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Intervention de François Aubart

Réunion du 24 mars 2010 à 10h00
Commission des affaires étrangères

François Aubart, délégué général à la lutte contre les territoires et juridictions non coopératifs :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de me retrouver parmi vous pour évoquer un sujet, certes ancien, mais qui a été l'objet d'un regain d'intérêt depuis la crise financière : c'est pourquoi le G 20 de Londres a considéré qu'il convenait d'en renouveler l'approche.

La crise a en effet mis l'accent sur un phénomène qu'on soupçonnait déjà, à savoir le caractère trois fois déstabilisateur des territoires et des juridictions dits « non coopératifs » : ils le sont en effet dans le domaine fiscal, en matière de blanchiment d'argent et sur les questions d'ordre prudentiel. Il faut savoir que le mot « juridictions » recouvre à la fois des États souverains, des dépendances, notamment de la couronne britannique, voire certains des États composant des fédérations.

Ces juridictions sont, je l'ai dit, déstabilisatrices tout d'abord sur le plan fiscal, du fait que, en tant que paradis fiscaux, elles privent les États de ressources fiscales. Elles le sont ensuite sur le plan des pratiques financières, puisque, en permettant le blanchiment de l'argent, elles couvrent des pratiques criminelles, en commençant par la fraude. Elles le sont enfin sur le plan des circuits financiers : on s'est en effet aperçu de l'importance acquise par certaines structures ou certains produits financiers, qui se sont développés depuis une dizaine d'années, notamment les hedge funds ou encore les special purpose vehicles – ceux-ci, qui sont des véhicules financiers destinés à un objectif particulier, président généralement à des opérations hors bilan de la part du monde financier. Or ces produits ou ces structures sont accrochés à des territoires non coopératifs. Je prendrai l'exemple de la banque britannique Northern Rock, qui a été nationalisée à la suite de son engagement excessif dans les crédits hypothécaires américains : une structure domiciliée à Jersey – Granite – portait pour quelque 50 milliards de livres de dettes qui auraient dû figurer dans les comptes de Northern Rock ! Une grande partie du jeu financier a donc profité de l'extrême opacité fiscale, mais surtout juridique, de ces territoires non coopératifs, avec lesquels les échanges d'informations se révèlent très difficiles. En l'absence d'observatoire sur les aspects macroéconomique et macrofinancier, il est du reste très difficile d'obtenir des statistiques relatives au niveau financier d'utilisation de ces territoires : une somme importante – on évoque le chiffre de 10 000 milliards de dollars – est en quelque sorte stockée dans cet ensemble de juridictions aux frontières assez floues, puisque les listes de l'OCDE, du GAFI ou du FSB (Financial Stability Board) ne se recoupent pas nécessairement : certains pays ne sont pas supervisés par les autorités internationales, notamment dans le cadre de relations bilatérales.

Depuis le G 20 de Londres, des progrès considérables ont été accomplis grâce à une prise de conscience de tous les gouvernements. Certains ont évidemment montré plus d'allant que d'autres en la matière : il convient, à cet égard, de souligner le consensus de la France, de l'Allemagne, des États-Unis et, à un certain degré, du Royaume-Uni, visant à approfondir la coopération et l'échange d'informations en matière fiscale, en matière de blanchiment d'argent comme dans le cadre prudentiel, afin que les opérations financières qui passent par ces juridictions soient les plus transparentes possibles, ce qui est assurément une gageure.

Le combat contre les juridictions non coopératives s'est tout d'abord engagé, en matière de blanchiment d'argent, sur un plan multilatéral dans le cadre du GAFI, qui regroupe la plupart des pays de l'OCDE, plus quelques autres. Cette lutte avait commencé depuis longtemps mais ces institutions ont été réveillées par le G 20 de Londres. En effet, à la fin des années 90 et au début des années 2000, certaines juridictions non coopératives avaient déjà pris des engagements pour lutter contre l'opacité et améliorer l'information. Certaines les avaient tenus, d'autres non, ce qui a rendu nécessaire l'exercice d'une pression politique homogène. Ce fut le cas jusqu'au 11 septembre. Après les attentats, l'accent principal a été mis sur la lutte contre le terrorisme, ce qui, tout en étant parfaitement légitime, a eu l'inconvénient de rendre, je dirai, plus aimable, moins rigoureux et moins vigoureux le combat sur le plan fiscal, notamment en matière d'échanges de renseignements. Des pays qui avaient pris des engagements sur ce point ne les ont pas tenus, faute d'avoir pris les mesures internes nécessaires, si bien que l'administration qui demandait des informations se heurtait, chaque fois, à un mur. Le G 20 de Londres a permis de réaliser de réels progrès grâce à la signature de conventions bilatérales entre les juridictions non coopératives et d'autres pays, qui peuvent être également des juridictions non coopératives. La généralisation de la coopération permet de créer un double réseau d'accords d'échanges de renseignements – c'est le degré minimal – et de conventions de double imposition, dans lesquelles on insère des dispositifs précis se rapportant au standard de l'OCDE établi en 2005. Je pense notamment à l'article 26, qui dresse les obligations des États en matière de transparence fiscale. Des avenants ont également été signés.

