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Intervention de Jean-Christophe Peaucelle

Réunion du 5 mai 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Christophe Peaucelle, directeur adjoint d'Afrique du Nord et Moyen-Orient au ministère des affaires étrangères et européennes :

Il convient de se rappeler que le Yémen, qui compte parmi les territoires les plus dépaysants et les plus étranges du monde, est le berceau du monde arabe. Mais si les populations arabes peuvent y voir leur origine, il demeure particulier dans sa géographie : situé tout au Sud de la péninsule arabique, il est ouvert sur l'océan Indien.

Aux yeux de la diplomatie française, le Yémen est un pays extraordinairement fragile, pour des raisons économiques, politiques et de sécurité. Les fragilités institutionnelles ont été évoquées par les deux premiers intervenants : le pays souffre d'un manque de cohésion et d'unité, fragilisé par la rébellion houthiste – la guerre de Saada qui a éclaté en 2009 est la sixième – et par l'irrédentisme au Sud. Plus généralement, l'identité étatique est faible, le gouvernement central contrôlant peu de chose sur un territoire régenté par les tribus et les milices, où chaque homme est armé. Rappelons qu'avant l'implantation d'Al-Qaida au Yémen, le pays était régulièrement le théâtre de prises d'otages, les tribus négociant avec l'État, dans des conditions souvent obscures, la libération des touristes.

Cette fragilité se manifeste également sur un plan économique. Avec un revenu de 1 000 dollars par habitant et par an, le Yémen est le seul pays arabe à faire partie de la liste des pays les moins avancés (PMA). Son économie repose sur trois piliers : l'agriculture, constituée à hauteur de 40 % par l'exploitation du qat, plante euphorisante dont les effets sont assez proches de ceux produits par l'absorption d'amphétamines – tout le monde cultive le quat, consomme et trafique ; les ressources naturelles – les hydrocarbures – qui représentent 90 % des recettes budgétaires et 70 % des exportations, avec ce que cela suppose de fragilité du fait des fluctuations des prix – sachant que les ressources pétrolières ont déjà entamé leur déclin ; enfin, les subsides envoyés par les migrants très nombreux dans les pays de la péninsule arabique, dont la part est également conséquente. J'ajoute qu'avec 40 % d'enfants non scolarisés – surtout des filles – et une croissance démographique de 3,8 % par an, l'indice de développement humain est très faible. De surcroît, il n'existe nulle part ailleurs dans le monde un différentiel de revenu par habitant aussi important de part et d'autre d'une frontière que celui qui sépare le Yémen de l'Arabie saoudite, cette simple donnée pouvant se révéler très déstabilisante.

Troisième facteur de fragilité, enfin : la sécurité. Il a été question de la rébellion du Nord, des irrédentistes du Sud, d'Al-Qaida mais, également, de la Somalie. Il convient de noter, à ce propos, que plusieurs centaines de milliers de Somaliens résident à ce jour plus ou moins légalement au Yémen et que, même s'ils ne constituent pas le vivier naturel d'Al-Qaida, ils sont pauvres, mal intégrés et se livrent à de nombreux trafics – piraterie, armes, êtres humains. Il ne faudrait donc pas sous-estimer le risque qu'ils représentent.

À ce jour, le Yémen présente à peu près toutes les conditions pour être le prochain État failli de la planète.

Face à une telle situation, bien éloignée de ce qui fut l'Arabia felix des Anciens, il est un peu facile de dire que l'attentat manqué du mois de décembre dernier a été nécessaire pour que la communauté internationale s'intéresse au Yémen. En effet, de fortes aides lui sont accordées, notamment par les Américains, et ce pays figure dans la zone de solidarité prioritaire (ZSP) établie par la France (mais pas dans la nouvelle catégorie des « pays pauvres prioritaires »). Il est toujours une priorité pour l'Allemagne. Outre que nous privilégions l'Afrique, les moyens de l'aide au développement ont en effet nettement diminué. De plus, la situation économique et financière du Yémen s'étant détériorée, la Banque mondiale a émis des doutes sur la solvabilité de la dette de ce pays et le ministère des finances, en conséquence, a écarté la possibilité de lui consentir de nouveaux prêts concessionnels. La situation est d'ailleurs assez inconfortable : si le Yémen est trop pauvre pour recevoir des prêts, la France n'est pas assez riche pour faire des dons, les subventions de l'État à l'Agence française de développement (AFD) ou les dotations du Fonds de solidarité prioritaire (FSP) étant très limitées.

Nous essayons donc de cibler au mieux notre aide, par exemple dans le domaine de la sécurité et de la défense même si, avec 410 000 euros en 2010, les sommes en jeu ne sont pas très élevées. En l'occurrence, nous nous consacrons essentiellement au contrôle des frontières en assistant la marine et les garde-côtes yéménites. Nous sommes les seuls à mener des exercices conjoints hauturiers avec la marine yéménite. J'ajoute que nous aidons également plusieurs opérateurs à se positionner sur les marchés de l'aide multilatérale et, notamment, européenne. Ainsi, dans le secteur de la sécurité, l'opérateur du ministère de l'Intérieur CIVIPOL joue-t-il un rôle essentiel et pourrait-il même devenir le fer de lance d'un projet de lutte contre le terrorisme ; le Service de coopération technique international de police (SCTIP), quant à lui, a déposé sa candidature pour devenir opérateur d'un projet d'académie de police à partir de fonds européens.

Quoi qu'il en soit, suite à la tentative d'attentat de Noël dernier, la communauté internationale s'est particulièrement mobilisée à l'initiative, notamment, de Gordon Brown, qui a réuni à Londres le 27 janvier une conférence interministérielle réunissant outre les États-Unis et le Canada, vingt-cinq pays d'Europe. Un groupe des amis du Yémen, auquel la France participe et qui est formé de deux sections – Finance et gouvernance, Justice et État de droit – a été créé à cette occasion. Une réunion ministérielle est prévue à Riyad à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin ainsi que la remise d'un rapport à l'Assemblée générale des Nations unies visant à mobiliser l'aide internationale.

Enfin, la France considère le Yémen comme un pays important dont la déstabilisation aurait des conséquences graves pour nos intérêts. Nous entretenons avec lui de bonnes relations politiques : le Président Saleh s'est ainsi rendu à Paris en 2007, peu après sa réélection, et nous disposons d'une ambassade avec des coopérants, un attaché de défense et un attaché de sécurité intérieure. J'ajoute qu'au mois de janvier, des consultations ont eu lieu au niveau des secrétaires généraux des ministères des affaires étrangères. Nous soutenons donc le gouvernement yéménite – lors de la crise dite « sixième guerre de Saada », nous avons rappelé notre attachement à l'unité, à la souveraineté ainsi qu'à la stabilité du pays –, non sans l'inviter à reprendre prestement le processus de dialogue politique sans lequel aucune solution ne pourra être envisagée.

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