Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Julia Kristeva-Joyaux

Réunion du 31 mars 2010 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Julia Kristeva-Joyaux :

Je développerai à ma façon le propos de M. Myard. La crise que nous traversons n'est pas seulement économique et financière : c'est une crise de civilisation, dont émergent de nouvelles priorités, face auxquelles les critères du XIXe et du XXe siècle, que nous persistons à utiliser, se révèlent inopérants.

À un monde unilatéral succédera un multilatéralisme où chaque nation voudra jouer un rôle, quitte à le faire à travers la « traductibilité » de son message. Les langues et cultures nationales ne seront pas qu'un marché : il faudra développer des messages de sens. Que faire de ces populations émergentes, qui veulent participer au marché, mais qui y arrivent avec d'autres religions et d'autres cultures et veulent faire entendre leur voix ? L'exportation d'une culture doit donc tenir compte, non seulement du marché, mais aussi du message.

Cette vision n'est pas qu'intellectuelle : que veut dire la France quand elle veut développer le français ? Elle ne veut pas nécessairement le développer en tant que langue véhiculaire, comme vous l'avez souligné à juste titre. Elle ne va pas non plus forcément développer les idées des Lumières, à travers un nationalisme outrancier. Elle propose un autre message, à élaborer avec les intellectuels et avec le monde politique. On a vu, à l'occasion du débat sur l'identité nationale, combien la dérobade des élites et la brutalité des politiques peuvent rendre ce travail difficile.

C'est pourquoi le Conseil économique, social et environnemental recommande qu'on mène au sommet de l'État une réflexion approfondie sur le message culturel de la France : quelle culture voulons-nous dans ce pays, et que voulons-nous faire entendre au monde ? C'est cette vision de la culture, métaphysique et politique, qui donnera l'impulsion nécessaire à une restructuration organique des différentes actions ministérielles au bénéfice d'une politique plus interministérielle. Cette vision ne saurait se fonder sur une dénégation de la culture mercantile : il faut évidemment développer les industries culturelles, le livre, le cinéma, l'audiovisuel, l'informatique. Mais la langue de la mondialisation ne sera pas l'anglais, ni le chinois : ce sera la traduction. Celle-ci passera par de nouvelles technologies, dont le développement mobilise de grandes quantités de ressources, financières et humaines, constituant un vivier d'embauches.

Tel doit être notre credo : oui, la culture est un marché, mais elle est d'abord un message. Il nous faut une vision propre à concilier les deux. Étant donné ce que sont les institutions de la VeRépublique, cette vision peut être défendue par le Président de la République et son entourage, qui donneront une impulsion au Gouvernement, le Parlement étant le lieu où cette idée pourra se faire entendre.

Dans ce monde de l'image, l'audiovisuel extérieur est essentiel, et je m'étonne que le projet de loi néglige cette priorité – mais peut-être fera-t-elle l'objet d'un texte spécifique. TV 5 Monde et France 24 sont à mon avis complémentaires, chacune ayant sa raison d'être : France 24 assure en quelque sorte la communication des options politiques de la France, sur le modèle de CNN, en français, en anglais, en arabe et en chinois, alors que TV 5 Monde dispense, à travers une grille de programmes plus étoffée, la culture et la singularité de la France et de ses régions.

Je conclurai sur la formation des étudiants étrangers, qui me semble un point particulièrement névralgique. Il ne s'agit pas seulement de combler le retard considérable de notre pays en matière de recensement des anciens élèves étrangers : il faut améliorer l'accueil et la formation des futures élites étrangères, et c'est d'ailleurs, avec la réforme de l'audiovisuel extérieur, une des deux pistes auxquelles l'avis du CESE reconnaît la plus grande importance. Je me suis laissé dire qu'il y a quelques années, le British Council avait chargé une ancienne recrue de l'Intelligence service de l'accueil des étudiants étrangers. Nous devons nous aussi préférer à l'accueil passif d'étudiants simplement intéressés par de meilleures conditions de vie, une politique active de recrutement d'étudiants à la recherche de possibilités d'améliorer leur développement intellectuel et politique. Il faudra ensuite assurer le suivi de ces étudiants, leur allouer des bourses, valoriser leurs recherches, se soucier de leur carrière, etc., dans le cadre d'une politique visionnaire et volontariste.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion