Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de André-Claude Lacoste

Réunion du 7 avril 2010 à 17h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

André-Claude Lacoste, Président de l'ASN :

, a mentionné qu'il s'efforcerait de répondre à ce nombre considérable de questions dans l'ordre où elles ont été posées, pour être certain de ne pas en omettre.

S'agissant de la surveillance de la construction du réacteur EPR Flamanville 3, l'écart sur le nombre d'épingles d'acier renvoyait aux conditions dans lesquelles s'effectuait le bétonnage qui a précédé la construction proprement dite. L'absence de ces 64 épingles n'était évidemment pas dramatique en soi du point de vue de sûreté, mais elle traduisait une défaillance dans l'organisation du suivi de la qualité. L'ASN a arrêté le chantier pour imposer à EDF et à Bouygues la mise en place d'un plan d'assurance qualité pour garantir que de pareils défauts ne se reproduiraient pas. Le problème était donc que le chantier n'était pas dirigé avec le souci de sûreté nécessaire.

A propos du contrôle-commande de l'EPR, c'est-à-dire un ensemble d'instruments servant à la conduite de l'installation, il s'agissait d'obtenir des garanties sur le système proposé par EDF et AREVA, qui comporte en fait deux plates-formes fournies par Siemens : l'une dédiée au pilotage de la fonction nucléaire, à qualité nucléaire et qui ne pose pas de problème en elle-même ; l'autre destinée a priori aux industriels tout venant, et qui, elle, pose problème. La Nuclear Regulatory Commission (NRC) américaine a certes donné, de son côté, son approbation, mais uniquement pour la plate-forme nucléaire, celle qui ne pose pas de problème, et la NRC et l'ASN sont donc parfaitement en phase. La prise de position de l'ASN a été du reste précédée de délibérations impliquant des membres d'autres Autorités nationales, notamment au sein d'un groupe consultatif permanent d'experts, où siègent des collègues des Autorités de sûreté finlandaise et britannique, et un agent du CEA actuellement détaché à l'Autorité d'Abu Dhabi.

En ce qui concerne le marché nucléaire d'Abu Dhabi, il est exact qu'une étude de l'Agence de l'Energie Nucléaire (AEN) de l'OCDE a souligné que le coût d'une installation nucléaire coréenne est deux fois moindre que celui d'une installation française. Même si cet écart ne concerne pas directement l'ASN, son origine se comprend facilement : d'un côté, un réacteur qui est le premier de sa série, construit dans un pays, la France, qui a perdu l'habitude de construire des réacteurs depuis quinze ou vingt ans, et de l'autre un pays, la Corée du Sud, qui construit une centrale nucléaire par an. Sur le site de Kori, visité récemment par l'ASN, on compte ainsi quatre réacteurs en fonctionnement et quatre autres réacteurs à des étapes différentes de construction. Les réacteurs sud-coréens sont donc construits comme des petits pains, comme dans la France des années 70. Il est évident qu'une fabrication à l'unité qui redémarre après quinze ou vingt ans d'arrêt ne peut pas proposer des prix du même ordre de grandeur qu'une production à grande échelle. Ces différences de coût n'ont donc que peu à voir avec des exigences différentes des Autorités de sûreté. Si ces exigences ont des conséquences, elles sont certainement du second ordre.

S'agissant du projet de réacteur ATMEA, présenté par AREVA comme le petit frère de l'EPR avec moins de boucles, AREVA a demandé à l'ASN d'étudier les options de sûreté de ce réacteur, mais n'a encore fourni aucun élément. L'ASN a indiqué que si elle recevait des éléments dans les prochaines semaines, un avis pourrait être rendu d'ici à la fin de l'année 2011. En tout état de cause, ce réacteur est loin d'être disponible à la vente ; il s'agit encore d'un projet.

