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Intervention de Antoine Compagnon

Réunion du 31 mars 2010 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Antoine Compagnon :

Certes, mais il en a été question, d'où mes inquiétudes. Si je ne nie pas la fragilité de certaines, de très petites dimensions et bénéficiant de peu de moyens, l'atout qu'elles constituent doit absolument être préservé par la réforme.

Jusqu'à récemment, monsieur Gaymard, la vocation de l'action culturelle extérieure de la France était essentiellement éducative, mais la multiplicité des acteurs au cours des vingt dernières années a compliqué la situation. Dans l'entre-deux-guerres et jusqu'aux années 50, notre action culturelle extérieure était aux mains de quelques mandarins parisiens : l'un couvrait l'Amérique du sud, un autre avait la haute main sur l'Extrême-Orient, André Siegfried était en charge de l'Amérique, etc. Le passage de l'éducatif au culturel a commencé au cours des années 80, et s'est accompagné d'un changement dans le recrutement : jusqu'ici, les conseillers culturels étaient des professeurs d'université. Mais cette mutation n'a pas été menée à son terme, ce qui explique le caractère extrêmement disparate du système, éclaté entre le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et celui de la culture.

Depuis des années, monsieur Giacobbi, je réclame un annuaire des anciens boursiers du gouvernement français, parce que je les considère moi aussi comme les ambassadeurs de la culture française. Nous ne disposons d'aucun moyen de recenser ces générations formées par la France, alors qu'on devrait pouvoir s'adresser à eux quand on va en Syrie, au Japon, en Israël ; c'est auprès d'eux qu'il faudrait pouvoir lever des fonds pour les alliances françaises et les instituts français. Nous avons certes lancé ce recensement, mais nous n'en sommes qu'au tout début.

Par ailleurs, monsieur Giacobbi, je crois que le français doit être défendu comme seconde langue étrangère, et que tous nos efforts devraient se concentrer sur cet objectif – disant cela, je vous apporte aussi un début de réponse, madame Aurillac. Mais on ne peut pas déplorer la perte d'audience du français dans le monde tout en négligeant l'état de l'enseignement des langues étrangères dans notre pays : l'enseignement de l'allemand ou du russe en France est dans un état désastreux. En revanche, le français reste la première langue étrangère enseignée aux États-Unis. Il est vrai que l'enseignement du français est en recul, alors que celui du chinois est en pleine expansion, mais ce dernier part de très bas.

On a l'habitude en France de multiplier les organismes dits « autonomes », mais pensons à l'autonomie des universités – ce sont des autonomies élastiques qui peuvent être réduites à tout moment. C'est ce à quoi nous risquons d'assister encore une fois avec l'agence qui a été évoquée ici, toujours menacée de perdre le contrôle des actions dont elle a la charge. Le DAAD (Deutscher Akademischer Austausch Dienst), chargée de l'action universitaire allemande, me semble mener une action culturelle autrement efficace à long terme.

Enfin, madame Aurillac, je n'ai jamais parlé d'un déclin ni d'une fin de la culture française, mais du déclin, voire de la fin du privilège exorbitant dont la culture française a joui pendant plusieurs siècles. Avec les industries culturelles, nous avons changé de paradigme : le modèle français, associant étroitement langue, littérature et culture, ne peut plus avoir cours sur ce qui est devenu un marché. Ce n'est pas pour autant que nous devons renoncer à être présents sur ce marché, au contraire. Mais nous devons également défendre ce qui reste de la langue et de la culture françaises. Je n'ai donc plaidé en faveur d'aucun pessimisme : je plaide en revanche pour le réalisme. Il s'agit de comprendre que la place de la langue et de la culture françaises n'est plus celle qu'elle occupait encore il y a vingt ans et qu'il faut trouver d'autres moyens de la défendre, y compris sur le marché de la culture et à travers les industries culturelles.

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