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Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Réunion du 12 janvier 2010 à 21h00
Commission des affaires sociales

Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis heureuse, à l'aube de l'année 2010, de vous adresser des voeux fervents pour la qualité du travail parlementaire. Bien entendu, quelles que soient les décisions que vous prendrez, je serai, comme par le passé, à votre disposition autant qu'il sera nécessaire.

La campagne de vaccination nationale engagée voilà huit semaines est loin d'être achevée. Elle se poursuivra jusqu'en septembre, mais sous des formes qui vont évoluer : nous voulons nous adapter et être pragmatiques.

Les critiques adressées aux pouvoirs publics, souvent a posteriori, souvent malveillantes, parfois contradictoires, deviennent dangereuses quand elles font accroire que le risque pandémique serait déjà de l'histoire ancienne.

Attitude désinvolte et arrogante que celle qui consiste à réduire la grippe H1N1 à une « grippette » : à ce compte, nous aurions tôt fait de tenir une tempête causant des centaines de mort pour un simple coup de vent. Je préfère me référer, quant à moi, à l'attitude du Chef de l'État, qui, ce matin, a rappelé la douleur des familles des 240 morts de cette grippe.

Dangereuse sophistique que celle qui consiste à soutenir un jour une thèse pour, la saison d'après, la renier sans vergogne.

Comment est-il possible, à l'instar de votre collègue Jean-Marie Le Guen, de reprocher au Gouvernement, le 25 juillet, une insuffisante préparation pour, quelques mois plus tard, le critiquer d'en avoir trop fait ? Comment oser prendre le risque de brouiller l'esprit des gens, de semer le doute, alors qu'aujourd'hui rien n'indique qu'il faudrait renoncer à se faire vacciner ? Aucun scientifique n'est en mesure d'affirmer à tel ou tel d'entre nous, en parfaite santé, et qui ne se serait pas encore fait vacciner, qu'il ne risque en aucun cas d'être contaminé par un virus qui, une fois sur 5 000, peut être à l'origine d'une forme très grave de la maladie, voire causer un décès.

Nous en sommes à près de 1 200 cas graves et 240 décès. L'évolution reste imprévisible. Quatre scénarios sont possibles à ce jour : l'extinction pure et simple de l'épidémie après le pic que nous avons connu fin 2009, scénario qui, hélas, est le moins vraisemblable ; la poursuite larvée ; la survenue d'un second pic pandémique précoce, début 2010 ; la survenue d'un second pic tardif à l'automne prochain, avec la possibilité que le virus ait muté. Sans me livrer à l'exercice difficile de la prévision, je dois à la représentation nationale une constatation : le cycle épidémique nord-américain possède, je crois, un pouvoir prédictif, avec quelques semaines d'avance. La grippe peut donc revenir, sous une forme ou une autre, avec plus ou moins de virulence.

La responsabilité de la ministre en charge de la santé est de tenir un discours de sagesse et de précaution, instruite par l'expérience. Faut-il à ce point méconnaître l'histoire des pandémies pour s'aventurer à pronostiquer l'extinction d'un virus nouveau même si, par ailleurs, nous la souhaitons tous ? Le sens des responsabilités devrait pourtant interdire de prendre ses désirs pour des réalités. Les prières que certains peuvent faire ne font pas une politique. C'est ainsi qu'une bonne gestion de crise commande de ne préempter aucune hypothèse.

Quels que soient les scénarios possibles, la raison commande de se faire vacciner. C'est un acte de prévention simple et efficace. La population française n'est, à ce stade, pas assez protégée.

La pharmacovigilance très stricte que nous avons déployée nous enseigne que les vaccins sont sûrs. Les difficultés indéniables d'organisation rencontrées à l'ouverture des centres ont été levées en quelques jours, grâce à une action vigoureuse. Les personnels médicaux, paramédicaux et administratifs se tiennent prêts à accueillir nos concitoyens dans des centres qui resteront ouverts jusqu'au début du mois de mars, même s'il est possible que nous en réduisions le nombre au cours du mois de février. Les cabinets médicaux commencent à prendre le relais, et cela jusqu'à l'automne. L'heure n'est donc pas à la démobilisation.

Les esprits inconséquents, qui prétendraient ici ou là que le Gouvernement ne cherche qu'à écouler des stocks inutiles, jouent avec le feu. Je veux le dire ici avec gravité : c'est aux résultats, en septembre, que vous pourrez juger notre politique de prévention. L'heure des bilans n'a pas encore sonné.

