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Intervention de Hervé Gaymard

Réunion du 27 janvier 2010 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Gaymard, rapporteur :

J'avais déjà eu l'occasion de présenter en mai 2009 une communication d'étape sur ce sujet important pour nos compatriotes des trois collectivités de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna. Le rapport que je vous soumets aujourd'hui ne contient pas de propositions ni de recommandations car la décision de changer de régime monétaire appartient aux collectivités elles-mêmes. Il a seulement pour objectif de contribuer à la réflexion.

L'histoire monétaire des trois territoires est complexe. Lorsqu'ils sont devenus français dans la deuxième moitié du XIXe siècle, leurs économies n'étaient pas monétarisées. En 1888, la Banque de l'Indochine obtint le privilège de l'émission, l'unité de compte étant le franc. En 1940, les territoires se rallièrent à la France libre et en 1942, les troupes américaines prirent possession des îles. Le dollar devint la monnaie de fait. En décembre 1945 le franc CFP fut créé. Sa parité avec le franc français, puis avec l'euro, est restée inchangée depuis 1949. L'Etat garantit sa convertibilité illimitée via un compte d'opération au Trésor. L'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM), créé en 1966, assure l'émission.

Un protocole annexé au traité de Maastricht a pris en compte la volonté de la France et des trois collectivités de conserver un régime monétaire particulier après l'introduction de la monnaie unique.

La réflexion sur l'éventuel passage à l'euro des trois collectivités françaises du Pacifique a été lancée par un échange de courriers intervenu en 2003, entre M. Gaston Flosse, président de la Polynésie française et le Président de la République M. Jacques Chirac. La position du Gouvernement français, exprimée en 2005, et qui n'a pas évolué depuis, est que le passage à l'euro n'est possible que simultanément dans les trois collectivités, leur accord formel étant nécessaire.

Or, si les milieux économiques des trois collectivités ont manifesté leur soutien au passage à l'euro, par l'adoption d'une motion commune des trois chambres de commerce et d'industrie en octobre 2008, il n'y a pas pour l'instant d'accord des trois collectivités au plan politique.

En Nouvelle-Calédonie, les formations politiques non indépendantistes sont favorables à l'euro, tandis que les partis indépendantistes, tout en étant ouverts à la discussion, s'interrogent sur l'impact qu'aurait l'introduction de l'euro sur l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie, en particulier en matière d'aides publiques et sur l'intérêt économique d'un tel changement de régime monétaire. La nécessité d'une articulation avec le processus de l'accord de Nouméa est également soulignée.

A l'inverse de la Nouvelle-Calédonie, les partis indépendantistes en Polynésie française sont favorables à l'introduction de l'euro car ils estiment nécessaire le rattachement à une monnaie forte avant d'accéder à l'indépendance. Les partis non indépendantistes y sont également favorables.

Les autorités de Wallis-et-Futuna ont indiqué qu'elles suivraient l'avis de la Nouvelle-Calédonie.

Au plan juridique, l'introduction de l'euro dans les trois collectivités constituerait une situation sans précédent : Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte, qui appartiennent également à la catégorie des pays et territoires d'outre-mer (PTOM) et ne font donc pas partie de l'Union européenne, sont passés directement du franc français à l'euro.

L'introduction de l'euro nécessiterait la mise en oeuvre d'une procédure lourde, celle de l'article 219 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : demande formelle des trois collectivités, puis demande de la France auprès de la Commission européenne, recommandation de la Commission européenne, avis de la Banque centrale européenne, décision du Conseil et, enfin, signature d'une convention monétaire entre l'Union européenne et la France, agissant pour le compte des collectivités.

En tant que PTOM, les trois collectivités n'appartiennent pas à l'Union européenne et ne sont donc pas tenues d'appliquer l'acquis communautaire. L'adoption de l'euro ne remettrait pas en cause cette situation mais rendrait nécessaire des modifications du droit applicable. Les règles européennes liées à l'utilisation et la protection de l'euro devraient s'appliquer. En outre, les normes relatives aux activités bancaires et financières devraient être conformes aux règles de l'Union européenne. Une grande partie de ces règles en vigueur en métropole est cependant déjà applicable dans les trois collectivités. Enfin, la Commission européenne pourrait poser comme condition à l'introduction de l'euro la conclusion d'un accord sur la taxation de l'épargne, comme cela a été le cas lors des négociations menées depuis 2004 avec Andorre.

D'un point de vue économique, plusieurs questions se posent. L'analyse des balances des paiements et de la structure des échanges montre que l'Union européenne est le principal partenaire commercial des collectivités. Le tourisme, plus développé en Polynésie française, concerne cependant surtout la zone Asie-Pacifique, tandis que la principale ressource de la Nouvelle-Calédonie, le nickel, est libellée en dollars. Cette situation amène à s'interroger sur le régime monétaire optimal.

La deuxième question qui se pose est celle des conséquences microéconomiques d'un passage à l'euro. Il est aujourd'hui évident que l'introduction de la monnaie unique a eu un impact inflationniste dans les pays de la zone euro, particulièrement important pour les produits de consommation courante, en raison des effets d'arrondis. Or les collectivités françaises du Pacifique sont particulièrement vulnérables, car le coût de la vie y est déjà élevé. Une hausse des prix supplémentaire toucherait particulièrement les populations les plus fragiles, alors que les collectivités connaissent de fortes inégalités.

Enfin, le débat sur l'euro est indissociable de la question de la structure des recettes douanières et fiscales, qui a des conséquences sur l'insertion économique régionale des collectivités. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, les taxes à l'importation représentent plus de 30 % des recettes, en l'absence de TVA. Une réflexion sur le développement des recettes fiscales non douanières est nécessaire.

Le rapport ne formule qu'une recommandation : l'organisation d'un débat dans chaque collectivité. Un processus a été lancé en 2009. Les personnalités entendues par le rapporteur, M. Christian de Boissieu, Président du Conseil d'analyse économique, M. Jean-Pierre Landau, deuxième sous-gouverneur de la Banque de France et M. Jean-Michel Severino, Directeur général de l'Agence française de développement, pourraient utilement apporter leur expertise.

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