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Intervention de Franck Mermier

Réunion du 5 mai 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

Franck Mermier, chargé de recherche au CNRS :

Merci de cette invitation.

La question du Sud devrait gagner en importance dans le Yémen contemporain. Née en 1967, la République démocratique populaire du Yémen – seule république marxiste dans le monde arabe – disparaît en 1990 dans le sillage de la chute du mur de Berlin. La fusion entre le Nord et le Sud qui en résulte donne lieu à un partage du pouvoir entre les deux partis principaux, le Congrès populaire général (CPG) et le Parti socialiste yéménite (PSY). La Constitution de 1991 stipule notamment le pluripartisme, la liberté d'association et la liberté de la presse. La présidence de la République est dévolue à Ali Abdallah Saleh, l'ancien président de l'ex-République arabe du Yémen et dirigeant du CPG, la vice-présidence à Ali Salem Al-Bid, secrétaire général du PSY.

Mais la fusion entre les deux armées et les deux administrations ne se fait pas. La crise qui éclate en 1992 ne fera que s'aggraver, se traduisant par des attentats dirigés contre les militants et les cadres du PSY – 150 personnes exécutées –, très certainement organisés par les islamistes, eux-mêmes manipulés par le pouvoir. Les socialistes du Sud se replient alors à Aden. La nouvelle guerre inter-yéménite qui se déroule entre le 5 mai et le 7 juillet 1994, fera peu de victimes civiles ; elle se conclut par la défaite de l'armée du Sud et aboutit à une unification par la force.

On peut alors penser que les velléités séparatistes, désormais taboues et en prise à un pouvoir fort, sont définitivement enterrées. Jusqu'aux années 2000, aucun mouvement d'inspiration sécessionniste ne se fait jour : la vie politique reste inscrite dans le cadre des partis existants et le PSY, qui a abandonné l'option séparatiste, rejoint les autres partis d'opposition dans une plate-forme commune.

Mais le régime d'Ali Abdullah Saleh marginalise progressivement les régions du Sud. La mise à la retraite d'office de quelque 68 000 fonctionnaires – civils et militaires – du Sud crée un mouvement catégoriel et déclenche la revendication. Partie des comités de retraités, celle-ci devient de plus en plus politique et prend une coloration séparatiste.

2008 constitue un tournant. La manifestation du 13 janvier, en commémoration de la guerre civile qui avait éclaté à Aden le 13 janvier 1986, décimant le bureau politique du PSY et faisant 10 000 morts en dix jours, se veut un geste de réconciliation. Elle lance le rassemblement des partis sud-yéménites.

Le 21 mai 2009, Ali Salem Al-Bid, exilé d'abord à Oman puis en Autriche, proclame à nouveau la République démocratique du Yémen. Le dirigeant ne parle pas de sécession ou de séparatisme, mais de dissociation ou de « déliaison ». Il n'entend pas s'opposer à l'unité, mais reproche au pouvoir arbitraire d'Ali Abdullah Saleh de ne pas l'avoir permise, en tenant les populations du Sud pour des citoyens de seconde zone. Il s'appuie sur les résolutions prises en 1994 par le Conseil des Nations unies, dont il considère qu'elles peuvent constituer la base juridique d'une dissociation du Yémen du Sud.

Aujourd'hui, le Conseil supérieur du mouvement sudiste, fonctionnant de façon très décentralisée, s'appuie sur un spectre très large, allant des islamistes aux cadres du PSY : il est dirigé par Hassan Ba'oum, un ancien cadre du PSY et son vice-président autoproclamé est Tarek El-Fadli, un ancien djihadiste d'Afghanistan, dont la soeur est mariée au frère d'Ali Abdullah Saleh. Ancré dans les zones tribales, il commence à s'appuyer sur une force armée : pas un jour ne se passe sans accrochages entre l'armée et les hommes de tribus qui ont prêté allégeance au mouvement sudiste. Désormais, les portraits d'Ali Salem Al-Bid, comme le drapeau de la République démocratique populaire du Yémen, sont brandis dans les manifestations. Le mouvement se revendique encore comme pacifiste, mais il pourrait passer rapidement à la lutte armée si le régime poursuivait sa politique de répression tous azimuts, tentant de le criminaliser en l'associant à Al-Qaida et en l'accusant de séparatisme, ultime tabou.

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