Je voudrais répondre, comme il se doit, aux questions légitimes que vous vous posez et même, s'agissant de M. Gérard Bapt, rapporteur spécial du budget de la mission Santé pour 2010, à toutes les questions qu'il ne m'a pas posées, et qu'il n'a pas posées non plus à mon directeur de cabinet ou au directeur général de la santé. Monsieur Bapt, s'adresser à tel de mes conseillers, en charge d'autres secteurs que la grippe, et qui n'est pas nécessairement toujours directement en situation de répondre à vos demandes, n'est pas de bonne méthode.

J'ai le plus grand respect pour les fonctions de rapporteur spécial et je connais les prérogatives qui y sont attachées. C'est précisément parce qu'elles sont éminentes, qu'elles doivent s'exercer dans un cadre transparent, sans précipitation, sans chercher forcément la polémique.

De surcroît, ce que le rapporteur spécial prétend avoir découvert par surprise, je l'ai toujours dit. Il suffisait de m'écouter. J'ai toujours défendu quatre options, y compris auprès de vous : le don, la revente, le stockage stratégique de certains composants de vaccins et l'aménagement des contrats.

S'agissant de la vente des vaccins, avant de faire un bilan global sur ce point fin janvier, je souhaiterais me livrer à un exercice de rappel.

Dès le début du mois de novembre, les premiers résultats des essais cliniques ont plaidé en faveur d'un schéma vaccinal à une seule dose, sauf pour les enfants de moins de neuf ans. Il était impossible d'envisager cette hypothèse simplifiée auparavant, les dossiers d'autorisation de mise sur le marché ayant été construits sur deux injections. S'agissant d'un virus nouveau, à fort potentiel de mutation, ne correspondant pas forcément aux standards de la grippe saisonnière, il était normal d'attendre que les essais cliniques soient robustes. Cette orientation, que nous avons commencé d'évoquer début novembre, a été confirmée le 20 novembre par l'Agence européenne du médicament.

Le Gouvernement a élaboré progressivement une stratégie d'utilisation de ses excédents. La cession de doses – à titre onéreux et à prix coûtant – à des pays qui en faisaient la demande est l'un des éléments de cette stratégie. Deux accords ont alors été signés : ils portent sur la cession de 300 000 doses au profit du Qatar et de 80 000 au profit de Monaco, avec qui nous disposons d'un partenariat sanitaire. Le contrat signé avec l'Égypte, et dont mes services vous ont communiqué un exemplaire, monsieur le rapporteur spécial, vient d'être rompu unilatéralement par les autorités égyptiennes. Ce type d'aléas justifie ma prudence en termes de communication.

Par ailleurs, chacun comprendra qu'il peut être nécessaire d'éviter la diffusion intempestive de messages susceptibles de porter atteinte à la mobilisation requise.

Nous n'avons pas communiqué urbi et orbi sur ces cessions pour plusieurs raisons qui, contrairement à ce que laissent entendre ses dernières déclarations, ont été expliquées à M. Bapt.

D'une part, ces cessions ont été acceptées car elles portaient sur des quantités très faibles de vaccins – 380 000 doses sur 94 millions ! – qui ne risquaient pas de compromettre l'approvisionnement des centres de vaccination.

D'autre part, je ne souhaitais pas, au moment où la campagne de vaccination débutait dans les centres, faire de la publicité sur une vente quantitativement très mineure, et qui aurait pu susciter un « appel d'air » auprès des pays ayant formulé des demandes beaucoup plus importantes, portant sur plusieurs millions, voire plusieurs dizaines de millions de doses, comme le Mexique, l'Ukraine, la Roumanie et la Bulgarie, demandes auxquelles nous ne pouvions pas donner suite, priorité étant bien entendu donnée à l'approvisionnement national.

Enfin, je souhaitais avoir, début janvier, une stratégie de communication globale concernant les ventes, à un moment où les quantités livrées me permettraient de mieux répondre aux sollicitations – nettement plus importantes, je le redis – de pays étrangers.

En plus des deux contrats que j'ai mentionnés, et comme cela vous a également été indiqué par mes services, des contacts ont été pris par d'autres pays – Ukraine, Mexique, pays d'Amérique latine – et les négociations sont en cours. Je doute d'ailleurs que ces ventes soient importantes, car je suppose que les laboratoires, dont c'est le métier, sauront commercialiser leurs produits directement.

