Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Daniel Mach

Réunion du 6 avril 2010 à 17h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Mach, rapporteur :

La reconversion professionnelle est, de façon traditionnelle, une question importante pour les armées. Elle est la condition du renouvellement des troupes et du nécessaire maintien de leur jeunesse. D'ailleurs, les premiers dispositifs de reconversion remontent en France à la fin du XVe siècle, avec la création d'unités militaires royales permanentes.

Le projet de loi qui nous est soumis tend à améliorer le dispositif de reconversion existant.

Je vous propose de vous présenter le contexte général dans lequel il s'inscrit puis de vous en exposer le contenu.

S'agissant du contexte, le projet s'inscrit dans le cadre d'un dispositif large, mais confronté à plusieurs défis.

Les armées disposent en effet, depuis longtemps, d'un mécanisme de reconversion spécifique, qui s'est enrichi au fil du temps, notamment avec la réduction des effectifs militaires à la fin de la seconde guerre mondiale et de la guerre d'Algérie. La suspension du service militaire, en 1996, et la professionnalisation des armées ont également conduit à davantage prendre en compte la question de la reconversion.

Plusieurs éléments attestent de l'importance du dispositif existant. D'abord, sur près de 35 000 militaires quittant les armées chaque année, environ 22 400 peuvent demander à bénéficier de l'ensemble du dispositif de reconversion. On appelle les ayants droit ces militaires ayant accompli au moins quatre ans de services effectifs et qui peuvent avoir accès, au-delà des prestations d'information et d'orientation, à une formation professionnelle ou un accompagnement vers l'emploi, ainsi qu'à un congé de reconversion. Parmi ceux-ci, 15 348 y ont eu effectivement recours en 2009.

Deuxièmement, plus de 21 300 prestations d'orientation et d'accompagnement ont été accordées l'an dernier, recouvrant une vingtaine de catégories différentes et 4 218 congés de reconversion. Ces prestations peuvent être individuelles ou collectives et donner lieu aussi bien à un entretien bilan orientation, un bilan individuel de compétences, des stages de formation, des périodes d'adaptation en entreprise ou un parcours individualisé du créateur ou repreneur d'entreprise – un PIC.

Enfin, près de 700 professionnels du ministère de la défense sont employés à cet effet et le budget de la reconversion s'est élevé en 2009 à 104,5 millions d'euros. Il faut signaler à cet égard la réforme profonde des structures de reconversion que vous avez engagé, monsieur le ministre, axée sur leur regroupement et leur pilotage par l'agence de reconversion de la défense – officiellement créée en juin 2009 – et la mise en place de dix pôles régionaux Défense mobilité et d'une antenne dans chaque nouvelle base de défense. Cette réforme permettra de passer de près de 200 structures à environ 80 d'ici à 2014.

Les résultats sont d'ailleurs encourageants, puisque le taux global de reclassement, qui mesure le nombre de militaires « reclassés » dans le secteur privé dans l'année par rapport au nombre de ceux ayant quitté le ministère de la défense et suivis par Défense mobilité, a été en 2009 de 63 % et même de 69 % si l'on y ajoute les reclassements dans le secteur public.

Cependant, le dispositif de reconversion est confronté aujourd'hui à quatre défis principaux.

D'abord, le flux de départs des armées tend à augmenter, puisqu'il est passé de 28 728 en 2005 à 34 696 en 2009. Il en est de même des ayants droit, qui représentent 65 % des départs. Or, ces flux sont appelés à s'accroître avec la suppression de 54 000 postes prévus d'ici à 2014 par la loi de programmation militaire.

Deuxièmement, les profils des partants sont extrêmement variés, à la fois selon l'âge, la catégorie ou l'armée. Ainsi, les militaires du rang quittent en moyenne les armées vers 25 ans, les sous-officiers vers 40 ans et les officiers vers 41 ans dans la marine et vers 44 ou 45 ans dans les armées de terre ou de l'air. Ces différences recouvrent des formations et expériences fort diverses, dont la chaîne de reconversion doit tenir compte.

Troisième défi : la contrainte budgétaire. Défense Mobilité devra répondre à ces attentes tout en poursuivant la réduction programmée de ses effectifs, qui devrait passer de 680 actuellement à 515 d'ici à 2014. Cette exigence est d'autant plus forte que le ministère de la défense doit assumer le coût du chômage des militaires non reconvertis, qui a atteint 110 millions d'euros l'an dernier et qui ne cesse de s'accroître, tandis que le nombre de chômeurs est passé de 8 214 en 2008 à 9 689 en 2009.

Enfin, la crise économique et les rapides évolutions du marché du travail supposent une grande réactivité de la chaîne de reconversion pour permettre une réinsertion rapide, durable et de qualité des militaires dans la vie civile.

C'est précisément pour cela que le présent projet aménage et élargit les possibilités actuelles du congé de reconversion.

Il comporte deux articles et poursuit trois objets principaux : assouplir le régime du congé de reconversion, actuellement réservé, sur demande agréée, aux militaires ayant accompli au moins quatre années de services ; permettre aux volontaires ayant moins de quatre ans de services de bénéficier d'un congé de reconversion de courte durée ; instaurer un congé pour création ou reprise d'entreprise.

L'article premier tend en effet à modifier l'article L. 4139-5 du code de la défense afin que le congé de reconversion ne soit plus de six mois consécutifs, comme aujourd'hui, mais d'une durée maximale de 120 jours ouvrés, pouvant être fractionnée pour répondre aux contraintes de la formation suivie ou de l'accompagnement vers l'emploi. Le congé complémentaire de reconversion reste, quant à lui, d'une durée maximale de six mois consécutifs.

Cette disposition ne change pas le nombre de jours du congé de reconversion, la durée actuelle de six mois correspondant environ à 120 jours ouvrés. Mais elle permet d'étaler ceux-ci sur une période plus longue. Elle présente plusieurs avantages : offrir plus de souplesse dans l'organisation de la formation ou de la recherche d'emploi ; donner davantage de temps aux candidats pour préparer leur reconversion – alors que le cumul du congé actuel de reconversion et du congé complémentaire ne peut excéder un an, les candidats pourront étaler le futur congé de reconversion sur plusieurs années ; la seule date butoir est fixée par le 11e alinéa, qui prévoit que l'intéressé est radié des cadres ou rayé des contrôles à titre définitif, s'il n'a pas bénéficié de la totalité du congé de reconversion au plus tard deux ans après l'utilisation du quarantième jour de celui-ci. Cette mesure permettra aussi de réaliser plus facilement des formations longues et ouvrira de ce fait davantage de débouchés. Enfin, elle donnera aux intéressés et aux entreprises ou institutions partenaires une plus grande sécurité juridique : la réalisation des stages devrait pouvoir se faire systématiquement dans le cadre des congés de reconversion, et non, comme c'est parfois le cas aujourd'hui, dans celui des permissions.

Selon l'étude d'impact jointe au projet, cette mesure devrait entraîner une amélioration du taux de reclassement et une diminution du coût du chômage, mais ses effets « ne sont pas chiffrables ni même évaluables ». En tout état de cause, le fractionnement du congé imposera une gestion administrative plus lourde, que le ministère entend assumer à moyens administratifs constants. C'est précisément pour limiter des charges supplémentaires de gestion qu'il est prévu, dans le projet de décret en Conseil d'État relatif à l'application du projet de loi, de comptabiliser pour moitié les durées d'activité telles que celles des missions opérationnelles ou des congés de maladie dans les deux ans restant à courir après l'utilisation du quarantième jour du congé.

Cette disposition suppose, on le voit, que, selon l'expression employée à plusieurs reprises devant moi par des candidats à la reconversion, les autorités militaires « jouent le jeu », autrement dit qu'elles n'entravent pas les démarches de reconversion des militaires souhaitant quitter les armées, mais les concilient au mieux avec l'intérêt et les nécessités du service.

La deuxième disposition clé du projet, qui figure au sixième alinéa de l'article premier, est la création d'un congé de reconversion court pour les volontaires ayant moins de quatre ans de service. D'une durée maximale de vingt jours ouvrés, ce congé fonctionnera selon les mêmes modalités et dans les mêmes conditions de fractionnement que le congé de reconversion classique.

Il tend à faciliter la reconversion des volontaires – pour l'essentiel des gendarmes –, qui sont généralement jeunes, peu diplômés et rencontrent, en particulier dans un contexte de crise économique et de chômage, des difficultés d'insertion sur le marché du travail. Elle ne concerne pas les militaires engagés, que le ministère de la défense souhaite fidéliser.

