Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 7 avril 2010 à 11h45
Commission des affaires étrangères

Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes :

À propos du Moyen-Orient, je dirai que mon optimisme est très relatif, pour ne pas dire que je suis dominé par un sentiment de pessimisme… La France a émis à plusieurs reprises une position très claire au sujet de la construction de 1 600 logements à Jérusalem, en pleine visite du vice-président américain Joe Biden : cela constitue un obstacle à la reprise des pourparlers de paix. Je ne gloserai pas sur les hésitations et la faiblesse alléguées du président palestinien Mahmoud Abbas. La Ligue arabe lui avait demandé de reprendre les proximity talks – simples échanges indirects et non pourparlers de paix –, processus qui a été interrompu après cette annonce fâcheuse. M. Biden a réagi, Barack Obama a très clairement fait état de son désaccord, mais l'on peut s'interroger sur l'avenir des échanges entre Palestiniens et Israéliens.

Je suis d'autant plus pessimiste que les dernières manifestations rappellent les images des intifadas. Je ne souhaite pas du tout qu'une troisième intifada soit déclenchée mais force est de constater que l'effervescence et la colère montent. Or, les moyens de pression sont assez faibles, y compris du côté des États-Unis.

La situation dans le reste du Proche-Orient ne se détend pas non plus. Le renforcement de l'armement du Hezbollah libanais est très préoccupant et les réactions israéliennes potentielles n'arrangent rien. La France pourrait s'appuyer sur l'inquiétude libanaise pour contribuer au redémarrage des négociations entre la Syrie et Israël. Il faut tout faire pour y parvenir bien qu'un résultat favorable soit difficile à envisager pour l'instant. Les Syriens se disent certes prêts à redémarrer en tenant compte des négociations avec le gouvernement israélien précédent, que dirigeait Ehoud Olmert, mais les Israéliens n'en veulent pas pour le moment. Il faut persévérer : oui, nous ferons tous les efforts possibles, comme la Turquie, dont le premier ministre est en ce moment même en visite à Paris.

La visite de M. Sarkozy auprès du président Obama s'est très bien passée, dans un esprit de sincérité de part et d'autre. Nous avons appris une bonne nouvelle aujourd'hui : les Chinois, à New York, ont accepté d'évoquer un texte commun à six sur l'Iran – les cinq membres du Conseil de sécurité plus l'Allemagne. Même si je ne préjuge pas du résultat, cela constitue un progrès notable par rapport à la semaine dernière. Le président Obama et le président Sarkozy ont demandé qu'une résolution, incluant des sanctions sérieuses, soit déposée courant avril sur la table du Conseil de sécurité. Nous faisons tout pour y parvenir mais nous l'avions déjà demandé pour février. En attendant, nous devons aussi travailler à la mise en oeuvre de sanctions européennes.

Le dossier du service européen d'action extérieure est beaucoup plus flou mais je ne partage pas votre appréciation sur Mme Ashton ; je pense qu'il convient de la soutenir, sans quoi il ne fallait pas voter le Traité de Lisbonne. Ce sont les vingt-sept Etats membres qui l'ont nommée au poste de Haute représentante. Elle vous étonnera car elle est très obstinée et travailleuse. Des propos aussi péjoratifs n'auraient jamais été prononcés à son encontre si elle avait été un homme. En trois jours, alors que son service se résumait à trois personnes, elle a trouvé 420 millions pour Haïti ; le fait qu'elle soit vice-présidente de la Commission n'y est pas pour rien. Il lui a d'abord été reproché de ne pas être allée à Haïti pour passer à la télévision, je connais le coup ! Elle s'y est finalement rendue et personne n'a alors fait de grand reportage sur elle ! Ce n'était certes pas une spécialiste mais elle apprend très vite. Et les spécialistes préconisent généralement de ne rien faire. Mme Ashton est par exemple venue à Paris, au quai d'Orsay, avec Tony Blair, son mentor, à l'occasion de la Conférence internationale des donateurs pour l'État palestinien. Aux côtés de Salam Fayyad, premier ministre de l'Autorité palestinienne, et d'experts du Moyen-Orient, comme le ministre des affaires étrangères norvégien Jonas Gahr Store, elle s'y est montrée déterminée, dynamique et efficace, sur un sujet qu'elle ne connaissait pas particulièrement. Elle a ensuite beaucoup insisté pour visiter Gaza, ce que les Israéliens ont fini par accepter. Je lui reproche juste peut-être de ne pas téléphoner plus aux ministres des affaires étrangères avant de prendre ses décisions, comme le faisait Javier Solana, qui était assez habile et intelligent pour feindre de tenir un peu compte de notre avis… Elle ne dispose pas encore de ses services mais nous avons beaucoup insisté pour qu'elle prenne cette habitude.

Quant au service européen d'action extérieure, il a été proposé, le 25 mars, d'organiser la sélection du personnel en respectant une répartition convenable entre les candidats de la sphère bruxelloise et ceux des États membres. Une répartition provisoire a été effectuée et nous avons déposé un certain nombre de candidatures pour les délégations de l'Union, dont plusieurs sont excellentes. Mais un problème se pose : quand un très bon ambassadeur se manifeste pour rejoindre le service européen d'action extérieure, est-il préférable de le garder pour notre diplomatie ou de le mettre à disposition ? Il faut se résigner à confier des éléments précieux. Dans la même logique, il est évident que les ministres des affaires étrangères peuvent perdre, un temps, une partie de leur influence, au bénéfice de Mme Ashton et du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy : nous ne participerons plus systématiquement aux conseils européens, il faudra nous y faire !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion