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Intervention de Louis Gallois

Réunion du 19 janvier 2010 à 17h15
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Louis Gallois, président exécutif d'EADS :

Les dix ans d'EADS sont l'occasion de faire un point sur la situation générale de l'entreprise. Alors que son chiffre d'affaires s'élevait à 24 milliards d'euros en 2000, il était l'année dernière de 42 milliards. EADS est aujourd'hui, dans le domaine de l'aéronautique, de l'espace et de la défense, la seule compétitrice des géants américains que sont Boeing, Lockheed-Martin, Northrop-Grumman ou Raytheon. Mieux, elle a été, en 2008, le numéro un mondial du secteur – ce qui ne sera pas le cas en 2009, Boeing ayant retrouvé son niveau de production habituel. La performance est d'autant plus remarquable que, voilà dix ans, ce ne sont pas moins de quatre entreprises distinctes – en dépit de la constitution du groupement d'intérêt économique (GIE) que fut Airbus – qui étaient à la base de ce secteur. Je me sens d'autant plus libre de le dire que je suis arrivé à la tête d'EADS en 2006 et que ma part de ce succès est donc limitée.

Nous employons aujourd'hui 120 000 personnes, dont 45 000 en France, et nous avons créé 15 000 emplois nets depuis 2000, situation notable par rapport à celle que connaissent la plupart des industries en France et en Europe. Soutenant un important réseau de sous-traitants, les achats d'EADS s'élèvent à 11 milliards d'euros dans notre pays et à 25 milliards en Europe. J'ajoute qu'en dépit de la crise, notre production a augmenté en 2009, contribuant pour une grande part à l'excédent commercial de notre secteur qui est, au total, de 15 milliards d'euros environ. Enfin, je note que, pour le seul programme A350, les investissements physiques – constructions d'usines, équipements, outillages spécifiques – s'élèveront en France à 1,4 milliard d'euros.

Si nous avons surmonté des problèmes liés à la gouvernance, nous avons également dû affronter la crise, et des difficultés demeurent sur certains programmes : A380, A400M. Plus fondamentalement, à la différence de Boeing – qui produit et vend en dollars – la détérioration progressive de nos couvertures de change nous coûte un milliard d'euros de plus, chaque année, depuis trois ans ! Somme que nous devons bien entendu récupérer ailleurs. En outre, EADS constitue un exceptionnel réservoir de technologies – des investissements annuels de trois milliards d'euros en recherche-développement nous placent en tête des entreprises de notre secteur d'activité.

Enfin, nous sommes la seule entreprise véritablement européenne puisque EADS résulte du projet de deux grands industriels, MM. Jean-Luc Lagardère et Jürgen Schrempp, mais également d'une forte volonté politique, ce qui ne présente d'ailleurs pas que des avantages car nous éprouvons parfois des difficultés à être identifiés comme Français en France ou Allemands en Allemagne faute d'une « nationalité » clairement définie.

Le développement durable, quant à lui, constitue une dimension essentielle de notre stratégie.

Tout d'abord, nous développons notre action dans ce domaine où les activités spatiales sont d'ailleurs souvent les plus dynamiques : nos satellites d'observation permettent ainsi de limiter l'utilisation de pesticides et d'engrais en évaluant l'état des récoltes mais, également, d'assurer la gestion de l'eau en estimant les besoins agricoles. C'est ainsi que nous livrons les informations nécessaires aussi bien à de grandes exploitations agricoles qu'à des regroupements coopératifs. De surcroît, nos sociétés Spot Image- société dont nous avons acquis la part détenue par le CNES- et Infoterra assurent le suivi de certains paramètres biophysiques, tel celui de la déforestation, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Nous participons aussi à la recherche océanographique – niveau des océans, évolution des courants, salinité de l'eau – ainsi qu'à la prévention des risques et à la gestion des situations d'urgence : inondations, incendies – comme en Grèce où nous avons permis de mesurer les dégâts et de décider les actions à mener - raz-de-marée. En l'occurrence, nous avons d'ores et déjà fourni à Haïti plusieurs informations satellitaires suite au tremblement de terre qui vient de frapper l'île, tout comme nous l'avions fait naguère lors de l'ouragan Katrina et du Tsunami.