La résiliation des contrats pour les doses encore non livrées, et donc non payées, est un autre élément de cette stratégie. La résiliation est un acte unilatéral, prérogative de puissance publique depuis 1910. Ce sont les règles générales applicables aux contrats administratifs. La puissance publique peut user de cette prérogative, alors même qu'aucun dispositif légal ou qu'aucune stipulation contractuelle ne l'aurait prévu.

Les négociations sont en cours, car il peut y avoir indemnisation. Votre commission aura l'information dès que cela sera possible, c'est-à-dire dès qu'elles seront conclues. Toutes les garanties sont prises – je rassure M. Bapt – pour que le dénouement soit conforme au droit et aux intérêts financiers de l'État, que je défendrai âprement.

Je tiens d'ailleurs à reprendre une expression employée par le rapporteur spécial pour qualifier à mon tour de « politiquement destructeur » l'impact que peuvent avoir sur nos concitoyens des procès d'intention. Je ne peux laisser insinuer que des irrégularités pourraient venir entacher les démarches que le Gouvernement a engagées pour assurer la protection de nos concitoyens. Je suis très attachée à l'usage raisonné de l'argent public.

C'est ainsi que je conçois, pour ma part, un engagement responsable au service de l'intérêt général. Si je conçois que l'on puisse me critiquer, le minimum aurait été qu'un mot de santé publique soit prononcé. Il faut penser d'abord aux Français. La démocratie mérite mieux que ces procédés « politiquement destructeurs ».

Je souhaite ainsi replacer l'éthique au coeur du débat et tenter de prendre un peu de hauteur, pour échapper aux rets de polémiques délétères.

La question qu'aujourd'hui beaucoup se posent, et qu'au moment de commander les vaccins, il n'était pas de bon ton de formuler, j'y répondrai sans détour : pourquoi le Gouvernement a-t-il décidé d'acheter 94 millions de doses, ni moins, ni plus, comme il était possible de le faire ? Certains pays, en effet, ont fait des choix différents des nôtres.

Il y a, au fond, trois catégories de pays. La Pologne, à titre d'exemple, a souverainement décidé de ne pas vacciner sa population. Une deuxième catégorie de pays a souhaité proposer la vaccination à une partie seulement de la population : c'est le cas de l'Allemagne, de l'Italie ou encore de l'Espagne. Enfin, un ensemble de pays a opté pour un dispositif permettant d'assurer à toute la population une protection : la France, aux côtés de la Suède, des États-Unis, de la Grande-Bretagne et du Canada, se range dans cette troisième catégorie.

Le Royaume-Uni avait, à titre de comparaison, commandé 130 millions de doses, soit 2,1 par habitant, et le Canada 51 millions de doses, soit 1,55 par habitant. Pour leur part, les États-Unis voulaient commander 600 millions de doses, mais la capacité de production des laboratoires ne pouvait permettre d'honorer la commande. Si l'on veut comparer de manière pondérée nos 94 millions de doses, celles-ci représentaient 1,46 dose par habitant. Notre commande n'avait donc rien d'extravagant. Elle était comparable à celle des pays qui avaient choisi la même stratégie.

À ce jour, après résiliation, nous disposerons de 44 millions de doses, soit 0,68 dose par habitant – soit autrement moins que les États-Unis, la Grande Bretagne et le Canada.

Cependant, notre choix est d'abord un choix éthique, déterminé par notre attachement aux valeurs d'égalité et de solidarité. Je voudrais en rappeler ici le fondement, réitéré par le Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé dans son avis n° 106 du 5 février 2009 sur les questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale : si, au nom de l'équité, il peut y avoir un ordre de priorité, l'accès aux soins doit, au nom de l'égalité, être rendu possible pour tous.

La crise que nous traversons, mettant au jour notre universelle vulnérabilité, appelait, en réponse, une politique de justice essentiellement déterminée par un principe de solidarité : solidarité nationale, mais aussi internationale.

La perspective critique d'un débordement des services hospitaliers et la probabilité d'une dissymétrie entre les ressources de santé disponibles et la demande potentielle a justifié, en amont, la dépense engagée et l'organisation préconisée par l'État. Aussi, je souhaite rappeler plusieurs décisions du Gouvernement occultées par des polémiques partisanes.

J'ai notamment fait en sorte de promouvoir la vaccination anti-pneumococcique pour les populations à risque. Celle-ci a été réalisée, dès juillet 2009, par les médecins libéraux auprès de plus de 300 000 patients, soit six fois plus que les autres années. C'est autant de complications bactériennes qui ont été évitées.

