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Intervention de Sébastien Huyghe

Réunion du 23 février 2010 à 21h30
Application de l'article 65 de la constitution prorogation du mandat des membres du conseil supérieur de la magistrature — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les propositions formulées par la commission d'enquête parlementaire chargée de rechercher les causes de dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et par le « comité Balladur », ont inspiré la nouvelle rédaction de l'article 65 de la Constitution qui modifie, d'une part, la composition du Conseil supérieur de la magistrature et, d'autre part, une partie de ses attributions. Adapter l'institution aux évolutions de la société et de la justice supposait de renforcer son indépendance et de donner plus de transparence à la procédure de nomination des magistrats en prévoyant notamment l'intervention du Conseil supérieur de la magistrature dans la nomination des magistrats du parquet. De toute évidence, la confiance dans la justice et dans ceux qui sont chargés d'appliquer la loi ne peut se concevoir sans une réelle transparence des procédures de nomination et par la garantie de leur indépendance. C'est pourquoi le nouvel article 65 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a modifié la composition du Conseil supérieur de la magistrature ; le projet de loi organique que nous examinons aujourd'hui énonce les modalités selon lesquelles l'architecture du Conseil sera renouvelée.

Le projet de loi organique précise également dans quelles conditions les justiciables pourront directement saisir le Conseil, en vertu de cette même révision constitutionnelle. Cette dernière nouveauté mérite que l'on y attache toutes les précautions nécessaires en imposant un filtrage des recours qui écartera les plaintes abusives et manifestement infondées et protégera la sérénité des magistrats dans l'accomplissement de leur travail.

À ce titre, l'article 65 de la Constitution, dans sa nouvelle rédaction, prévoit tout d'abord une ouverture de la composition du Conseil supérieur de la magistrature à des personnalités extérieures à la magistrature. Ces huit personnalités qualifiées seront appelées à siéger dans les trois formations du Conseil : la formation plénière, la formation compétente pour les magistrats du siège et la formation compétente pour les magistrats du parquet. Par ailleurs, il est mis fin à la présidence du Conseil par le Président de la République et à sa vice-présidence par le garde des sceaux. Le nouveau texte prévoit que le premier président de la Cour de cassation présidera la « formation siège », et que le procureur général près ladite cour présidera la « formation parquet ». Le constituant a d'ores et déjà introduit à l'article 65 les principes de la composition de chaque formation.

L'article 1er du projet de loi organique précise les conditions de nomination des membres invités à siéger en formation plénière. En vertu des dispositions de l'article 65 de la Constitution, la formation plénière doit comprendre trois des cinq magistrats du siège désignés pour siéger dans la « formation siège », trois des cinq magistrats du parquet désignés pour siéger dans la « formation parquet », ainsi que huit autres personnalités non magistrats. Le projet de loi organique propose que les magistrats qui siégeront en formation plénière seront désignés par leurs pairs, sur désignation par un collège propre à chaque formation « parquet » et « siège ». La formation plénière sera présidée par le premier président de la Cour de cassation, qui pourra être suppléé par le procureur général près cette cour. Il convient de souligner que le Syndicat de la magistrature a exprimé, lors des auditions réalisées par la commission des lois, sa satisfaction quant aux modes de désignation envisagés par le projet de loi organique.

Le projet de loi organique prévoit aussi que, parmi les huit personnalités qualifiées, il faudra compter la présence d'un conseiller d'État ainsi que celle d'un avocat. L'introduction d'un avocat dans la composition du CSM constitue une des nouveautés majeures de l'article 65. Celui-ci sera désigné par le président du Conseil national des barreaux, après avis conforme de l'assemblée générale dudit conseil, et non pas élu par cette même assemblée générale, afin d'éviter l'écueil de la politisation que provoquerait une élection. En conséquence, le projet de loi organique a dû adapter le régime des incompatibilités applicables aux membres du Conseil supérieur de la magistrature. Jusqu'à la réforme constitutionnelle, le seul régime d'incompatibilité qui prévalait était celui d'interdiction de l'exercice d'une profession d'officier public ou ministériel, d'un mandat électif ou de la profession d'avocat.