Plusieurs perspectives s'offrent par ailleurs à nous : récupération de certains matériaux constitutifs de nos produits, travail sur les biocarburants – sans vouloir, évidemment, concurrencer Total ou Exxon mais en travaillant en amont avec des « start-up » françaises ou américaines qui oeuvrent à l'élaboration de technologies nouvelles – et, enfin, gestion du trafic aérien – le programme européen Sésar, dont notre filiale Airbus est, avec notre filiale Astrium, l'architecte industriel, favorisera ainsi le développement d'une gestion automatisée permettant d'assurer une meilleure rotation des avions dans un même espace aérien et de réduire la consommation d'énergie de manière significative jusqu'à 10 % environ grâce, notamment, à des approches plus directes et des routes plus courtes. Nous travaillons également pour le grand avenir à la récupération de l'énergie solaire par satellite et à sa transformation en rayon laser puis en énergie. L'une de nos équipes réfléchit en permanence à la valorisation de nos savoir-faire dans le domaine du développement durable.

Ensuite, même si EADS ne compte pas parmi les industries les plus polluantes, notre appareil industriel doit se conformer aux exigences du développement durable. La norme ISO 1401 est ainsi appliquée sur l'ensemble des sites d'Airbus et, plus généralement, dans 73 sites d'EADS. Ce ne sont ainsi pas moins de 93 % de nos collaborateurs qui travaillent sous ce label ! Plus spécifiquement, nous sommes soumis au programme européen REACH visant à limiter les pollutions chimiques. Nous cherchons ainsi à élaborer des alternatives aux chromates, adjuvants déclarés cancérigènes mais permettant de fixer la peinture des avions. L'Union européenne a interdit leur utilisation. Boeing a suivi, évitant ainsi une distorsion de concurrence. Par ailleurs, sous le contrôle de l'Autorité de Sécurité Nucléaire, nous inventorions l'ensemble des composants radioactifs de nos produits Au final, c'est une nouvelle culture d'entreprise qui se met en place.

Enfin, la construction de nos avions, de nos lanceurs spatiaux et de nos satellites doit intégrer la dimension du développement durable. Selon certains experts, il ne sera plus possible de lancer de satellites dans 75 ans, l'espace étant pollué par leurs débris ou ceux des lanceurs ; nous travaillons à ce que les nouvelles générations de ces derniers puissent revenir dans l'atmosphère afin d'y être brûlés et, plus généralement, aux méthodes envisageables pour «  nettoyer » l'espace. Responsables de 2 % des émissions de gaz effets de serre, les transports en avion le seront quant à eux de 3 % d'ici 2050 si l'on ne fait rien. Parce qu'une partie de l'avenir du transport aérien dépend donc de notre capacité à limiter cet impact environnemental – dans le cas contraire, les opinions publiques ne soutiendront plus le développement de ce secteur, comme c'est d'ailleurs déjà le cas dans certains pays –, Airbus et Eurocopter consacrent 80 % de leurs efforts de recherche à ce qui constitue un véritable impératif. Si l'avion du futur permettra, certes, aux voyageurs de se connecter à Internet, d'utiliser un téléphone portable ou de se déplacer plus rapidement – vols hypersoniques ou subspatiaux – il sera avant tout moins polluant.