Depuis un an, ce sont ainsi plus de 300 conventions qui ont été signées dans le monde, permettant de tisser un réseau très serré d'échanges de renseignements à usage fiscal. Pour les pays qui s'engagent dans ces nouvelles conventions, des dispositifs sont prévus pour faire reculer le secret bancaire à usage fiscal. C'est la raison pour laquelle les conventions que le Parlement aura à examiner sont des conventions beaucoup plus exigeantes en matière d'échange de renseignements afin d'éviter que le diable ne se cache dans les détails. Trop souvent, en effet, un pays, auquel sont demandés des renseignements d'ordre fiscal sur un particulier ou une société, se barricade, pour ne pas répondre, derrière des dispositions d'ordre constitutionnel ou administratif. Nous observons du reste des évolutions notables avec des pays comme le Luxembourg ou la Suisse, qui sont évidemment très importants pour la France, puisque c'est avec eux que nous entretenons les relations financières ou fiscales les plus nombreuses.

Un second cadre a été utilisé, celui du Forum mondial de l'OCDE, qui est une création des années 90, et qui, réuni à Mexico en 2009, a décidé de mettre en place, sur le modèle du système d'évaluation du GAFI, un système d'évaluation permanent des réglementations et des législations internes de chacune de ces juridictions, afin, notamment, de mesurer l'efficacité réelle des dispositifs mis en application, en s'assurant, par exemple, qu'un texte adopté ne reste pas lettre morte.

Il convient d'ajouter à ces dispositifs le recours aux listes – noire ou grise –, système qui a pour objectif, en quelque sorte, de faire honte à certaines juridictions. En dépit des critiques dont il est l'objet, c'est, à mes yeux, un bon système parce qu'il provoque une véritable évolution des législations internes de certains territoires en raison de la pression que fait peser sur eux le risque de se voir inscrits sur une liste noire ou grise. Du reste, l'annonce, par le G 20, qu'il sera possible pour ces pays d'être rayés de ces listes à condition de signer douze conventions, a créé une forte incitation, si bien que les listes se sont réduites au bénéfice de la création d'un réseau de conventions internationales d'échange de renseignements. Il est vrai que certains pays n'ont pas joué le jeu et que, parmi les douze conventions, certaines ont été signées avec d'autres paradis fiscaux, voire avec des pays avec lesquels ils n'entretenaient aucune relation : une convention signée avec le Danemark étant applicable aux Îles Féroé et au Groenland, certains États sont ainsi devenus partenaires de ces deux territoires en l'absence de toute relation.

Il était indispensable de prévoir un système permettant de remplacer celui des listes : tel est précisément l'objectif de l'évaluation mise en place par l'OCDE dans le cadre du Forum mondial. En tant que président du groupe d'évaluation des juridictions non coopératives de l'OCDE, j'ai signé, la semaine passée, un questionnaire très exigeant en termes de références, notamment en ce qui concerne la disponibilité de l'information sur les banques et les propriétaires réels de structures tels que trusts, fondations ou IBC (International business corporations). Ce nouveau système exige des législations très transparentes de la part des juridictions concernées. Au cours d'une première phase, quarante pays seront évalués avant la fin de l'année.

Les critères sont ceux de tous les systèmes d'évaluation internationale financière ou fiscale : sur chaque point examiné, les pays sont déclarés conformes, non-conformes, largement conformes ou partiellement conformes, ce qui permettra de ranger les pays par catégories. J'ignore pour l'instant si des listes noire, grise ou blanche seront établies à partir de cette évaluation : il reviendra à une instance politique telle que le G 20 de le décider éventuellement. Il n'en demeure pas moins que nous disposerons d'une évaluation aussi sérieuse que transparente, effectuée par les pairs : chacun s'observant, les pays ont tendance à jouer cartes sur table.

Par ailleurs, un système de sanctions et de contre-mesures coordonnées s'applique aux États véritablement récalcitrants ou allergiques à toute mise aux normes : en effet, les pays du G 20 se sont engagés à prendre des contre-mesures ou des sanctions contre les opérateurs qui ont recours à ces pays. C'est ainsi que le gouvernement français a récemment publié un arrêté établissant une liste noire officielle, qui contient à l'heure actuelle dix-huit juridictions ne témoignant d'aucune volonté de coopération – je rappelle que cette liste ne saurait mentionner des pays membres de l'Union européenne en raison de l'action particulière qui est menée en la matière au sein de l'Union au travers des directives, notamment la directive « Épargne ». Cette liste sera mise à jour tous les ans par le Gouvernement.

La lutte devient donc beaucoup plus serrée. Il convient de faire comprendre aux opérateurs qu'ils prennent des risques beaucoup plus importants qu'auparavant en montant des opérations financières dans des juridictions non coopératives : ceux d'être contrôlés et sanctionnés ou d'avoir à établir des comptes rendus plus détaillés – je rappelle que nous sommes dans le cadre d'un échange d'informations à la demande et non automatique, sauf pour l'Union européenne. Cet important progrès devrait se traduire par quelques rentrées fiscales supplémentaires pour les pays qui s'en donneront, au plan national, les moyens en termes de contrôle fiscal, et par une lutte accrue contre le blanchiment, qui, contrairement à ce que pensent d'aucuns, demeure un sujet de préoccupation aussi important que l'évasion fiscale en raison de la diminution des échanges financiers. Enfin, en ce qui concerne le domaine prudentiel, le fait que certains paradis fiscaux deviennent coopératifs permet d'abattre les paravents opaques derrière lesquels se dissimulent propriétaires et actionnaires.

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