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Intervention de Anne Lauvergeon

Réunion du 13 janvier 2010 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'AREVA :

M. Bouillon a montré une connaissance du secteur qui m'impressionne. AREVA, qui vit sur les bases de sa création en 2001, a besoin d'une augmentation de capital comme toutes les grandes entreprises industrielles ou presque en ont mené dans les dix dernières années, et comme le demande son extraordinaire développement. Nous en avons donc recherché les moyens avec notre actionnaire majoritaire, qui nous a demandé de vendre T&D. Ce n'était pas notre choix initial. Nous l'avions achetée en 2004 pour 920 millions d'euros et l'avons vendue plus de 4 milliards. Entre-temps, T&D était passé de 3 à 5 milliards de chiffre d'affaires et avait arrêté de perdre de l'argent pour devenir très profitable. Sur le plan humain, cela a été difficile. Pour ce qui est de l'augmentation de capital, nous sommes en cours de discussion avec des investisseurs stratégiques qui sont convaincus de l'intérêt de l'entreprise et l'État est en train de réfléchir à la valorisation du groupe et aux conditions de leur entrée. Par ailleurs, Eramet et ST Microelectronics étant deux participations cotées, je ne ferai aucun commentaire public à leur sujet.

La troisième révolution énergétique, je persiste et je signe, se fera sur la base du nucléaire et des renouvelables. C'est le « sans CO2 » qui la commande. Il ne s'agit pas de greenwashing, mais d'une greenvision ! Nous n'avons pas plus l'impression de vivre une révolution que ceux qui ont vécu la première et la seconde révolution énergétique, mais tout change quand même. Notre stratégie industrielle est de prendre la vague le mieux possible.

L'Assemblée nationale s'est effectivement penchée à de nombreuses reprises sur la question des déchets et l'OPECST en a même fait un sujet majeur. Le recyclage complet de l'uranium de retraitement en France nécessite une usine de plus, que nous souhaitons construire dans le Tricastin. Il ne nous manque qu'un engagement fort d'EDF, que, j'espère, nous obtiendrons bientôt.

Le MOX est utilisé dans vingt réacteurs en France et de nombreux en Allemagne, ainsi qu'ailleurs en Europe. Notre usine MELOX produit à plein. Nous sommes notamment le grand fournisseur de MOX du Japon. « MOX for Peace » est une superbe opération qui permet de transformer en MOX, pour le brûler, du plutonium non plus de retraitement, mais militaire. C'est aujourd'hui la seule façon prouvée de faire disparaître du plutonium militaire de la planète. Nous avons participé aux États-Unis à l'opération START et sommes en train de construire une usine de MOX à Savannah River, qui permettra la destruction du plutonium militaire américain en excès. Dans la perspective du monde sans arme nucléaire voulu par le président Obama, les futures usines de MOX auront beaucoup de travail !

Pour ce qui concerne le site de Bure, vous avez reçu Mme Dupuis, qui est plus compétente que moi pour en parler. En tout état de cause, nous nous impliquions déjà beaucoup dans l'accompagnement régional et nous souhaitons faire davantage sur le plan industriel : qui connaît le maniement des résidus vitrifiés, sinon AREVA ? Nous allons donc proposer à l'ANDRA des solutions opérationnelles pour le développement du site.

Quant au contrôle commande, si l'on n'entend parler que de celui de l'EPR et pas de celui des autres réacteurs, c'est parce qu'ils ne sont pas du tout au même niveau de certification. Il serait très inquiétant d'entendre parler des problèmes d'I&C (instrumentation and control) de nos concurrents : cela voudrait dire qu'ils sont au même niveau de développement que nous ! Pour le reste, le fait que trois autorités de sûreté s'organisent pour travailler ensemble est une excellente nouvelle. Sinon, chacune fait sa propre homologation dans son pays, avec de fortes divergences. Nous souhaitons la standardisation pour le maximum d'autorités européennes. Ce qui est frappant, c'est que le même communiqué, qui n'a suscité aucune espèce de réaction en Grande-Bretagne et en Finlande, ait soulevé tant d'émotion en France. Sa sortie a en effet coïncidé avec la mise sur le web d'une lettre adressée plus trois mois auparavant par l'autorité de sûreté à EDF, une lettre assez violente qui donnait le sentiment d'un problème significatif sur le contrôle commande.

