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Intervention de Jonas Gahr Støre,ministre des affaires étrangères du Royaume de Norvège

Réunion du 27 janvier 2010 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jonas Gahr Støre,ministre des affaires étrangères du Royaume de Norvège, ministre des affaires étrangères du Royaume de Norvège :

Il y a un gel effectif des constructions en Cisjordanie mais pas à Jérusalem-Est, où elles se poursuivent de manière systématique, je l'ai observé sur place il y a une semaine encore. D'autre part, le rythme de confiscation des papiers d'identité des Palestiniens a explosé ; c'est une pratique très choquante. On a par exemple confisqué le permis de résidence de M. Rafik Husseini, chef de cabinet de M. Abbas. Je me suis rendu à l'hôpital Augusta Victoria, que cofinance la Norvège ; le cancérologue m'a indiqué que selon les jours et en fonction des contrôles, il lui faut de 18 minutes à 2 heures pour se rendre à l'hôpital chaque matin depuis Ramallah, et qu'il doit présenter sept documents d'identité différents !

Que faire ? On peut envisager deux méthodes. La première, c'est le niveau « top down »,celui des négociations « du haut vers le bas » dont on sait d'expérience combien elles sont compliquées et qu'elles marquent le pas depuis Annapolis. La seconde, c'est le « bottom up », du bas vers le haut, comme s'y efforce M. Fayyad, le Premier ministre palestinien, qui veut créer, d'ici deux ans, les conditions d'un Etat palestinien viable, qui fait du bon travail et qui a la confiance des donateurs. C'est à ce niveau qu'il faut faire des gestes. Il faut lever les barrages routiers, faciliter l'arrivée des investissements et donner à l'Autorité palestinienne une plus grande responsabilité en matière de sécurité pour permettre que l'économie fonctionne plus normalement. Mais pour les Israéliens, tout geste demande une contrepartie visible. Cela peut se comprendre, mais c'est très dangereux. La position des Etats-Unis et de l'Union européenne s'est exprimée dans la déclaration du 8 décembre dernier : il faut faire pression pour que les gestes attendus se produisent. A Gaza, le désengagement unilatéral, non négocié entrepris par Sharon a donné au Hamas un argument oratoire pour dire, nous avons gagné par la résistance, mais ne donne pas à M. Abbas la possibilité de dire, nous avons négocié le changement de situation à Gaza. Il faut parler davantage de ce qui se passe à Jérusalem-Est, enjeu majeur de la négociation.

Le Traité de Paris du 9 février 1920 « concernant le Spitzberg » a reconnu la pleine souveraineté de la Norvège sur l'archipel, tout en admettant toutes les parties contractantes à l'exercice de leurs droits économiques dans les régions visées et leurs eaux territoriales. Il n'y a pas de base russe au Svalbard mais une communauté russe liée à l'exploitation minière ; cette activité périclite depuis fort longtemps, mais la Russie a toujours vu un intérêt stratégique à la maintenir. La Norvège le sait, et en fait son affaire. Quand, en 1944, M. Molotov, disputant la souveraineté du Svalbard à la Norvège, a voulu réviser le traité de Paris, il s'est vu opposer une fin de non-recevoir. La Norvège a pour priorité le développement de la recherche en milieu polaire au Svalbard, où existe déjà un très important centre de recherche scientifique. Plus largement, notre objectif est de maintenir de bonnes relations avec la Russie tout en montrant à tout moment que nous sommes en Norvège à Longyearbyen aussi sûrement que nous le sommes à Oslo, Trondheim ou Bergen. Ni en 1970, ni en 1990, la Norvège et la Russie ne sont parvenues à délimiter leurs frontières maritimes en mer de Barents au-delà des 200 miles nautiques. Mon homologue russe, M. Lavrov, et moi-même avons repris le dossier et nous sommes maintenant sur la bonne voie. Certes, cela prendra du temps, mais nous sommes convaincus qu'il est de l'intérêt de nos deux pays de pouvoir faire état d'une frontière clairement définie.

Il est sans doute paradoxal que la Norvège procède à l'exploitation et à l'exploration gazières et pétrolières tout en étant engagée dans la lutte contre le changement climatique, mais ce paradoxe s'observe à l'échelle internationale. L'économie mondiale dépend encore à 80% des énergies fossiles, ce qui ne peut durer. Il faut donc augmenter la part des énergies renouvelables, et nous y contribuons. Il faut en même temps réduire très fortement les émissions de gaz à effet de serre, ce que l'on peut faire en stockant le CO2. C'est pourquoi nous avons institué en 1993 une taxe sur le carbone, conçue pour encourager notre industrie à augmenter ses capacités de captage et de stockage de CO2 en mer du Nord et en mer de Barents. La technologie mise au point par la Norvège – aussi utilisée en Algérie – pour que l'activité pétrolière ne nuise pas aux impératifs écologiques est une technologie clé pour la période de transition ; elle permet de mener les explorations gazières en émettant 60% de CO2 de moins que la moyenne mondiale. Pendant la période de transition vers une économie pauvre en carbone, la Norvège ne va pas cesser d'approvisionner ses clients en gaz : sinon, cela mettrait la France, pour ne parler que d'elle, dans une situation déplaisante, et aurait pour conséquence d'augmenter la consommation de charbon en Europe. Mais, dans le même temps, j'ai discuté ce matin à l'Elysée d'un projet de 500 millions de dollars visant à préserver la forêt au Brésil, au Congo et en Indonésie. Voilà comment nous nous efforçons de concilier des objectifs différents.