Par ailleurs, l'observation des formes graves qui sont survenues dans l'hémisphère Sud nous a conduits à renforcer nos équipements à la fois en respirateurs sophistiqués pour assurer la ventilation des patients, et en dispositifs d'oxygénation extracorporelle, qui constituent l'ultime recours dans les formes les plus graves de ces atteintes pulmonaires. Nous avons ainsi acquis 100 respirateurs haut de gamme et 34 appareils d'oxygénation extracorporelle, qui ont été répartis dans les principales unités de réanimation, de manière à sauver des vies humaines.

Le choix de l'égalité, excluant la pénurie des moyens et la pratique délétère du passe-droit, est le fondement de notre politique. L'accès des personnes fragiles à la vaccination a été pour nous une préoccupation constante.

La France s'est donné les moyens d'un combat solidaire. Ce choix peut être discuté. Je l'assume pleinement et, en tant que ministre de la santé, j'en suis fière.

Ce choix, nous l'avons fait en conscience, éclairés bien entendu par l'analyse des experts. Ainsi, la conséquence logique de cette posture éthique aurait pu être d'acheter 120 millions de doses.

Nos commandes de vaccins, telles que nous les avons réalisées au début de l'alerte pandémique, représentaient un total de 94 millions de doses auprès de quatre industriels. Cette quantité correspondait, dans le cadre d'un schéma vaccinal à deux injections, tel qu'il était annoncé par les scientifiques et les industriels pharmaceutiques sur la base de vaccins prépandémiques contre la grippe aviaire, à la protection de la population de notre pays avec un taux d'attrition de l'ordre de 25 %, et la prise en compte de la probabilité que les sujets âgés de plus de soixante-cinq ans pourraient n'avoir besoin que d'une injection. En achetant 94 millions de doses, c'est en quelque manière un risque mesuré que nous prenions.

J'ai suivi en ce sens les indications de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et de l'Agence européenne du médicament pour choisir les produits et définir leurs conditions d'utilisation. J'ai également suivi les recommandations du Haut conseil de la santé publique, de manière à déterminer, pour l'ensemble de la population, une stratégie vaccinale adaptée.

Une question abrupte mérite ici d'être posée : en serait-on arrivé au point de remettre en cause l'analyse des experts dont la vocation n'est pas, que je sache, d'exagérer la menace ? En viendra-t-on au point de ne se fier qu'à la rumeur et aux sornettes qui prolifèrent ? Ceux qui aujourd'hui alimentent la défiance et la suspicion en instrumentalisant la santé publique, alors que nous aurions tant besoin d'entraide et de confiance, portent une lourde responsabilité.

J'ai déclaré dès le 30 novembre – mes propos ont d'ailleurs été repris par une dépêche AFP – que je disposais de vaccins monodose. Jusqu'à la fin du mois de décembre, ces vaccins monodose ont été disponibles en quantité limitée et utilisés en priorité pour la campagne de vaccination des personnes sans domicile fixe.

L'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS) dispose actuellement, avec les livraisons importantes de la fin du mois de décembre, de 170 000 monodoses de Panenza, de 850 000 monodoses de Focetria conditionnées en boîte unitaire, et de 4 900 000 monodoses de Focetria conditionnées en boîte de dix. Je souligne, à ce sujet, que ces boites de dix ne peuvent pas être déconditionnées avant leur utilisation.

Nous disposons donc, depuis la fin 2009 et le début 2010, de la masse critique de vaccins monodoses pour approvisionner l'ensemble des médecins libéraux qui seront volontaires pour vacciner. J'ai demandé à mes services de travailler avec les représentants des pharmaciens d'officine pour étudier la possibilité, le plus rapidement possible, d'utiliser le circuit pharmaceutique habituel pour l'approvisionnement des médecins.

Certes, je pourrais m'adresser à moi-même un reproche dans ces circonstances : non pas celui d'en avoir trop fait pour protéger nos concitoyens du risque pandémique, mais celui, peut-être, de ne pas en avoir fait assez pour les protéger de l'irresponsabilité de certaines personnalités publiques et de la désinformation qu'elles ont organisée.

Je regrette de n'avoir pu rassurer davantage, dès le mois de septembre, sur la qualité des vaccins. Mais, je me suis imposé comme règle éthique de ne pas communiquer sur un produit de santé, tant qu'il ne bénéficie pas d'une autorisation de mise sur le marché.

La campagne menée par le Gouvernement s'achèvera en septembre. Il sera temps de juger, alors, de la valeur de notre engagement.

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