Le Sénat a souhaité imposer un régime d'incompatibilité plus sévère à l'avocat, lui interdisant de plaider devant les tribunaux et d'agir en conseil juridique d'une partie engagée dans une procédure. Le rapporteur du texte, notre collègue Philippe Houillon, précise que ce régime d'incompatibilité est contraire à la lettre du texte constitutionnel, puisqu'il revient à empêcher l'avocat désigné ès qualités d'exercer sa profession. Ainsi, la commission des lois a souhaité rétablir sur ce point le texte initial du projet de loi organique, c'est-à-dire la simple dérogation à l'incompatibilité avec la fonction d'avocat, pour le membre désigné en sa qualité d'avocat.

Le cas du conseiller d'État et de l'avocat mis à part, les six autres personnalités qualifiées seront nommées par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. La commission des lois de chaque assemblée sera alors compétente pour donner un avis sur la nomination envisagée. Le projet de loi organique, dans son article 3, assortit cette nomination d'une exigence de représentation équilibrée des hommes et des femmes.

L'article 6 bis du projet de loi organique insère, quant à lui, un article 10-1 tendant à renforcer les exigences déontologiques imposées aux membres du CSM. En vertu de ces dispositions, leur mission est assortie des exigences d'indépendance, d'impartialité et d'intégrité, notions qui correspondent aux principes fondamentaux de la déontologie judiciaire, et que le Conseil supérieur de la magistrature a, dans son rapport public annuel de 2008, qualifié de « grands thèmes idéologiques ». Enfin, un amendement parlementaire propose une obligation de parité réelle en matière disciplinaire. En effet, dans la mesure où le constituant a prévu que les formations se réunissant en matière disciplinaire seront composées à parité de magistrats et de non-magistrats, ce choix peut être interprété comme la volonté d'instaurer une parité réelle lors de chacune de ses délibérations.

J'en viens maintenant à l'autre innovation majeure du projet de loi organique : la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables. Le droit positif ouvre déjà aujourd'hui aux justiciables la possibilité de contester une décision de justice par l'action contentieuse sur le fondement de la responsabilité de l'État qui permet d'obtenir réparation en cas de fonctionnement défectueux de la justice. Désormais, les justiciables seront fondés à former un recours, à l'instar du garde des sceaux et des chefs des cours d'appel, en matière disciplinaire. Il ne serait pas acceptable qu'une partie à une procédure judiciaire pâtisse du comportement d'un magistrat, dont la gravité justifierait la prise d'une sanction disciplinaire et elle mérite, à ce titre, être dotée de la faculté de saisir le Conseil, si elle s'estime lésée. Il est primordial que ce droit de saisine soit accessible à tous : c'est une avancée majeure dans le droit français. Il faut pourtant préciser que ce droit doit être encadré afin qu'un équilibre soit préservé et que les magistrats n'aient pas à souffrir de manoeuvres dilatoires ou d'accusations intempestives. Le projet de loi organique prévoit une procédure peu contraignante afin de garantir l'accessibilité de ce droit. Tout justiciable peut par simple lettre, et sans l'assistance d'un avocat, formuler sa demande et exposer de façon détaillée les faits et les griefs dont il se prévaut. Cependant, le texte impose un cadre à ce droit de saisine et précise, dans son article 18, que la saisine fera l'objet d'un double filtrage.

Le premier niveau de filtrage tient à la recevabilité de la demande. En effet, il ne s'agit pas d'ouvrir la possibilité de contester systématiquement une décision de justice, au prétexte infondé qu'un magistrat aurait eu un comportement préjudiciable. À cette fin, la commission d'admission des requêtes du CSM aura pour tâche de vérifier que la demande répond à un certain nombre de critères : le requérant doit d'abord prouver un intérêt à agir, la requête ne peut viser que le comportement d'un magistrat dans l'exercice de ses fonctions, la procédure ne peut pas être engagée lorsque le magistrat mis en cause est encore saisi du dossier ; toutefois, dans les cas où la procédure est particulièrement longue, il sera possible de saisir le CSM en cours de procédure. Le second niveau de filtrage consiste à estimer si le comportement incriminé peut faire l'objet d'une qualification disciplinaire ou non. La commission des requêtes prendra sa décision après avoir consulté le premier président de la cour d'appel dont dépend le magistrat en question.

Mes chers collègues, je tiens à rappeler l'importance de la justice et de la confiance que les citoyens portent en celle-ci. Ce projet de loi organique répond aux adaptations nécessaires de la pratique du droit aux évolutions de la société. Le renforcement de l'indépendance et de la transparence de l'autorité judiciaire, l'ouverture du Conseil supérieur de la magistrature à des personnes qualifiées et la création d'un droit de saisine ouvert aux justiciables permettent de rapprocher la justice du citoyen. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

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