Pour faire simple, après avoir toujours fait des contrôles commandes analogiques, nous en arrivons au numérique. Les autorités de sûreté n'y sont pas habituées. Une commande numérique a été homologuée sur une génération 2 aux Etats-Unis, mais jamais en Europe. L'EPR est le premier à en proposer. Il est normal que cela soulève des questions. Les autorités de sûreté des différents pays s'acheminent vers des solutions différentes : un panneau de commande purement numérique, ou un gros bouton rouge analogique à pousser en cas de problème. Nous allons trouver une solution dans chaque pays. C'est en Grande-Bretagne qu'elle est la plus avancée. Sur le fond, je ne suis pas du tout inquiète. Ce qui est curieux, c'est l'énorme retentissement que cette problématique a eu en France et qui nous a clairement pénalisés à l'international. Cela nous ramène à la question de la confiance des acteurs et du ton de cette lettre, laquelle a été rendue publique, ce qui ne se serait pas produit dans beaucoup de pays. L'autorité de sûreté britannique a d'ailleurs réaffirmé le 28 novembre sa confiance en AREVA et dans la technologie de l'EPR. Il est étrange que ce soit elle qui le fasse…

Pour ce qui est d'OL3, c'est un premier de série. Nous avons toujours été très transparents : il n'y a jamais eu de révélation brutale, nous avons fait le bilan tous les six mois. Nous avons connu des difficultés liées au fait que c'est un premier de série, liées au client ou liées à certains fournisseurs, qui ont eu beaucoup de mal à se mettre au niveau exigé par les autorités de sûreté. Entre les générations 2 et 3, la différence est en effet colossale. Mais ces difficultés n'ont créé aucun trouble – pas de plan social, pas de problématique de stock-options ! Rien ! Nous avons posé le dôme l'été dernier et en sommes au piping. Les gros éléments sont sur place. Pour ce qui est de la maîtrise de la filière, nous sommes là aussi très atypiques : nous avons totalement intégré les gros composants. Nous sommes industriellement capables de faire tous les composants de centrales nucléaires, sauf les très grosses cuves et les très grosses pièces forgées de l'EPR : nous n'en avions pas les capacités en France. Nous avons passé un accord en 2008 avec ArcelorMittal pour développer la forge d'Industeel, au Creusot, et nous équiper d'une presse permettant de faire les forgés de l'EPR. Nous aurons donc deux sources, japonaise et française, et serons les seuls au monde à être dans ce cas. Et nous nous installons aux États-Unis, à Newport News, pour être implantés en zone dollar.

La décision d'Abou Dhabi pose la question de la sécurité et du coût. Une chose est sûre, c'est que la sécurité coûte ! La génération 3+ que nous vendons est la fille de Three Mile Island et du 11 septembre. Elle a intégré tous les accidents sévères. Il s'agit d'un cube d'acier et de béton : quoi qu'il arrive à l'extérieur – chute d'avions, gros porteurs ou militaires, bombe, missile – il n'y a pas d'impact à l'intérieur et, quoi qu'il arrive à l'intérieur, pas de fuite dans l'air ni dans le sol. Il faut donc mettre beaucoup plus d'acier et de béton que la génération 2, ce qui coûte beaucoup plus cher. D'ailleurs, même au sein des générations 2, les derniers réacteurs sont beaucoup plus chers que les premiers.

