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Intervention de Anne Lauvergeon

Réunion du 13 janvier 2010 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'AREVA :

L'uranium a fait pendant douze ou quinze ans l'objet d'un dumping très important des Russes, qui vendaient à bas prix leurs surplus militaires. Parmi les acteurs mondiaux, seuls Cameco et Cogema, devenue AREVA, ont continué à en produire. Le prix de l'uranium est monté jusqu'à 130 dollars la livre. Il a baissé à cause de la crise, mais tourne encore autour de 47 dollars, contre 7 en 2000. À 7 dollars, il va de soi que les réserves d'uranium dans le monde dureront beaucoup moins longtemps qu'à 50.

On estime les réserves prouvées aujourd'hui à environ soixante-dix ans, en tenant compte du fait que l'exploration a été stoppée pendant quinze ans. Si nous lançons la génération 4, à laquelle le grand emprunt devrait dédier 900 millions, nous monterons à 5 000 ans de réserves d'uranium. Il n'y a donc pas de problème de manque d'uranium pour le nucléaire. Notre problème, c'est de devenir un « grand de l'uranium » au niveau mondial, d'être bien placé dans la géopolitique des réserves. Or nous sommes devenus en 2009 le premier producteur mondial. Nous avons doublé notre production depuis le début de la décennie, grâce à un effort constant, et beaucoup élargi nos sources, qui étaient concentrées sur peu de pays, ce qui nous donne un équilibre géopolitique beaucoup plus fort.

Quand y aura-t-il des projets de bioénergie en France ? Je me pose moi-même la question. Nous menons des projets pour nos propres besoins, notamment à la Hague pour remplacer les centrales au fioul. Pour le reste, nous avons soumissionné à de nombreuses reprises, mais ce sont généralement les moins-disants qui sont retenus, mais dont le projet n'est souvent pas viable. Il y a donc un véritable problème de développement de la biomasse en France. Nous voulons améliorer les choses, mais nous n'arrivons pas à démarrer.

L'hydrogène est effectivement la façon moderne de parvenir à stocker de l'électricité, qui a des développements notamment dans les voitures électriques. Nous agissons dans ce domaine. Nous avons vendu des systèmes, par exemple à Saclay, qui fonctionnent très bien depuis deux ans et demi. Nous commençons donc à avoir des références industrielles. Nous nous intéressons aussi au domaine des transports urbains et travaillons notamment avec la ville de Lyon à une réduction globale de ses émissions de CO2.

La décision d'Abou Dhabi, pour répondre à M. Gonnot, n'est pas due à un problème de taille de l'EPR, ni de pilotage du dossier, qui a été assuré de façon remarquable par Claude Guéant. Le fait est que les Émirati exigeaient de ne traiter qu'avec un contracteur unique. Or, AREVA n'est pas capable de se lancer seule dans un pays qui fait du nouveau nucléaire sans opérateur : ce n'est pas notre métier, c'est celui de nos clients. Je suis donc allée voir le président d'EDF, très en amont, pour lui demander de se présenter. Il a refusé une première fois parce que selon lui le projet avait peu de chance de voir le jour, et une seconde fois parce que ce n'était pas un pays stratégique. Nous sommes donc partis dans l'aventure avec GDF-Suez, qui en avait très envie, et Total, le « local de l'étape », à raison de 45 % pour chacun d'eux et 10 % pour AREVA. Il est donc clair que nous n'avons jamais voulu être le leader de l'opération – d'ailleurs, nous ne pouvions pas l'être.

Dans le même temps, la France a confié un deuxième EPR à EDF. Les Émirati se sont donc interrogés, à bon droit, sur le point de savoir pourquoi on leur envoyait un opérateur qui n'avait pas d'expérience sur EPR et ont demandé qu'EDF soit présent dans le projet. Tout le problème a été de l'y inclure d'une manière harmonieuse. Nous avons tout fait, comme nous le faisons toujours, pour gagner, mais cela nous a gênés. Il faut bien comprendre que nous ne sommes chargés que de la construction : en aucune façon, nous ne pouvons être opérateur. Si certains ont parfois envie de faire notre métier, nous n'avons aucune envie de faire le leur.

Les retards d'OL3 ou de Flamanville ne nous ont absolument pas desservis : au contraire, ils accentuaient le fait que nous, nous construisions pour de vrai. Les Coréens n'étaient jamais sortis de leur pays et ont choisi de payer cher leur première référence internationale. Nous, nous n'étions pas là pour perdre de l'argent – je vous rappelle que, sans performance économique, il n'y a pas de développement durable. Mais ce qui est extraordinaire, c'est toute la réaction franco-française qu'a suscitée cette affaire. Au même moment, entre Noël et le Nouvel an, nous avons annoncé la vente de deux EPR en Californie – qui aurait pensé il y a quelques années que nous en serions capables ? –, mais personne n'en parle ! Vaut-il mieux signer un contrat qui fait rire un mois et pleurer quinze ans, ou savoir refuser un prix trop bas ? Nous sommes peut être déçus mais nous continuons à mener notre business, le tout en croissance constante.

Il y a deux sortes de pays qui font du nouveau nucléaire – même si les anciens nous suffiraient largement pour bien vivre. Pour 80 % des cas, ils ont déjà du nucléaire. Il y a donc déjà un client, un électricien nucléaire, avec lequel AREVA est en lien direct. Mais, pour les nouveaux pays, une organisation très spéciale est indispensable : il faut que l'ASN soit capable d'aller dans ces pays pour y former des équipes à la sûreté nucléaire, il faut que la nouvelle agence, l'AFNI, chargée de la promotion institutionnelle à l'international, s'améliore quelque peu par rapport au dossier des Émirats arabes unis, il faut décider de quel électricien prend la tête et dans quelles conditions, choisir un modèle – EPR, ATMEA… Tout cela doit être fait à l'avance. Nous connaissons très bien ces nouveaux pays, nous avons des contacts, nous avons commencé des formations à notre niveau. Il reste maintenant à prendre le taureau par les cornes.

Siemens a souhaité remonter au niveau du capital d'AREVA. Il n'a pas obtenu de réponse des gouvernements français successifs et a finalement décidé de sortir du processus, en suivant le processus contractuel de détermination de la valeur de ses parts à dire d'expert pour éviter, quel que soit le résultat, des discussions entre actionnaires, par exemple. Les choses se passent de manière très civilisée. Nous allons d'ailleurs continuer de collaborer avec Siemens un accord sur les dix prochaines années dans le contrôle commande : il ne s'agit donc pas d'un divorce où l'on compte les petites cuillers.

Je préciserai à Mme Pérol-Dumont que les fluctuations d'uranium sont naturelles. Le Limousin est bourré d'uranium et nous ne pouvons pas être comptables de la géologie locale. AREVA tiendra ses engagements. En tout, de 50 à 60 % des sites d'uranium en France ont été explorés ou exploités par le CEA ou la Cogema, mais AREVA a tellement le sens des responsabilités qu'elle les reprend tous en charge, sans discuter à l'infini pour savoir qui exploitait telle ou telle parcelle. Elle effectue un inventaire et un diagnostic de l'ensemble des sites français. Quant au nouveau procédé d'extraction de l'uranium, nous avons un contact avec l'équipe de Limoges et sommes en train d'étudier ce que nous allons faire avec eux.

Monsieur Saddier, une offensive chinoise est en cours sur le Niger comme dans toute l'Afrique. Mais nous ne nous débrouillons pas mal. Imouraren, la plus grosse mine d'uranium d'Afrique, est pour nous. C'est justice, parce que c'est nous qui l'avons trouvée, mais il y a eu des moments que je qualifierai de tangents.

Je suis extrêmement préoccupée que l'Union européenne ait suspendu son programme d'aides au Niger. J'ai rencontré à plusieurs reprises le Premier ministre de ce pays à ce sujet. Il faut absolument faire comprendre à la Commission européenne qu'une suspension durable serait absolument dramatique pour la population. Je suis tout à fait prête à recevoir les collectivités locales françaises qui s'impliquent dans ce domaine.

Madame Gaillard, vous n'avez certainement pas pu vous rendre dans la zone du Niger dans laquelle est située la mine en question, car elle est interdite à la visite en raison des risques d'enlèvement. Les gens qui vous ont parlé ne profitent donc pas de notre programme. Or il existe une véritable jalousie : jusqu'à une loi nouvelle, les fruits de notre présence – nous sommes la première source de revenus du Niger – n'étaient sensibles que localement, et à la rigueur à Niamey. La répartition a été améliorée.

Nos efforts au Niger sont importants. Nous avons d'abord payé l'uranium plus cher que les cours mondiaux pendant vingt ans. Nous avons révisé les contrats à la hausse de 100 % entre 2007 et 2008. Nous avons signé une convention minière extrêmement novatrice à Imouraren, qui prévoit un partage des richesses sur le long terme avec le Niger. Quelle que soit la valeur de l'uranium, nous partagerons. Je suis convaincue que, si nous voulons rester les quarante prochaines années au Niger, c'est la seule méthode. Nous ne devons pas être perçus comme des gens qui prennent et qui partent, mais comme des gens qui participent au développement de ce pays, lequel connaît une explosion démographique et se dessèche à vue d'oeil. C'est un engagement très fort de l'entreprise, qui ne variera pas. Notre transparence est totale. Nous travaillons avec Sherpa et avec Médecins du monde et avons signé un accord pour ce qui est des problématiques de santé. Il est surréaliste de voir des associations disserter, par militantisme antinucléaire, sur les problèmes de santé de nos salariés alors que leur espérance de vie est sans commune mesure avec, hélas, celle constatée au Niger. J'ai remis récemment des médailles du travail à des personnes qui avaient travaillé trente ans dans l'entreprise et dont beaucoup de Nigérians peuvent envier la santé.

Y avait-il des synergies entre T&D et le nucléaire, d'une part, et le renouvelable de l'autre ? Oui ! Lorsque vous installez un réacteur nucléaire à un endroit, il faut que le réseau puisse le supporter, et c'est encore plus vrai lorsque vous mettez du renouvelable : greffer des éoliennes sur un réseau est extrêmement compliqué. Nous avions développé dans T&D une spécialisation sur le branchement des renouvelables. Mais c'est l'actionnaire qui décide : la « maîtresse femme » sait qu'elle n'est pas propriétaire de cette entreprise – ce qui devrait par ailleurs être une opinion plus universelle chez les chefs d'entreprises.

Pour ce qui est des énergies renouvelables, nous avons une croissance très forte, avec un carnet de commandes de plus de 1 milliard d'euros, qui augmente plus vite que le marché. Par ailleurs, ITER est encore dans le domaine de la recherche. Les premiers résultats sont attendus vers 2025-2030 et l'industrialisation vers 2040 dans le meilleur des cas, plus probablement vers 2050 ou 2070. La moitié de la communauté scientifique considère que le projet est très intéressant, et l'autre moitié que c'est de l'argent « fichu en l'air ». C'est le propre de la recherche et développement.

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