En ce qui concerne la possibilité d'élaborer des conclusions communes à l'échelle internationale avec d'autres Autorités, notamment en vue de l'approbation des options de sûreté des principaux réacteurs, c'est l'objet même du club MDEP (Multinational Design Evaluation Program). La situation progresse donc dans ce domaine, mais il a fallu partir de loin, pour la raison que l'ensemble des programmes nucléaires des pays développés ont été conçus sur des bases purement et volontairement nationales et nationalistes. La France, par exemple, a acheté une licence Westinghouse dans les années 70, puis le gouvernement et les industriels (ainsi que l'Autorité de sûreté, sans doute) se sont attachés à franciser ce réacteur, de façon à ne plus payer des licences et à être autonomes. Un code de construction RCC-M français (Règles de conception et de construction des matériels mécaniques des îlots nucléaires) différent du code américain a alors été bâti, afin de développer une filière française. Maintenant qu'il s'agit de se rejoindre, il paraît assez moral qu'il faille payer quarante ans de volonté d'indépendance et de distance. Aujourd'hui, la Corée du sud se livre exactement à la même politique. Elle a acheté une licence américaine Combustion Egineering, qui se trouve maintenant appartenir à Westinghouse, et la Corée n'a de cesse de rendre ce réacteur le plus sud-coréen possible. C'est pour cette raison qu'elle construit un code de construction analogue au code français mais différent du code américain, pour développer une filière nationale. La Chine rêve sans doute de faire la même chose. C'est contre cette approche nationaliste des filières que se battent ceux qui, comme l'ASN, essaient de rendre les choses aussi comparables que possible. Ce sont les mêmes industriels, Framatome le premier, qui, en France, ont longtemps cherché à prendre autant de distance que possible vis-à-vis de la licence Westinghouse, qui entonnent aujourd'hui un chant d'amour et de gloire en faveur de l'harmonisation.

S'agissant du rôle que l'ASN pourrait jouer dans le choix des intervenants de sous-traitances d'EDF, c'est une voie dans laquelle l'ASN ne souhaite pas s'engager, et d'ailleurs, le nombre de pays où cette pratique a cours est très limité. Un exploitant de la taille d'EDF doit être capable de choisir lui-même ses exploitants, à charge pour l'ASN de surveiller comment il le fait ; mais il est sain qu'il choisisse lui-même.

La transparence est un objet de préoccupation constant de l'ASN, qui s'efforce à plus de transparence possible. Il est exact que, dans certains cas, cet effort de transparence ne s'accompagne pas d'un effort d'explication suffisant, et il convient de tirer les leçons de ces situations, mais la politique de l'ASN reste axée sur la transparence, sans aucune dérogation, en particulier parce que c'est ce qu'a voulu le législateur, via la loi qui a créé l'ASN.

La centrale de Brennilis est isolée, dans un site, celui des Monts d'Arrée, n'ayant aucune vocation à rester nucléaire. C'est un bon exemple de cas dans lequel il faudrait pousser le démantèlement aussi loin que possible, afin de rendre le site à la nature. C'est également un cas où il serait souhaitable que le démantèlement soit engagé aussi vite que possible, c'est-à-dire dans les vingt-cinq ans qui suivent l'arrêt. La commission d'enquête publique a dernièrement rendu un avis défavorable, mais il laisse la porte ouverte à la mise en oeuvre de la phase II du démantèlement, que l'ASN proposera au Gouvernement d'autoriser (note : la phase II correspond à un état dans lequel la zone confinée est réduite à son minimum, la radioactivité pouvant subsister dans des zones qui sont alors confinées et scellées de façon à ce qu'aucune personne non autorisée ne puisse y accéder ; la surveillance de l'environnement est par ailleurs maintenue).

L'ASN confirme son soutien à l'idée que la politique de démantèlement pourrait faire l'objet d'une procédure de débat public. C'est une position déjà présentée l'an dernier devant l'Office parlementaire. L'ASN a élaboré sur la politique de démantèlement une note de doctrine, qui est publique, accessible sur le site Internet et qui a été soumise à consultation. Elle sera prochainement présentée au HCTISN (Haut Comité pour la Transparence et l'Information sur la Sécurité Nucléaire). L'ASN est ouverte à l'idée d'organiser un débat public national sur cette question, mais ne peut pas le déclencher directement d'elle-même, car la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) ne peut être saisie que par un ministre, d'où le bien-fondé de la lettre qui a été écrite au Ministre de l'environnement.