La sûreté a toujours un coût. Est-il trop important ? C'est une question légitime. A Abou Dhabi, on a comparé deux projets qui n'avaient ni le même niveau de sûreté, ni la même puissance électrique – une maison de 100 mètres carrés avec une serrure trois points avec une propriété entièrement sécurisée. Cela mène-t-il vers un nucléaire à deux vitesses, ou en resterons-nous au nucléaire le plus exigeant, celui qui a cours aujourd'hui aux États-Unis et en Europe ? En Europe, on ne pourrait pas construire un réacteur coréen tel qu'il a été vendu. Les normes américaines et européennes vont-elles devenir mondiales ? C'est une question commerciale très importante pour nous, même si qui peut le plus peut le moins : quand on sait faire un réacteur 3+, il est très facile de faire un 2+ plus simple, moins cher et moins sûr.

Un réacteur vendu aujourd'hui sera achevé en 2017 et fonctionnera pour soixante ans. La sécurité collective dans le monde de 2050 sera-t-elle grandement améliorée, ou dégradée ? Les générations 2 qui fonctionnent aujourd'hui seront toutes arrêtées en 2030-2035. Nous construisons aujourd'hui pour nos enfants et petits-enfants : c'est une question qui dépasse de loin le seul point de vue commercial. Chez AREVA, nous considérons que nous n'avons qu'une image et qu'une signature, et que ce que nous faisons nous engage pour le très long terme. Mais la réponse à la question dépendra des autorités de sûreté et de leur degré de prosélytisme, comme de la zone du globe concernée : certaines sont plus calmes que d'autres. De grands pays nucléaire comme l'Inde et la Chine font cohabiter aujourd'hui des constructions de générations 2+ et 3+. Que feront-ils dans les dix à quinze ans ? Leur évolution sera très intéressante à observer.

Je précise au passage que, quoi que les Chinois décident, nous serons partie prenante. J'ai été beaucoup critiquée à l'époque, avant d'être encensée, mais nous avons été jusqu'au bout de notre stratégie d'ancrage en Chine : nous développons des joint-ventures pour participer au développement nucléaire chinois, dans les pompes, dans les gros composants et maintenant dans l'ingénierie, les achats et les services. Nous détenons 45 % de la société qui va construire tous les réacteurs 2+ et 3+ de CGNPC, l'un des deux électriciens nucléaires chinois. Nous n'allons pas être « rejetés » à la fin de notre travail, ce qui est fondamental. On a beaucoup daubé sur la Chine, alors soyons prudents sur les sujets plus actuels !

Enfin, concernant la formation, nous rêverions effectivement de trouver des gens formés à l'extérieur, dans tous les nombreux métiers du nucléaire et du renouvelable. Les 40 000 personnes que nous avons recrutées en cinq ans ont coûté 1 milliard d'euros en formation. C'est un investissement colossal. Si la collectivité a envie de m'aider, qu'elle ne se gêne pas ! Et nous avons effectivement besoin de métiers bien particuliers. Nous manquons en particulier terriblement de soudeurs – et pas seulement nous, mais toutes les PME qui travaillent pour nous. Trouvez-nous des soudeurs de qualité !

Pour répondre à Mme Marin, je dirai que notre centre d'essais des groupes motopompes primaires est un événement régional fort, un signe d'espoir : tous les essais de motopompes primaires mondiaux seront faits dans la région. Nous nous sommes engagés à huit cents embauches en dix ans, mais tous nos CDD ne se transforment pas en CDI : notre activité est en effet sinusoïdale, et comme nous n'aimons pas les plans sociaux, nous sommes obligés d'avoir recours aux CDD. Nous assurons aux personnes concernées une formation de grande qualité et nous essayons, si elles ne sont pas reconduites, de les faire embaucher par nos sous-traitants. Jeumont connaîtra un pic d'activité en 2010, mais pas assez de visibilité pour augmenter le nombre de ses CDI actuels.

Enfin, pour ce qui est de la situation d'AREVA dans le Nord, Jeumont est un site très rentable. Les gens y ont un souci de la qualité formidable. Choisir Maubeuge pour notre centre d'essais était donc une évidence. D'une façon plus générale, lorsque nous sommes engagés quelque part, nous y restons.

M. Cochet déplore le greenwashing mais il devrait au contraire se réjouir de faire école et de voir triompher le « sans CO2 » dans une industrie ! Qu'il me permette de rectifier quelques-unes de ses affirmations un peu rapides, concernant notamment les pays qui ont « renoncé au nucléaire » en Europe. Sur les six pays qui avaient une politique antinucléaire marquée, l'Allemagne, l'Italie, la Suède, la Belgique, l'Autriche et l'Irlande, les quatre premiers ont radicalement changé d'avis en 2008 et 2009. Je ne pense pas que l'Irlande et l'Autriche puissent être considérées comme constituant « plus de la moitié » des pays de l'Europe. Et si l'ONU est antinucléaire, il faut lui demander pourquoi je siège au comité exécutif de Global Compact, leur structure pour l'environnement, et cela depuis cinq ans !

Faudrait-il proposer des centrales de 250 ou 500 mégawatts ? Ce sont de toutes petites unités, qu'on pourrait construire à partir des réacteurs de sous-marins nucléaires. Le problème est qu'il faudrait en mettre partout, ce qui est une curieuse suggestion de la part de M. Cochet. Par ailleurs, les exigences de sécurité étant les mêmes, elles reviendraient beaucoup plus cher au kilowattheure produit. Il y a donc une limite économique. En revanche, l'EPR est effectivement trop gros pour certains pays : c'est bien pour cela que nous proposons une gamme de réacteurs ! Il faut sortir de cette obsession franco-française de l'EPR : comme les constructeurs de voitures, nous proposons plusieurs modèles et certains peuvent plaire plus que d'autres. Nous verrons bien dans vingt ans combien nous aurons vendu d'EPR, d'ATMEA et de KERENA.

Cadarache est un centre CEA. Depuis 1991, AREVA en est l'opérateur industriel et le CEA l'exploitant. La définition des rôles est donc très claire. Cette vieille installation a été arrêtée car elle ne répondait plus aux normes anti-sismiques et nous sommes aussi l'opérateur de son démantèlement. L'ensemble des productions a été rapatrié sur le seul site de MELOX – sans plan social par ailleurs. Alors que nous étions en train d'enlever les « boîtes à gants », nous avons déclaré le 17 juin au haut fonctionnaire de défense et de sécurité, à Euratome et au CEA, que la quantité de matière récupérée dans certaines était supérieure à ce qui était attendu : 14,2 kilos au lieu de 7,5. Une réunion a eu lieu et le CEA a ensuite appelé l'Autorité de sûreté nucléaire – dans quelles conditions, je l'ignore : je sais seulement qu'AREVA a fait ce qu'elle avait à faire.

Ces matières ont été accumulées pendant les quarante années de fonctionnement de l'usine. Elles étaient inaccessibles pendant l'exploitation et correspondent à un dix millième du produit MOX qui a transité dans l'usine : rien d'extraordinaire donc, et il est sûr que nous n'avons pas perdu de matière. À aucun moment, les prescriptions de l'ASN pour les opérations de démantèlement n'ont été franchies. L'ASN estime que le CEA aurait dû s'adresser à elle par lettre ou par fax, et le CEA considère qu'il a bien transmis l'information au plus vite. L'instruction est en cours, et je ne peux donc pas faire de commentaires à ce sujet.

Par ailleurs, la différence de poids était-elle prévisible ? Il y a toujours eu des pesées à l'entrée et à la sortie des « boîtes à gants » – il s'agit de microgrammes qui se sont accumulés à chaque fois – et la précision des balances était de 0,05 %. Le plutonium étant un métal très lourd, la quantité de matière en cause reste faible. De toute façon, nous avons des marges considérables entre les limites d'exploitation et tout risque de criticité, des marges qui se retrouvent sur l'ensemble de nos installations. C'est d'ailleurs récurrent : au fil du temps, les obligations qui nous sont faites sont de plus en plus sévères et, puisque nous les remplissons, il faut à chaque fois faire mieux. Le jour où une norme est franchie, tout le monde trouve que c'est affreux, mais la transparence consiste aussi à expliquer que ces dépassements ne présentent aucun danger, ni pour les travailleurs ni pour les populations.

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