peu dépassé, sauf en fin d'année. Mais viser des objectifs en termes de taux d'emploi, laisse complètement de côté la question de la qualité de l'emploi. À cet égard, on ne peut pas se satisfaire d'un taux d'emploi des femmes de l'ordre de 60 % en France, car ce qui a progressé, c'est le taux d'emploi à temps partiel. C'est une manière pour le moins un peu négative d'avoir atteint l'objectif de Lisbonne.

Si l'objectif proposé par la présidence espagnole concernant l'emploi des femmes, est un taux d'emploi, en moyenne européenne, de 70 % – objectif assez ambitieux d'autant que de nombreux pays sont encore assez sensiblement sous un tel seuil –,la question fondamentale de la qualité de l'emploi se pose. Si l'on atteint l'objectif fixé, mais avec un emploi précaire, propice à la pauvreté dans l'emploi, ce ne sera pas un grand succès.

Au-delà, le débat devra porter sur toutes les questions de flexibilité. En effet, dans la stratégie de Lisbonne, les objectifs affichés à l'horizon 2010 l'étaient en termes de taux d'emploi, mais également de flexibilité.

Je rappellerai d'ailleurs que l'élaboration de cette dernière en 2000 s'était faite dans un contexte de croissance économique. On parlait alors de saturation des capacités de production et l'emploi des femmes apparaissant comme une source de croissance. La question centrale était d'accroître la part des femmes dans la population active. Aujourd'hui, ce n'est plus tellement le cas.

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