La demande de regroupement des lignes budgétaires vient de ce que l'ASN compte quatre lignes budgétaires sur quatre programmes différents, ce qui est contraire à tout principe de gestion efficace. La meilleure solution consisterait à regrouper les quatre lignes sur un programme ou, à défaut, que trois des lignes budgétaires soient regroupées sur un programme. Cette velléité de rationalisation n'est en rien destinée à nuire au statut de l'IRSN, qui est l'appui technique de l'ASN, et dont l'apport est d'autant plus précieux qu'il peut donner un avis en toute liberté.

S'agissant de la détection du plomb dans les bâtiments et de l'usage de sources radioactives, l'ASN adhère à l'objectif social poursuivi à travers la détection du plomb dans les peintures d'anciens logements, mais conteste l'usage de sources radioactives à cette fin, car cela entraîne une dissémination de sources radioactives.

Le projet d'arrêté visant à interdire à terme l'usage des détecteurs de fumée utilisant des rayonnements ionisants est en cours de préparation. C'est en effet une mesure extrêmement lourde, car elle concerne des dizaines de millions de détecteurs de fumée. Elle consisterait à interdire la pose de nouveaux détecteurs de fumée utilisant des rayonnements ionisants, et à interdire les réparations lourdes sur ces détecteurs de fumée, pour que le parc existant s'éteigne. C'est un cas typique d'application du principe de justification : comme il existe d'autres méthodes pour détecter la fumée, il n'y a aucune raison de disséminer des sources radioactives.

S'agissant de l'uranium appauvri exporté en Russie pour y être enrichi à nouveau, il n'est pas tout à fait exact que rien n'était mentionné à ce sujet dans la précédente version du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). La procédure en était indiquée, c'est un point vérifié, et cela a été dit au cours de l'audition mentionnée par Claude Birraux. Au demeurant, la formulation n'était effectivement pas extraordinairement explicite, et elle a été améliorée dans la nouvelle version du PNGMDR. Cela dit, le problème évoqué soulève deux questions : premièrement, l'uranium appauvri et les restes du processus de réenrichissement de l'uranium appauvri constituent-ils un matériau ou un déchet ? Deuxièmement, quel jugement global peut-on former sur cette pratique du réenrichissement à l'étranger ?

Ce qui s'est produit dans l'atelier ATPu à Cadarache est grave du point de vue de l'ASN. Il est tout à fait anormal de découvrir trois fois plus de plutonium que prévu en démantelant des boîtes à gants. Malheureusement, on peut craindre que ce genre de décalage ne soit pas spécifique à l'ATPu, et qu'il existe sans doute un problème plus général d'évaluation des dépôts de plutonium dans les boîtes à gants. Ce sujet est tout à fait sérieux et l'ASN l'étudie globalement. Il s'agit d'un problème de qualité des mesures, qui empêche de déceler une dérive dans le temps. Comme l'a indiqué Marie-Pierre Comets, l'ASN a suspendu les opérations de démantèlement dès qu'elle a eu connaissance de l'événement, et le CEA a interrompu les travaux sur le champ.

S'agissant de l'idée de s'appuyer sur les formations dispensées à l'étranger pour renforcer l'effectif des radiophysiciens en France, elle ne peut apporter qu'une solution partielle, car l'objectif reste tout de même de disposer de radiophysiciens capables de pratiquer en France, et donc qui parlent français. Pour cette raison, la procédure d'agrément des radiophysiciens formés à l'étranger conduit à vérifier en particulier qu'ils parlent français. Il convient à ce propos de rappeler que l'un des premiers accidents de radiologie concernait l'utilisation de rayons X pour intervenir sur le crâne d'un patient. L'un des opérateurs a dit à l'autre : « Tu m'ouvres une fenêtre de 40 sur 40 ». Le premier s'exprimait en millimètres, et le second a compris en centimètres ! On ne peut pas importer des personnes compétentes sans s'assurer de leur maîtrise complète de la langue française. Il serait donc plus expédient de mettre en place un système français digne de ce nom pour répondre au besoin. Les solutions s'appuyant sur l'étranger ne peuvent intervenir qu'à titre palliatif.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion