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Intervention de Anne Lauvergeon

Réunion du 13 janvier 2010 à 9h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'AREVA :

Merci de votre invitation. Je me suis déjà rendue devant les commissions des affaires économiques et des finances en septembre et devant la commission des affaires étrangères en décembre, mais je suis particulièrement heureuse de pouvoir vous expliquer comment AREVA ancre sa politique dans le développement durable.

AREVA a fait le choix très clair du « sans CO2 », et organise toute son activité industrielle autour des problématiques du développement durable. Les choix pratiqués depuis cent cinquante ans, ne sont plus tous possibles. Les ressources fossiles sont clairement limitées, la croissance démographique reste considérable, l'accès à l'énergie est une problématique aiguë dans de nombreux pays émergents, qui aspirent légitimement au développement, et le changement climatique avéré nous impose de diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Nous allons devoir trouver ensemble le moyen de répondre au doublement de la demande énergétique d'ici à 2050 en émettant deux fois moins de CO2. C'est tout l'enjeu de l'acte 2 du Grenelle de l'environnement, du paquet énergie-climat de l'Union européenne et du sommet de Copenhague.

AREVA a choisi, depuis 2003-2004 – bien avant qu'on en parle autant – d'offrir à ses clients des solutions pour produire de l'énergie décarbonée. C'est notre stratégie industrielle : fournir au maximum de gens l'énergie la moins chère et la plus accessible possible sans CO2. Nous sommes convaincus que le nucléaire et les énergies renouvelables sont complémentaires. Nous aurons dans l'avenir besoin d'un mix énergétique avec beaucoup moins de CO2. La solution ne peut passer que par un bon équilibre entre les pays qui pourront développer du nucléaire – ce n'est pas le cas de tous – et les énergies renouvelables. Sur ce sujet, il est temps de sortir des idéologies et de faire bouger les lignes, de part et d'autre. Il y a également d'énormes synergies entre le nucléaire et les renouvelables, qu'elles soient techniques – de ce point de vue, les très grosses éoliennes ressemblent beaucoup au nucléaire – ou commerciales : lorsque vous vendez du nucléaire à un électricien, il est très facile de lui vendre aussi du renouvelable. Il est important aujourd'hui d'admettre ces complémentarités.

Cette stratégie, qui peut paraître évidente aujourd'hui, n'a pas toujours été simple à défendre vis-à-vis de notre actionnaire majoritaire, l'État. Nous avons dû nous battre par exemple pour développer nos activités dans l'éolien, en choisissant par ailleurs l'éolien offshore, qui ne pose pas de problème d'acceptation. Ce positionnement n'est plus aussi original, puisque beaucoup des grands groupes du secteur l'ont adopté depuis. Pour ceux qui douteraient encore, je rappelle que la croissance du marché des renouvelables sera de 8,5 % par an pendant les vingt prochaines années, ce qui fait beaucoup d'opportunités industrielles à saisir.

Dans le domaine du nucléaire, notre stratégie s'est axée sur le modèle intégré, qui nous a fait gagner beaucoup de parts de marché et que nos concurrents copient aujourd'hui. Nous proposons une gamme de réacteurs de troisième génération : l'EPR, 1 650 mégawatts – quatre constructions aujourd'hui –, ATMEA, 1 100 mégawatts, dont le design se termine à la fin de ce trimestre et que nous développons avec Mitsubishi et, enfin, KERENA, développé avec E.ON, un réacteur à eau bouillante de 1 250 mégawatts. En plus d'être le numéro un mondial du nucléaire, nous voulons aussi devenir le leader du marché des renouvelables. Notre chiffre d'affaires dans ce secteur était de 31,6 millions d'euros en 2006, de 147,5 millions en 2008, et nous allons terminer cette année avec un carnet de commandes supérieur à 1 milliard.

Pour ce qui est de la biomasse, c'est-à-dire la transformation des débris végétaux en électricité, nous sommes numéro un au Brésil, nous nous lançons aux États-Unis, nous sommes très forts en Inde et en Afrique du Sud mais faibles en Europe. Nous comptons nous y développer. Nous travaillons aussi dans l'hydrogène et la pile à combustible – nous possédons une des deux start-ups françaises dans ce domaine, Hélion, à Aix-en-Provence. Quant à l'éolien offshore, nous avons installé six très grosses éoliennes de 5 mégawatts à 42 kilomètres des côtes allemandes et avons un très gros contrat pour 2010. En revanche, il nous faut nous développer dans le solaire thermique ; c'est un sujet que nous étudions activement.