Au total, indépendamment de l'évolution des flux annuels de sortie, 13 000 personnes seraient éligibles à ce nouveau dispositif. Selon le ministère, la charge nouvelle représentée par l'instruction des dossiers devrait incomber aux échelons locaux des armées et ainsi être fractionnée, sans nécessiter de moyens supplémentaires.

La troisième mesure principale du projet est l'instauration d'un congé pour création ou reprise d'entreprise. A cette fin, l'article 2 ajoute une nouvelle position d'activité à celles énumérées au 1° de l'article L 4138-2 du code de la défense, telles que les congés de maladie ou le congé de reconversion.

Par ailleurs, un article L 4139-5-1 vient définir, après l'article L 4139-5 du code de la défense, le régime juridique de ce nouveau congé, qui comporte cinq éléments principaux.

Premièrement, son accès est ouvert, sur demande agréée, au militaire ayant accompli au moins huit ans de services militaires effectifs, l'interdiction d'exercer à titre professionnel une activité lucrative n'étant pas applicable dans ce cas.

Deuxièmement, sa durée est au maximum d'un an, renouvelable une fois.

Troisièmement, la rémunération du militaire durant ce congé est celle correspondant à son grade, comme c'est le cas pour le congé de reconversion. Lorsque ce congé est renouvelé, le militaire perçoit la rémunération de son grade réduite de moitié.

Quatrièmement, la durée de ce congé compte pour les droits à avancement et les droits à pension, comme pour le congé de reconversion.

Cinquièmement, s'agissant des conséquences statutaires, le bénéficiaire est radié des cadres ou rayé des contrôles à titre définitif à l'expiration du congé, sauf s'il est mis fin à celui-ci dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. Selon les informations communiquées par le Gouvernement, ce texte prévoirait que le militaire ne souhaitant pas être radié ou rayé des contrôles à l'issue du congé devra en faire la demande au moins deux mois avant son expiration. Par ailleurs, le projet prévoit que le bénéfice d'un congé pour création ou reprise d'entreprise est exclusif de tout congé de reconversion. Le régime du PIC sera adapté en conséquence.

Ce nouveau congé, qui devrait être mis en oeuvre à moyens constants, comporte plusieurs avantages : permettre à un militaire de continuer son activité tout en exerçant celle de chef d'entreprise ; donner à ses bénéficiaires une durée environ deux fois plus longue qu'à ceux du congé de reconversion ; enfin, éviter d'éventuels abus en n'étant pas cumulable avec ce dernier, et inciter ainsi les candidats à la reconversion à faire un choix professionnel clair.

Aux termes de l'étude d'impact, ce congé concernerait « au maximum une population d'une vingtaine de militaires par an ». Son coût en année pleine est estimé en conséquence à 2,09 millions d'euros. Cette évaluation est surprenante : la plupart de mes interlocuteurs ont en effet estimé que le nombre de bénéficiaires potentiels devrait en réalité être nettement plus important, sauf si le ministère décidait de contingenter le dispositif, indépendamment de la qualité des projets – ce qui me semblerait contraire à l'objectif de reconversion. En effet, on peut penser qu'une grande partie des quelque 200 bénéficiaires du PIC pourraient être intéressés par un tel congé. Il serait utile, monsieur le ministre, que vous nous précisiez votre position sur ce point.

En conclusion, les dispositions proposées sont dans l'ensemble utiles et devraient permettre de favoriser le processus de reconversion des militaires. Ce projet a d'ailleurs fait l'objet d'un avis globalement favorable du Conseil supérieur de la fonction militaire.

Cela étant, le dispositif de reconversion est, on l'a vu, confronté à de nombreux défis, liés à l'accroissement des flux induit par la réduction des effectifs des armées, aux contraintes budgétaires et aux difficultés d'insertion sur le marché du travail. Ces défis ne pourront être relevés uniquement grâce au projet de loi, mais par un ensemble de mesures réglementaires et de gestion, comme le montrent les orientations du Haut comité d'évaluation de la condition militaire, dans son rapport de juin dernier.

Vous avez récemment fait adopter, en ce sens, monsieur le ministre, un décret instaurant un bilan professionnel de carrière. Je crois qu'il sera utile que vous nous précisiez chaque année, notamment à l'occasion de l'examen des projets de loi de finances, les mesures prises pour répondre à ces défis, ainsi que leur coût et les résultats obtenus.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion