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Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 22 janvier 2010 à 9h45
Concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

La semaine passée, nous avons discuté d'un projet de loi dont l'article unique avait été supprimé au Sénat, à la suite d'un scrutin public, après son adoption par la même majorité au sein de cette Assemblée. Cette semaine, nous innovons encore. Nous discutons en effet d'un projet de loi tendant à autoriser la simultanéité des scrutins régionaux et cantonaux en 2014, et l'exposé des motifs du projet de loi vise clairement la réforme des collectivités locales à venir, ainsi que le fait que « les conseillers régionaux et généraux constitueront un ensemble unique d'élus. »

Autrement dit, nous tirons d'ores et déjà les conséquences d'un projet de loi dont nous ne connaissons ici que les orientations, dont nous n'avons pas encore discuté, et que nous n'avons pas adopté. Si la semaine passée nous discutions d'un projet de loi sans disposition, cette semaine nous discutons d'un projet de loi par anticipation. Permettez-moi de trouver la méthode étonnante.

Je me permets de vous rappeler un discours tenu par le candidat Nicolas Sarkozy à la Réunion en février 2007, dans lequel il disait : « Je respecterai le Parlement. » Il ajoutait un peu plus loin : « Je crois à la valeur du respect. » Il faut croire que ce discours n'était pas destiné à trouver une suite dans la pratique gouvernementale au Parlement…

Revenons au fond de ce projet de loi, qui ne fait pas plus de quatre-vingts mots, et dont l'unique objet est de fixer un terme au mandat d'élus qui siégeront dans les assemblées de collectivités territoriales encore existantes et distinctes. En l'absence d'autres informations, nous ne pouvons faire que des hypothèses sur les conséquences qu'auront ces projets de loi une fois adoptés et,s'ils ne subissent auparavant les foudres du Conseil constitutionnel, promulgués.

Le premier sujet qui doit retenir notre attention est celui de la parité. L'article 1er de la Constitution énonce sagement que « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. » Avant de voter une loi qui tire les conséquences de la suppression de deux modes de scrutin, dont l'un fait toute sa place à la parité en permettant l'élection de 48 % de conseillères régionales contre 12 % de conseillères générales, il eût été bon que le Gouvernement et sa majorité disent à l'opinion ce qu'il adviendra demain de la parité, avec un nouveau mode de scrutin dont le Gouvernement anticipe non seulement l'adoption, mais aussi la constitutionnalité. Selon l'observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, il pourrait en résulter l'élection de 20 % de conseillères pour 80 % de conseillers.

Le Président de la République, dans un autre fameux discours d'avant son élection, avait déclaré à Périgueux en octobre 2006 : « Il faut passer des droits virtuels aux droits réels ». Je demande donc au ministre de nous dire si la parité sera préservée, et comment.

Ne pas répondre clairement serait insultant pour les femmes déjà engagées et celles qui pourraient le devenir, et mettre leurs compétences, leurs expériences et leurs idées au service des collectivités territoriales et de leurs concitoyens.

S'il faut en croire certains ministres, la parité progressant au niveau communal, le niveau « supérieur » pourrait en quelque sorte s'en passer ! C'est un peu comme si l'on disait que les femmes peuvent s'asseoir dans les wagons de deuxième classe occupés jusque là majoritairement par les hommes, dès lors qu'on crée une super première classe réservée principalement aux hommes… Parler de ségrégation ne serait pas loin de la réalité !

Comme je l'ai dit il y a deux jours à cette tribune lors d'un autre débat, en 2008, l'UMP a refusé de revenir sur la suppression de l'élection au scrutin proportionnel des sénateurs dans les départements comptant au moins trois sénateurs, élément pourtant déterminant pour augmenter le nombre de sénatrices élues.

En 2009, la même UMP a refusé de prévoir la parité dans la composition du Bureau de l'Assemblée nationale et dans celle des bureaux de ses commissions.

En 2010, l'UMP ne dit rien sur la nécessité de maintenir le principe de la parité, et de passer de la virtualité des engagements du Président à la réalité de sa pratique.

Se déclarer en faveur de l'égalité des droits et de la parité dans la représentation reste, je le constate à nouveau, trop souvent un propos de convenance, et traduit rarement une véritable conviction.

Le deuxième sujet qui doit retenir notre attention est le mode de scrutin à adopter.

Selon le projet de loi déposé devant le Sénat, 80 % des conseillers territoriaux seraient élus au scrutin uninominal majoritaire à un tour, et les 20 % restants par une élection selon une répartition des suffrages obtenus, à l'échelon du département, par des listes.

Ce mode de scrutin d'une grande simplicité a été abandonné dans la plupart des pays. Il permet en effet l'élection d'un représentant minoritaire, une majorité d'électeurs ayant voté "contre" lui, ou n'ayant pas voté pour lui !

Surtout, il n'est pas utilisé dans les régimes politiques où, par tradition, il y a une grande pluralité de partis comme en France, à la différence de la Grande-Bretagne où, par tradition, il y a deux ou trois grands partis.

L'histoire ne peut donc servir de prétexte à l'adoption de ce mode de scrutin, surtout quand il a été d'emblée abandonné par ceux qui l'avaient un temps envisagé.

Le fait que 20 % des conseillers seraient élus selon une répartition de suffrages entre listes n'y change rien.

Enfin, ce projet de loi sert un projet d'organisation complexe et une petite manipulation électorale.

Voyons en effet quelle est l'organisation qui devrait se substituer au conseil général et au conseil régional au terme des mandats dont ce texte aligne la durée. Je l'ai dit hier, fusionner deux instances démocratiques en une organisation à deux têtes, avec d'une part des élus qui, nous dit-on, pourront être désignés comme décideurs sans être majoritaires devant le peuple, et d'autre part des élus d'opposition administrateurs dans un double conseil sans lien direct avec le territoire qu'ils représentent, c'est courir le risque d'une « déconnexion démocratique ».

Il est déjà difficile de comprendre ce que feront ces conseillers territoriaux membres de deux assemblées, occupant deux portions d'un même territoire dont l'une englobera l'autre, et ayant des compétences distinctes et qui ne pourront se recouper. Le système devient réellement complexe si l'on tient compte des élus à la proportionnelle.

Selon le texte dont on nous demande d'anticiper non seulement l'adoption, mais aussi la promulgation et donc, implicitement, la constitutionnalité, ces conseillers territoriaux seraient élus après répartition des sièges entre les listes à la représentation proportionnelle suivant la règle du plus fort reste, en fonction du nombre de suffrages obtenus dans chaque canton par ceux des candidats non élus au mandat de conseiller territorial.

Sauf erreur, ce seront en quelque sorte les voix qui n'auront pas fait élire les élus au scrutin majoritaire qui seront « recyclées » pour sauver d'autres candidats... Ainsi la proportionnelle ne sera utilisée que sur la minorité des voix qui n'auront pas servi à désigner un candidat.

L'équité aurait dû conduire à prendre en compte l'ensemble des suffrages pour les répartir sur l'ensemble des sièges à pourvoir. Il semble s'agir d'un calcul politique consistant à faire cadeau de quelques élus à de petites formations, dans une opération d'ouverture comme celles qu'affectionne le Président, à savoir de respecter les opposants lorsqu'ils ont vocation à rester minoritaires ou à reconnaître celui qui les a faits rois !

Nous l'avons bien compris, ce projet en cache un autre, plus fort, plus rapide, censé assurer des majorités dans les collectivités territoriales plus favorables à l'exécutif ou plus maniables.

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