Ces choix stratégiques ont fait leurs preuves. Notre carnet de commandes a doublé en cinq ans, ce qui n'est guère courant dans le paysage économique actuel. Notre visibilité est exceptionnelle : elle atteint cinq ans. Notre chiffre d'affaires est en croissance rapide et constante – 34 % sur les quatre dernières années, sans ralentissement en 2009 –, ce qui traduit par ailleurs notre capacité à honorer notre carnet de commandes. Nous recrutons beaucoup – 15 000 personnes en 2008, 12 000 en 2009 – et nous investissons massivement en France, ce qui est également assez atypique. La moitié de nos investissements industriels se font sur le territoire, et même 80 % hors uranium, qui par définition se trouve hors de France. Enfin, notre effort de recherche et développement a augmenté de 80 % sur les trois dernières années et représente 8 % de notre chiffre d'affaires.

Toute cette performance économique n'a de sens que si elle s'ancre dans le développement durable, c'est-à-dire avec une croissance rentable, socialement responsable et respectueuse de l'environnement. Cette conception est développée dans notre système interne de management, AREVA Way, qui constitue l'armature de toute la politique de management du groupe. Il y a une charte des valeurs partagées par tous les salariés, mais aussi dix engagements : respect de l'environnement, performance économique, innovation, satisfaction des clients, gouvernance, progrès continu, intégration dans les territoires, dialogue et concertation, implication sociale, prévention et maîtrise des risques technologiques. Chaque engagement s'accompagne d'indicateurs et de référentiels communs qui permettent une auto-évaluation régulière de tous les managers et un dialogue managérial interne au groupe. C'est la base du progrès continu. Nous avons en quelque sorte réinventé la méthode Toshiba, mise au goût écologique. Ainsi, nous avons diminué de 46 % la consommation de papier du groupe entre 2004 et 2008 et baissé, malgré la forte augmentation de notre chiffre d'affaires, de 30 à 40 % notre consommation d'eau et d'énergie et notre production de déchets.

Notre priorité absolue est d'assurer la sûreté de nos installations, la santé des personnes et la protection de l'environnement. Nous avons mis en place les outils adaptés. Une charte de sûreté nucléaire définit les principes du groupe. Elle couvre toute la vie des installations, du choix du site à son démantèlement et de ses employés aux populations environnantes. Un indicateur de performance a été élaboré. Chaque évaluation d'un salarié commence par la question de la sécurité. Notre organisation opérationnelle identifie clairement chacun des responsables en matière de sûreté. Une inspection générale indépendante, créée en 2001, contrôle l'organisation opérationnelle et partage son expertise technique avec l'ensemble des sites. Son rapport annuel est rendu public.

Quels sont les résultats de cette politique ? En matière de sécurité au travail, notre objectif est le zéro accident. En 2008, notre taux de gravité se montait à 0,10 et notre taux de fréquence à 3,19 : 3,19 accidents par million d'heures travaillées, contre une moyenne française de… 25,4 ! Ce taux était trois fois plus élevé en 2003. Et cette amélioration continue des conditions de travail ne se produit pas seulement en France : lorsque nous avons acheté Koblitz, au Brésil, début 2008, son taux de fréquence était de 10. Nous sommes passés à 2,5 au second semestre de la même année, avec 149 jours consécutifs sans accident. Les standards d'AREVA sont valables au Niger comme au Canada, quelles que soient les obligations nationales.

Sur le plan sanitaire, nous tenons notre objectif en matière de radioprotection. La norme la plus contraignante du monde est européenne : 20 millisieverts par an, alors que les Etats-Unis, par exemple, sont à 50. Nous avons imposé le plafond des 20 millisieverts dans toutes nos installations dans le monde – ce qui n'a pas été le plus simple, notamment aux États-Unis. Outre les installations, nous menons aussi une politique de suivi des personnes. Nous avons en particulier travaillé sur des études génériques autour de la Hague ou dans le Limousin et avons créé des observatoires de la santé pluralistes autour de nos sites miniers partout dans le monde. Leur mise en place n'est d'ailleurs pas toujours rapide, parce qu'il faut que chaque gouvernement accepte d'entrer dans le dispositif.

En matière d'environnement, nous tenons à limiter l'impact de nos activités. Nous avons élaboré des objectifs site par site et effectué 80 études environnementales ainsi que des études d'impact régulières sur la faune et la flore, sans compter le rapport annuel du groupe qui compile ces différentes données. Par ailleurs, nous avons fait certifier à la norme ISO 14001, 80% de l'ensemble de nos sites dits à "enjeux environnementaux singificatifs" (EES) dont la totalité des EES nucléaires."

Nous essayons d'avoir une attitude responsable dans les territoires où nous sommes implantés, ce qui implique de personnaliser notre accompagnement. AREVA DELFI est la structure qui nous le permet. Nous menons une activité très particulière dans la Meuse et la Haute-Marne autour du laboratoire de Bure, et conduisons des projets d'aide au développement dans les pays dans lesquels nous sommes implantés, notamment grâce à la Fondation AREVA. Nous faisons un effort très spécifique au Niger, un des pays les plus pauvres du monde.

Toutes ces actions s'inscrivent dans une démarche de progrès continu, fondée sur le principe du retour d'expérience. Ainsi, après l'incident du 7 juillet 2008 sur une cuve d'effluents de l'usine Socatri du Tricastin, nous avons mené une très large campagne de mesures sur l'environnement aux abords du site. Tous les résultats ont été présentés à l'ASN, aux préfectures de la Drôme et du Vaucluse, aux différentes parties prenantes – associations, élus – et à la commission locale d'information du Tricastin. Ils sont bons : aucun impact n'a été décelé pour aucune substance, sauf pour les PCB, dont la concentration dans la Gaffière atteint les niveaux du Rhône – héritage des années 1970 et 1980. Au titre du principe de précaution, nous avons bien sûr soutenu la décision de la préfecture de ne pas autoriser la consommation des poissons pêchés dans ce cours d'eau. Des actions concrètes ont par ailleurs été menées pour prévenir d'autres incidents : renfort des effectifs affectés à la sûreté et à l'environnement sur l'ensemble du site, poursuite de la modernisation des installations, financement du raccordement au réseau d'eau potable pour les particuliers si la concentration est supérieure aux valeurs de l'OMS.

Il faut prendre la mesure de la dimension émotionnelle de toutes ces situations – ce qu'on appelle maintenant, je crois, l' « infomotion ». C'est le prix du choix de la transparence, un défi qui a bouleversé les habitudes de l'industrie du nucléaire il y a dix ans. Je continue de croire à ce choix, même s'il est compliqué à gérer. Il n'y aura pas de demi mesure dans ce domaine : il faut communiquer davantage, même si cela nous expose encore plus. En revanche, il faut être très attentif à la polémique facile qui sape la confiance du public et renforce nos concurrents. C'est une spécialité franco-française que de critiquer ce qui marche ou ce qui est nouveau. Ainsi, à Cadarache, concernant une usine ancienne qui a fonctionné pendant quarante ans et qui est en cours de démantèlement, les procédures de sûreté ont été strictement respectées, le confinement n'a jamais été mis en cause et le CEA a communiqué immédiatement avec l'Autorité de sûreté nucléaire. Il en ressort pourtant curieusement un incident classé 2, une interruption des opérations de démantèlement et une information judiciaire. Si la transparence est nécessaire, la confiance l'est aussi et, si la défiance l'emporte, ce sera finalement au prix de la sûreté ! Il faut essayer de trouver ensemble une façon de remettre les choses à leur juste place.

AREVA investit durablement pour continuer à faire la course en tête, et creuser l'écart. Dans le contexte général de crise de ces deux dernières années, nous avons su préserver une véritable dynamique industrielle. Nous avons en particulier beaucoup recruté – et un emploi créé chez AREVA, c'est deux ou trois emplois créés dans des PME françaises. La complémentarité entre le nucléaire et les énergies renouvelables est indispensable pour assurer l'approvisionnement énergétique de notre pays avec le moins de CO2 possible. C'est le moyen de relever les défis énergétiques mondiaux, et vous pouvez compter sur notre détermination pour poursuivre cette formidable aventure industrielle au service de notre pays.

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