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Intervention de Andrée Rabilloud

Réunion du 23 février 2010 à 14h00
Délégation aux droits des femmes et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

Andrée Rabilloud :

Si l'on ne considère que l'élection des conseillers municipaux et des délégués communautaires, l'accès des femmes à ces mandats locaux se trouvera très nettement facilité par le projet.

En premier lieu, l'abaissement, de 3 500 à 500 habitants, du seuil à partir duquel s'appliquerait le scrutin de liste proportionnel, concernerait 13 360 communes et 210 000 conseillers municipaux environ. En vertu de l'exigence de parité des listes, la moitié de ces derniers seraient des femmes. En outre, cette disposition permettrait la représentation de la minorité au sein des conseils. La démocratie y gagnerait donc. Il est vrai cependant, que ce renouvellement des élus et cette féminisation des conseils se heurtent aux difficultés inhérentes aux conditions d'exercice des responsabilités publiques. En effet, pour les femmes, peut-être encore plus que pour les hommes, il n'est pas toujours aisé de cumuler vie professionnelle, vie familiale et engagement public. Par choix ou par nécessité, rares sont actuellement les femmes qui ne travaillent pas et, même si l'air du temps est au partage des tâches ménagères, je ne crois pas que celui-ci soit encore parfait ! Aussi, je crains que nous n'ayons beaucoup de mal à trouver des candidates.

Lassés par les inconvénients du panachage, les maires des petites communes rurales demandaient depuis longtemps – bien avant que n'intervienne la loi sur la parité – que les conseillers municipaux soient élus au scrutin de liste, quelle que soit la population de la commune, et quitte à diminuer le nombre de conseillers. Le projet fixe ce seuil à 500 habitants : n'est-ce pas trop bas pour garantir une représentation des femmes résultant d'un véritable choix de leur part ? Ne serait-il pas plus sensé de fixer ce seuil à 1 000 ou à 1 500 ?

S'agissant de l'élection des délégués communautaires, elle se fera désormais au suffrage universel direct dans les communes dont les conseils seront élus au scrutin de liste, puisque seront désignés les candidats figurant en premier sur les listes. Celles-ci comportant alternativement un candidat de chaque sexe, le projet ouvre largement aux femmes la participation aux conseils communautaires. De la même manière, il assure la représentation des minorités au sein des conseils communautaires, puisque y siégeront les personnes figurant dans les premières places de la, ou des listes, autres que la liste arrivée en tête. Ici encore, on ne peut que se réjouir d'un progrès pour notre démocratie locale et d'une plus grande ouverture aux femmes.

Il en va tout autrement de l'élection des conseillers territoriaux, qui résultera, quant à elle, de la combinaison de deux modes de scrutin : pour 80 % d'entre eux, elle se fera au scrutin uninominal majoritaire à un tour, avec obligation de présenter, dans chaque canton remanié, un titulaire et un suppléant de sexe opposé ; pour les 20 % restants, au scrutin de liste proportionnel, les listes incluant, alternativement, des candidats des deux sexes.

Or, si le scrutin majoritaire a le mérite d'être simple et clair, je ne suis pas sûre qu'instiller dans cette élection une dose de proportionnelle soit très compréhensible pour les électeurs. De plus, alors que le premier favorise l'ancrage local des élus, quel lien avec le territoire auront les conseillers territoriaux élus à la proportionnelle ? Les habitants des territoires ruraux tiennent à avoir des élus proches d'eux, qu'ils rencontrent régulièrement. Ne pourrait-on, à l'image des élections sénatoriales, envisager pour ces cantons, un scrutin uninominal, et un scrutin de liste pour les cantons urbains où les élus sont plus anonymes ?

Par ailleurs, l'élection se faisant à un seul tour, c'est le candidat arrivé en tête qui sera déclaré élu, quel que soit le pourcentage des suffrages obtenu. Quelle sera sa légitimité si c'est avec, par exemple, 25 % des voix, en raison de candidatures multiples ? Le scrutin majoritaire à deux tours, si l'on fait abstraction des accords intervenant avant le deuxième tour, a, lui, le mérite de dégager des majorités sans appel.

Mais venons-en à l'impact de ce mode de scrutin sur la représentation des femmes, sachant déjà que la limitation du nombre des conseillers territoriaux entraînera sans doute une réduction du nombre de personnes susceptibles de se porter candidates. Conformément au second alinéa de l'article 1er de la Constitution qui dispose que « la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives », le projet prévoit que, pour les sièges à pourvoir à la représentation proportionnelle, toute liste sera composée alternativement d'un candidat de chaque sexe et que, pour les sièges à pourvoir au scrutin majoritaire, le candidat et son remplaçant seront de sexe différent. C'est ce qui se pratique actuellement, soit pour les élections régionales, soit pour les élections cantonales. Mais l'effet de ces dispositions sera différent ici dans la mesure où 20 % seulement des élus le seront à la proportionnelle : nul besoin d'une boule de cristal pour prédire que, pour les autres, nous serons loin de la parité…

Supposons par exemple qu'un département ait à élire cent conseillers territoriaux, soit dans l'idéal 50 femmes et 50 hommes. Si, grâce au scrutin de liste, on sera théoriquement assuré de l'élection de dix femmes, combien y en aura-t-il parmi les 80 candidats élus au scrutin majoritaire ? Combien d'hommes seront prêts à n'être que suppléants ? On le sait très bien, ce type de scrutin rend caduc le principe même de la parité puisqu'il laisse candidats et partis politiques libres d'agir à leur guise. Faudrait-il imposer un quota dans ces 80 % ? D'ailleurs, pourquoi avoir fixé un ratio de 8020 ? Pourquoi pas 5050 ?

Certes, les formations politiques sont incitées financièrement à présenter des femmes, mais peut-on considérer le but comme atteint quand on voit le nombre de députées, de sénatrices ou de conseillères générales ? Ainsi, on ne dénombre que cinq femmes parmi les 58 conseillers généraux de l'Isère ! N'en irait-il pas différemment si les partis avaient un intérêt financier substantiel, sous forme d'un avantage plutôt que d'une pénalité comme aujourd'hui, à présenter une femme en position éligible ?

Après avoir essuyé les affres des « quotas » et les critiques de la parité, voici que, par cette réforme rétrograde, les femmes seront à nouveau obligées de se mobiliser pour exister en politique, quitte à être ensuite « exhibées ».

Pour autant, je m'inquiète aussi des difficultés que rencontreront les maires ruraux des communes de plus de 500 habitants quand, en 2014, ils devront appliquer la parité.

Une femme qui s'engage dans la vie publique, c'est une chance pour sa collectivité car elle le fait avec beaucoup d'assiduité, d'efficacité et de détermination. Mais elle ne prend pas cette décision à la légère : elle se renseigne préalablement sur l'ampleur de la tâche qui l'attend, elle en mesure l'impact sur sa vie familiale, personnelle et professionnelle. Y en a-t-il beaucoup qui soient partantes ? Pour ma part, j'ai souvent eu beaucoup de mal à en recruter pour constituer ma liste aux élections municipales. Alors, plutôt que de vouloir à tout prix compléter des listes avec des personnes peu motivées, ne serait-il pas plus judicieux de tout faire, avec l'appui des formations politiques, pour que celles qui en ont la volonté et la possibilité puissent s'engager ?

La loi sur la parité sert un objectif louable. Elle est absolument nécessaire pour permettre aux femmes d'exister davantage en politique, pour les aider à s'imposer. Mais notre société est-elle réellement prête, aujourd'hui, à voter pour elles ?

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