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Intervention de Hind Khoury

Réunion du 23 février 2010 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Hind Khoury, déléguée générale de Palestine en France :

Je vous remercie, monsieur le président, de votre invitation. Deux questions me paraissent essentielles : la situation sur le terrain et l'approche politique.

Sur le terrain, les conditions de vie demeurent catastrophiques. On constate un seul point positif : en 2008 et 2009, la situation économique s'est améliorée en Cisjordanie. Les dirigeants israéliens ne cessent de le répéter et c'est exact, mais c'est grâce au travail conduit par notre Premier ministre, M. Salam Fayyad, qui a su convaincre la communauté internationale de soutenir notre programme de développement à hauteur de 7,7 milliards de dollars pour les années 2008-2010. L'objectif de ce programme est de rétablir les institutions publiques et la sécurité, et sur ce plan nous avons bien progressé ; mais c'est aussi d'améliorer les conditions de vie des Palestiniens, dans la perspective de la fin de l'occupation et de l'établissement d'un État palestinien. Nous avons bâti un système financier dont le FMI et la Banque mondiale ont souligné la transparence et la crédibilité. Les multiples projets de développement menés à bien après l'injection des fonds octroyés par la communauté internationale – principalement l'Union européenne – ont permis une croissance économique de 8 % en 2009. Mais je rappelle que le PIB avait chuté de 40 % entre 2000 et 2007, cependant que le taux de pauvreté est proche de 70 %. Depuis lors, les choses ne se sont guère améliorées : ce taux est à présent de 40 % en Cisjordanie et de 80 % à Gaza.

La croissance économique dans la Cisjordanie reste très fragile et elle peut être remise en question à tout moment si des perspectives politiques sérieuses n'apparaissent pas rapidement. Notre développement structurel doit être fondé sur une vision politique claire et stable. Or, actuellement, notre avenir est subordonné à Israël qui, en tant que puissance occupante au sens du droit international et en particulier de la IVème Convention de Genève de 1949, détient un pouvoir sans limite sur le peuple palestinien et sur ses institutions. Israël, pays occupant, continue à nous imposer un système inhumain d'enfermement avec des conséquences très graves sur l'économie, l'éducation et la santé du peuple palestinien dans toute la Cisjordanie, Jérusalem-Est inclus.

Cette oppression fragmente la société palestinienne, déchire notre tissu social et bouleverse notre géographie. Elle se traduit par l'obligation permanente de demander des autorisations pour se déplacer, se faire soigner, cultiver sa terre... Les barrages militaires paralysent notre communauté et notre économie. Le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies, l'OCHA, estime que même après le prétendu gel des colonisations par Israël il y a un peu plus d'un mois, plus de 550 barrages et chicanes militaires continuaient de paralyser nos déplacements en janvier 2010. Il faut ajouter à cela que certaines routes sont strictement réservées aux Israéliens, que 12 % du territoire de la Cisjordanie sont entourés par le mur de séparation et que 28 % du territoire situés dans la vallée du Jourdain sont interdits aux Palestiniens.

Comme l'indique clairement le rapport annuel des consuls et chefs de mission de l'Union européenne sur la situation à Jérusalem, Israël continue de judaïser Jérusalem-Est et de se débarrasser de la population palestinienne qui y vit. Déjà, 4 567 Palestiniens de Jérusalem se sont vu retirer leur carte d'identité rien que pour l'année 2008, et s'ajoute à cela 12 500 permis de résidence ou de cartes d'identité déjà retirés depuis 1967 à des Palestiniens de Jérusalem-Est expulsés de leur propre ville ; 125 000 Palestiniens de Jérusalem qui vivent hors les murs risquent à leur tour de perdre leur permis de résidence et éprouvent déjà des difficultés à accéder à la ville.

Tout le monde attache une grande importance à la sécurité d'Israël, mais jamais à celle des Palestiniens qui vivent dans l'insécurité la plus totale, soumis à l'arbitraire d'une armée d'occupation surpuissante – et nous avons tous en mémoire l'attaque meurtrière de la Bande de Gaza en janvier 2009. Cette insécurité alimente la frustration, l'humiliation et parfois même la haine, avec toutes les violences qui en découlent.

On fait grand cas en France du prisonnier israélien détenu à Gaza, le caporal Shalit, mais on ne dit pas grand chose des quelque 10 000 Palestiniens actuellement détenus dans les prisons israéliennes. Se rend-on compte que depuis 1967 un tiers de la population palestinienne adulte est passée par les geôles israéliennes ?

En Cisjordanie et à Jérusalem-Est nous subissons le terrorisme des 500 000 colons israéliens et l'insécurité quotidienne qu'ils alimentent, se conduisant en maîtres souvent très violents des territoires qu'ils occupent illégalement. Combien de vies palestiniennes ont été brisées par cette colonisation pour laquelle les gouvernements israéliens successifs ont confisqué d'immenses superficies de terres et déraciné des dizaines de milliers d'oliviers ? Pour beaucoup de nos compatriotes, ces expropriations et ces confiscations de terres ont constitué de profonds traumatismes qui, loin de guérir, se sont aggravés.

