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Intervention de Francis Fellinger

Réunion du 11 février 2010 à 9h00
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Francis Fellinger, président de la Conférence des présidents de commissions médicales d'établissement des centres hospitaliers :

J'approuve, pour l'essentiel, ce qui vient d'être dit. Je représente les commissions médicales de 520 centres hospitaliers, un groupe très hétérogène qui constitue la première offre de soins hospitaliers en France, et qui traite de nombreuses pathologies lourdes. Je soulignerai en préambule que, même si des améliorations sont possibles en matière de gestion et de qualité des soins, notre système hospitalier, envisagé dans sa globalité, n'est pas aussi inefficace qu'on veut bien le dire, et l'augmentation de l'activité des hôpitaux en témoigne. Or on a tendance à se focaliser sur les établissements en difficulté. Ainsi, on parle beaucoup des établissements en déficit, mais l'on semble oublier que, si les plus gros sont effectivement déficitaires, la majorité ne l'est pas. Il faut, certes, comprendre les raisons des dysfonctionnements pour y remédier, mais il faut aussi savoir mettre en exergue ce qui fonctionne, et rappeler que les praticiens hospitaliers sont attachés à leur établissement, fiers des missions qu'ils exercent et qu'ils cherchent à remplir de leur mieux.

Pour autant, les difficultés sont réelles. En premier lieu, de nombreux centres hospitaliers n'ont pas défini leur positionnement. La création des schémas régionaux a permis des améliorations mais la réflexion stratégique pèche encore. Les centres hospitaliers veulent continuer à faire un peu de tout, ce qui, manifestement, ne se peut plus. Il faut désormais dessiner une cohérence territoriale. Nous avons soutenu le principe de la tarification à l'activité (T2A) qui nous semblait favoriser l'équité par une juste répartition des moyens, jusqu'à présent très hétérogène pour des raisons historiques. Nous ne sommes pas entièrement d'accord avec la manière dont elle est appliquée. Il faut en effet que les missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation tiennent compte des missions de service public ; pour parler clairement, la province ne veut pas continuer à payer pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Outre cela, la T2A vise l'amélioration de l'efficacité de chaque établissement. Il en résulte que les équipes dirigeantes les plus efficaces auront des établissements performants sur le plan économique, mais cela ne préjuge en rien de la performance sanitaire territoriale. Or chaque patient doit obtenir une réponse coordonnée, graduée et efficace, en fonction de son état, sur le territoire où il vit. Il faudra donc prendre garde à concilier la planification territoriale que vont imposer les agences régionales de santé par des contrats très asymétriques et l'autonomie des établissements publics, auxquels on demande d'être hyperperformants. Actuellement, ces deux objectifs se contredisent.

Nous sommes confrontés à une autre grave difficulté : l'évolution de la démographie professionnelle. À Paris, le problème concerne plutôt les professions paramédicales ; en province, les médecins. Le nombre de médecins disponibles diminue et ce mouvement va s'aggravant, même si nos jeunes confrères se dirigent plutôt vers le salariat. De plus, on assiste à une sur-spécialisation. Lorsque j'ai commencé ma carrière de praticien hospitalier, notre service comptait quatre cardiologues polyvalents. Aujourd'hui, le service dans lequel j'exerce compte douze cardiologues, dont quatre ne participent plus aux gardes car, spécialisés en hémodynamique, ils ne sont plus capables de faire une échographie… Si l'on veut être efficace, il faut repenser l'organisation territoriale en concentrant les plateaux techniques pour atteindre la masse critique. Si l'on ne le fait pas, on ne trouvera plus de praticiens, car les jeunes médecins ne veulent plus travailler seuls – que le lieu soit agréable ou qu'il ne le soit pas – mais en équipe, à la fois pour partager la charge de travail et pour avoir des échanges intellectuels enrichissants. Ne l'oublions pas, le personnel de l'hôpital public est soumis à la forte contrainte de devoir assurer la permanence des soins secondaires spécialisés, ce qui pose aussi problème. À l'hôpital public, un radiologue gagne moins bien sa vie que dans un établissement privé, et il doit travailler les week-ends et les nuits ; on n'en trouve plus.

Aussi la question des ressources médicales est-elle pour nous un problème crucial. Si la tendance actuelle ne s'infléchit pas, on se dirige tout droit, pour les disciplines les plus difficiles, vers une « starisation » des médecins qui n'aura rien à envier à celle des joueurs de football : ils se vendront au plus offrant, monnayeront leurs compétences et leur présence et n'hésiteront pas à changer d'établissement. Il faut en prendre conscience et anticiper cette évolution.