Le Fonds souverain norvégien, à ce jour, a investi environ 25 milliards d'euros en France dont 14 milliards d'euros en obligations de l'Etat français – la France est donc un des premiers pays destinataires des investissements de ce fonds, qui n'a pas d'objectifs politiques. De même, la Norvège – consciente qu'un petit pays doté de vastes ressources qui les vendrait en fonction de considérations politiques se mettrait dans une situation de très grande vulnérabilité – vend son gaz sans davantage d'arrière-pensées politiques. Ce sont les sociétés concernées qui font la planification, les investissements et les négociations, ce qui explique pourquoi nos relations avec l'Union européenne sont d'une parfaite stabilité. Ainsi, ne lit-on jamais dans la presse, et c'est heureux, que la Norvège ne respecterait pas ses engagements, contrairement à d'autres pays. La Russie négocie le prix des matières premières qu'elle exporte en fonction de critères politiques. Ce n'est pas le cas pour ce qui nous concerne ; les prix de nos produits sont déterminés entre vendeurs et acheteurs, ce qui permet une bien meilleure stabilité de long terme.

De même, pour ce qui est de la gestion du Fonds, la Banque centrale de Norvège décide des investissements en recherchant le meilleur rendement possible et le Gouvernement n'intervient pas. Les acquisitions n'ont pas d'objectifs stratégiques – celui, par exemple, d'acheter des ports aux Etats-Unis. Ces modalités de fonctionnement ont conduit l'OCDE à désigner le Fonds souverain norvégien comme le parangon des fonds souverains. Notre fonds a investi dans quelque 7 000 sociétés dans le monde ; il est propriétaire de 1,5% du capital de toutes les entreprises mondiales et de presque 2% du capital des entreprises européennes. Les décisions d'investissement se font pour partie sur le fondement de critères éthiques. C'est ainsi que sur avis de son conseil d'éthique le Fonds a vendu ses parts dans la compagnie minière russe Norilsk Nickel, accusée de provoquer d'importants dégâts à l'environnement. De même, si de manière générale le Fonds augmente ses investissements en Israël, il s'est retiré du capital de la société Elbit qui a fourni un système de surveillance pour le mur de séparation israélien, élevé au mépris du droit international.

J'en viens aux relations entre la Norvège et l'Union européenne. Mon pays a adopté et transposé en droit interne tout l'acquis communautaire relatif à l'énergie – c'est plus que ce qu'ont fait la majorité des pays membres, car l'appartenance à l'espace économique européen nous impose de transposer automatiquement l'acquis communautaire relatif au marché unique. La Norvège est donc, en quelque sorte, un « pays externe de l'intérieur » de l'Union, et dire que c'est à cause de son pétrole qu'elle n'a pas adhéré à l'Union n'a pas grand sens puisque nous avons accepté toutes les obligations communautaires relatives à l'énergie. En réalité, le refus de l'adhésion, dont j'avais été un des négociateurs en 1994, s'explique par le fait que nous n'avons pas su mettre au point un mécanisme spécifique pour l'Arctique, ni pour l'agriculture et la pêche norvégiennes. J'en ai discuté avec M. Delors ensuite : selon moi, le rejet exprimé en 1994 s'explique par le fait que la Norvège aurait dû se plier aux règles de la politique agricole commune dès le 1er janvier 1995 alors que son système national est très différent en raison de sa situation géographique. De même, notre manière, réussie, de réglementer la pêche n'incitait pas les Norvégiens à s'en remettre à Bruxelles à ce sujet. Pour ma part, j'étais favorable à l'adhésion pour des raisons politiques, car la Norvège appartient à l'Europe.

Comment savoir si l'état d'esprit de la population norvégienne évoluera ? Tout au plus puis-je observer qu'en 1994 nous exprimions un point de vue « nordique », que nous partagions avec la Suède et la Finlande. Si la question de l'adhésion se posait maintenant, je n'aimerais pas que cela soit pour de mauvaises raisons, que nous cherchions à rejoindre l'Union si nous étions comme l'Islande dans une situation difficile. Il ne me plairait pas davantage que la Norvège se sente poussée à adhérer pour des raisons politiques, sous la pression d'un voisin. En résumé, je souhaite que l'adhésion se fasse pour des raisons constructives. En attendant, il faut renforcer notre coopération avec l'Union européenne autant que nous le pouvons ; ainsi participons-nous à l'opération européenne anti-pirates Atalanta en Somalie, et nous faisons bon nombre de choses ensemble.

La Norvège considère que l'Union européenne a commis une grande erreur en 2007 en ne soutenant pas le gouvernement d'union nationale palestinien. L'occasion se présentait de soutenir des forces qui voulaient autre chose ; elle a été manquée. Actuellement, on ne peut rien faire sinon démontrer que les forces démocratiques qui gouvernent l'Autorité palestinienne réussissent, afin qu'elles deviennent un point d'attraction pour les Palestiniens. M. Marwan Barghouti est emprisonné ; fera-t-il l'objet d'un échange de prisonniers ? Les Israéliens feront-ils de lui un nouveau Mandela ? Nul ne le sait.

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