À Gaza, la situation, dramatique depuis 2007, l'est davantage encore depuis les terribles destructions causées par l'agression israélienne de janvier 2009. Certes, les Israéliens se sont retirés de la Bande de Gaza, mais le blocus demeure. Dans son dernier rapport, publié en août 2009, l'OCHA rappelle que le chômage touche plus de 40 % de la population de Gaza, et davantage encore parmi les moins de trente ans. Les exportations et la pêche sont interdites, les importations de matériaux également, y compris des matériaux nécessaires pour reconstruire les 24 000 maisons qui ont été détruites, si bien que quelque 100 000 personnes sont encore sans abri. En raison du blocus, tout manque : électricité, fuel, matériel médical… La liste est trop longue pour décrire l'ampleur de la catastrophe, et Gaza demeure une prison à ciel ouvert.

Nous ne comprenons pas pourquoi Israël continue de bénéficier d'une impunité totale. La communauté internationale est-elle aveugle ? Pourquoi l'Union européenne ne publie-t-elle pas le rapport dont je viens de faire état et ses conclusions ? Pourquoi les pays européens, défenseurs des droits de l'Homme et du droit international, ne soutiennent-ils pas le rapport Goldstone ? Pourquoi les droits de l'Homme continuent-ils d'être bafoués ? Pourquoi les pays européens n'obligent-ils pas Israël à appliquer l'avis de la Cour internationale de justice sur le mur de séparation ? Pourquoi les pays signataires de la Convention de Genève ne se réunissent-ils pas pour la faire respecter ? Certes, les Palestiniens apprécient l'aide économique de l'Union européenne et des pays donateurs, Mais il est nécessaire que ces investissements nous apportent un développement durable et contribue à la paix. Or, sans véritable engagement politique de leur part, aucune paix durable ne sera possible.

Sur le plan politique, contrairement à ce qui est souvent dit, les Palestiniens ne refusent pas de retourner à la table des négociations, tant s'en faut. Nous sommes prêts à nous y rendre demain, mais à la condition impérative et urgente qu'il s'agisse de véritables négociations et non d'un processus vide de contenu et de sens. En clair, nous voulons participer à des négociations fondées sur des références au droit international reconnues de tous : la feuille de route de 2003 et les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l'ONU. Les Israéliens nous reprochent de ne pas vouloir négocier, mais ils refusent de parler de Jérusalem, des réfugiés ou des colonies. Dans ces conditions, sur quoi porteraient les négociations ? Cela n'a pas de sens. En outre, Israël refuse de reprendre les négociations au point où elles en étaient restées avec le gouvernement Olmert. C'est inacceptable : le gouvernement israélien changeant tous les deux ans, les Palestiniens réclament un calendrier précis qui doit être respecté quel que soit le gouvernement au pouvoir en Israël. Sinon, les négociations ne progresseront jamais et l'on reprendra tout à zéro tous les deux ans.

Si rien n'avance, nous n'excluons pas de demander la proclamation de l'État palestinien par l'ONU. Nous en débattons au sein de la Ligue arabe, dans le cadre du comité de suivi de l'Initiative de paix arabe. Cette initiative, je le rappelle, offre à Israël la normalisation totale de ses relations avec 57 pays arabes et musulmans en contrepartie de la rétrocession de tous les territoires occupés en 1967.

L'État palestinien, déjà reconnu par 140 pays où nous avons des ambassades, deviendrait alors réalité grâce à la politique du Président Abbas et du Premier ministre Salam Fayyad. Son territoire serait bien sûr constitué de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza et de Jérusalem-Est. L'Union européenne a adopté une position très claire à ce sujet en décembre 2009, réaffirmant, comme elle l'avait fait à Berlin en décembre 1999, qu'elle ne reconnaît aucun des faits accomplis par Israël dans les territoires occupés depuis 1967 et à Jérusalem-Est, et qu'elle est prête à reconnaître notre État le moment venu. Nous souhaitons que l'Union européenne, par ses positions politiques et par le poids de son aide économique, joue un rôle politique majeur aux côtés des États-Unis.

L'Union européenne doit assumer ses responsabilités au sein du Quartet chargé de l'application de la feuille de route et de l'établissement de l'État palestinien, un État qui devait voir le jour en 2005 déjà. L'Union européenne doit continuer de jouer un rôle majeur comme soutien de nos institutions démocratiques et nous aider à créer toutes les conditions nécessaires pour la tenue des élections législatives et présidentielle que nous espérons tenir le 24 juin 2010. Pour ce qui nous concerne, nous sommes déterminés à tout faire pour que ces élections aient lieu, et nous avons déjà annoncé la tenue d'élections municipales le 17 juillet prochain.

Nous avons salué la déclaration de M. Kouchner relative à la proclamation d'un État palestinien établi dans les frontières de 1967. Cette déclaration reprend celle qu'avait faite M. Javier Solana en octobre 2009, qui était elle-même l'écho de la proclamation de 1988 depuis laquelle 140 pays ont déjà reconnu l'État palestinien. La déclaration de M. Kouchner est importante en ce qu'elle indique que toute la communauté internationale est prête à reconnaître l'État palestinien si les négociations n'avancent pas assez vite sur la base du projet de notre premier ministre. Ce que nous attendons, bien sûr, c'est la reconnaissance de l'État palestinien par l'Europe et par les États-Unis.

J'indique en conclusion que nous espérons parvenir rapidement à la réconciliation avec le Hamas. L'Égypte a été un intermédiaire précieux mais nous avons besoin de toutes les parties pour aider tous nos compatriotes et leur donner l'espoir de retrouver une vie libre et digne.

Il est grand temps de mettre un terme à la souffrance du peuple palestinien qui perdure depuis 1948 et pour cela d'en finir avec une occupation et une colonisation qui se prolongent depuis 1967.

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