Nous avons, nous aussi, globalement soutenu la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, bien que nous n'approuvions pas la partie du texte relative à la gouvernance ; nous l'avions dit, à l'époque, devant votre commission des affaires sociales. Le texte finalement adopté traduit un équilibre acceptable pour les médecins. Dans tout établissement hospitalier, une complicité quotidienne est obligatoire entre l'administration et les médecins, sinon le dysfonctionnement est certain. Nous considérons la création des agences régionales de santé comme un progrès, même si nous éprouvons quelques craintes sur l'« ingénierie administrative » que cela implique. On passe en effet d'agences régionales de l'hospitalisation très efficaces, chacune dotée d'un seul décideur, à des structures organisées sur un mode quelque peu préfectoral. Nous redoutons des circuits de décision compliqués, qui constitueront un facteur de complexité accrue pour les praticiens hospitaliers. Il est bon que les agences régionales de santé aient un champ de compétences plus large – trop large sur certains points – que n'avaient les agences régionales de l'hospitalisation, mais la difficulté sera de trouver l'interlocuteur juste, pour obtenir des réponses rapides ; nous verrons à l'usage.

De plus, quelle marge de manoeuvre auront les agences régionales de santé s'agissant de la médecine de ville ? Faute de moyens de pression comme elles en auront sur les hôpitaux, elles useront d'incitations et de leur pouvoir de conviction, mais sans doute n'obtiendront-elles pas de résultats immédiats. Ne pensez pas que nos relations avec nos confrères qui exercent en ville soient mauvaises : nous nous entendons bien avec eux, mais nous vivons sur des planètes différentes ; à tout le moins devons-nous être sur la même orbite…

La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires permet l'utilisation de nouveaux outils, tels que la télémédecine, qui nous faciliteront la vie et constitueront un progrès majeur pour nous, si l'on avance vite. Le texte laisse toutefois des questions en suspens. Ainsi, on va probablement demander aux centres hospitaliers d'ouvrir des centres de santé pour pallier les carences du réseau de premiers soins dans certaines zones ; y parviendront-ils ? Trouvera-t-on des médecins qui accepteront d'exercer dans les zones urbaines sensibles ou à la campagne ?

La partie du texte qui concerne les communautés hospitalières de territoire nous a beaucoup déçus. Ce sont des laboratoires d'idées intéressants mais elles sont dépourvues de vrais outils. Nous espérions pourtant qu'elles permettraient de restructurer l'hôpital public, en démantelant les cathédrales hospitalières actuelles, en concentrant les plateaux techniques, en développant la médecine ambulatoire, l'hospitalisation à domicile, les centres de prise en charge d'urgence un peu plus éloignés et des centres de santé, en créant, en bref, un réseau structuré d'hospitalisation publique. C'est notre rêve mais, sur ce point, la loi nous paraît très frileuse.

Par le biais de la T2A, les médecins hospitaliers se sont approprié la réflexion médico-économique – peut-être trop bien à certains égards. Maintenant, nous demandons la stabilisation du système car, si les règles changent tous les ans, l'absence de prévisibilité empêche toute anticipation.

Pour obtenir l'adhésion des équipes médicales, il faut aussi une subsidiarité réelle. Des études conduites sur les hôpitaux américains dits « magnétiques » ont montré qu'ils sont excellents parce qu'ils sont à taille humaine, mais aussi parce qu'ils font une place à l'informel. On peut définir toutes les procédures que l'on veut, on court au dysfonctionnement si personne ne sait laquelle appliquer. Actuellement, un temps médical considérable est consacré à l'informatisation des circuits de médicaments ; bien sûr, la certification et la réflexion sur la qualité doivent avancer, mais il faut savoir trouver un équilibre.

Enfin, la formation managériale des médecins et notamment des quelque 5 000 chefs de pôle est impérative et urgente. Les chefs de service ont une vision manifestement très lointaine des questions de gouvernance et de ce qu'elles recouvrent. Il est indispensable d'enseigner aux uns et aux autres ce qu'est la vie hospitalière, ce que sont un budget et un projet hospitaliers, pour leur permettre d'adhérer aux projets collectifs. Ainsi chaque établissement pourra-t-il s'engager dans un projet médical.

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