Depuis cinquante ans, date de l'apparition des premiers avions à réaction, la consommation de carburant par siège a baissé de 70 % et le bruit de six décibels, l'objectif étant de limiter le caractère agressif de ce dernier à la seule enceinte des aéroports. En la matière, nous nous devons de respecter les objectifs ambitieux définis par le Conseil consultatif pour la recherche aéronautique en Europe (ACARE) : de 2000 à 2020, baisse de 50 % des émissions de CO2 et de la pollution sonore et diminution de 80 % des émissions de monoxyde de carbone. Déjà, l'A380 consomme trois litres aux cent kilomètres par passager – quand la moyenne mondiale s'élève à cinq litres – et deux litres pour les vols d'A 380 « Air Austral » qui embarqueront 840 passagers.

De tels progrès ne sont pas le seul fait des avionneurs, mais de l'ensemble des acteurs du transport aérien, notamment des motoristes. Si Airbus ou Eurocopter travaillent à la diminution du poids des avions – d'où le développement des matériaux composites et à la réduction de la traînée aérodynamique ou à l'intégration des nouveaux concepts de moteurs, les motoristes réfléchissent quant à eux à l'utilisation des biocarburants de deuxième et troisième générations. En ce qui nous concerne, nous suivons les recherches faites sur les algues – leur culture occupant peu d'espace et utilisant des eaux usées – ou les salicornes –, les pétroliers devant prendre le relais le moment venu afin d'organiser la production sur une grande échelle.

Par ailleurs, les moteurs classiques évoluent : Pratt & Whitney a ainsi élaboré un moteur comprenant un boîtier d'engrenage permettant de ralentir la vitesse de rotation de la grande roue à l'avant de l'avion (la soufflante), ce qui réduit le bruit et augmente l'efficacité du moteur tandis que CFM, société issue de l'association de SAFRAN et General Electric, travaille sur un moteur dit Leap 56 permettant de réduire également la consommation de 12 % à 15 % par rapport aux moteurs actuels. Des moteurs révolutionnaires sont également étudiés tel l'open rotor, moteur sans nacelle dont les «  hélices » sont fixées sur le compresseur ou la turbine, mécanisme permettant une diminution de la consommation de 25 % à 30 %. Les obstacles résultant de l'absence de nacelle – bruit, risques en cas de destruction de l'hélice – peuvent être surmontés, ce qui peut, peut-être, conduire à de nouvelles formes d'avions, notamment pour l'empennage arrière. Enfin, dans un avenir nettement plus lointain, le développement du moteur à hydrogène et des piles à combustible permettrait de s'affranchir partiellement au moins des carburants générateurs de CO2, notamment pour les moteurs auxiliaires.

Le grand emprunt participera au financement des nouvelles générations d'avions et d'hélicoptères utilisant ces nouveaux concepts. Motoristes, équipementiers, avionneurs, c'est toute la chaîne du transport aérien, de Latécoère à la Sogerma en passant par l'ensemble de leurs sous-traitants, qui bénéficiera de ses retombées – si j'ose dire. Les pôles de compétitivité – dont ceux qui sont en relation avec le secteur de l'aéronautique – seront également impliqués. La diminution des dépenses d'énergie est l'affaire de tous : lorsqu'Air France décide d'utiliser un A380 pour les vols reliant Paris à Tokyo et, ainsi, de remplacer un B777 et un A341, la consommation passe de cinq à trois litres aux cent kilomètres par voyageur. Les compagnies aériennes savent que les économies d'énergie sont fondamentales pour optimiser les coûts et mieux gérer les émissions de CO2.

Les aéroports sont des lieux de consommation d'énergie. Pourquoi les avions ne seraient-ils pas tractés sur la voie d'accès aux pistes d'atterrissage, dite taxiway, par des chariots électriques ? Ne pourraient-ils pas également bénéficier d'une alimentation électrique pour toutes les fonctions mues par le moteur auxiliaire, lorsque l'avion est à l'arrêt ? Ne serait-il pas possible de limiter les attentes sur les taxiways?

Enfin, les États jouent un rôle très important en matière de développement durable, en particulier à travers la réglementation et les incitations fiscales. Ces métiers étant mondiaux, la règlementation doit être mondiale, afin de préserver la compétitivité de nos produits.

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