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Intervention de Dominique Caillaud

Réunion du 16 décembre 2009 à 17h00
Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Caillaud, président du directoire de Réseau de transport d'électricité, RTE :

Depuis plusieurs années, nous réalisons une étude prévisionnelle du passage à l'hiver, qui consiste en une analyse de l'adéquation de l'offre et de la demande. Ne connaissant pas de manière déterministe les conditions météorologiques, nous partons d'hypothèses moyennes sur l'évolution, d'une part, de la demande d'énergie, d'autre part, de l'offre telle que les principaux producteurs nous l'annoncent.

Malgré la crise et les efforts intenses consentis depuis plusieurs années pour maîtriser la demande, non seulement la consommation d'électricité ne se stabilise pas, mais la consommation de pointe dans notre pays croît plus rapidement que la consommation moyenne. Cela est lié au développement d'un certain nombre d'usages, mais aussi au caractère relativement grégaire de notre société où l'on a de plus en plus tendance à s'éclairer, à regarder la télévision, à utiliser l'ordinateur, à recharger ses appareils, en même temps, le soir.

La prévision de la demande et de l'offre se font dans un univers de probabilités, puisque les températures moyennes présentent toujours des variations et que la disponibilité annoncée par les différents producteurs est, par définition, inconnue en raison de la survenue éventuelle d'avaries. En croisant des hypothèses, nous regardons comment s'opère l'ajustement pour déterminer le solde des échanges, soit importateur, soit exportateur, qui nous permet, dans 99 % des situations que nous testons, de ne pas avoir besoin de recourir aux moyens exceptionnels : baisses temporaires de tension, surcharges temporaires de certains moyens de production, voire délestages en cas d'épuisement de tous les moyens précédents.

L'année dernière, à l'exception de deux semaines en janvier, le système français était normalement exportateur. Cette année, pour avoir des marges satisfaisantes, il nous faut être tributaire des importations. Nous avions d'ores et déjà repéré cette semaine 51 de l'année 2009 comme une des plus sensibles. La semaine 1 de l'année 2010 sera également sensible – le début l'année 2009 a d'ailleurs connu des périodes de froid atteignant les valeurs maximales d'appel sur le réseau. C'est le message que nous avons été amenés à adresser.

Cette semaine, les températures sont en dessous des moyennes saisonnières : de moins 6,8 degrés aujourd'hui, sans doute de moins 7 degrés demain et de moins 7,1 degrés vendredi. Elles entraînent des niveaux de consommation proches du plus haut historique – 92 400 MW le 7 janvier dernier. C'est lors des pointes de la demande que la sollicitation des réseaux, la production et le recours aux importations sont les plus forts.

L'ajustement se fait par la mobilisation, d'une part, de tous les moyens de production disponibles sur le territoire, d'autre part, des moyens de production que les différents acteurs du marché sont amenés à mobiliser à l'extérieur des frontières. Étant donné qu'il y a des disponibilités en Europe, il ne devrait pas y avoir de problème, mais notre réseau n'est pas une plaque de cuivre et des contraintes existent aux interconnexions. En effet, même si nous sommes, en comparaison avec d'autres pays, fortement interconnectés aux réseaux voisins, nous subissons les limites physiques des congestions qui se produisent aux alentours de 9 000 MW.

Cette semaine, nous avons été importateurs à la pointe, avec 4 386 MW lundi et 5 100 MW mardi. Nous prévoyons 7 100 MW aujourd'hui et 7 000 MW demain.

La limite maximale d'importation du système français étant de 9 000 MW, la marge est faible. Un aléa venant affecter soit un élément du réseau, soit un élément des moyens de production le rendrait vulnérable.

Note rassurante : sauf aléa nouveau, l'équilibre global offredemande sera cette semaine assuré en France, avec des marges réduites comme à chaque période de forte demande.

A noter cependant que nos principaux soucis concernent la Bretagne et la région PACA.

Située à l'extrémité du pays, la Bretagne produit seulement 8 % de l'électricité qu'elle consomme. Non seulement, son électricité doit être fournie par l'extérieur, mais comme compte tenu de sa géographie, elle est alimentée seulement par l'est, et le sud de son réseau est mieux alimenté que le nord. En outre, elle est dépendante de la centrale au charbonfioul de Cordemais, bien connue pour ses faiblesses : sur quatre tranches, trois sont disponibles aujourd'hui et si nous en perdions une, non seulement nous ne pourrions plus assurer convenablement l'alimentation de la Bretagne, y compris avec les expédients évoqués, mais nous serions confrontés à un risque de propagation d'incident sur l'ensemble du réseau, hantise d'un gestionnaire de réseau.

Bien entendu, notre mobilisation est permanente car il est de notre responsabilité de tout mettre en oeuvre pour l'éviter. Nous utiliserons à cette fin tous les moyens, en espérant ne pas avoir à le faire si la disponibilité de la centrale de Cordemais peut se maintenir. Parmi les quelques moyens de production locaux mis en oeuvre, l'éolien en Bretagne a certes connu un développement assez important, mais la production est actuellement d'à peu près 15 MW sur les 300 installés.

En situation structurelle de « péninsule électrique », la Bretagne est donc particulièrement vulnérable. Une consommation au-delà de 16 000 MW sur l'Ouest nous oblige à mobiliser un certain nombre de moyens : baisses temporaires de tension, qui ne sont pas perceptibles, sauf peut-être par certains consommateurs industriels, et surcharges temporaires de production. En outre, nous avons lancé avec le distributeur ERDF (Électricité réseau distribution France), les autorités locales et l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie) des actions appelées « Écowatt » destinées à sensibiliser les consommateurs sur Internet ou par SMS grâce à un signal simple, orange ou rouge. Cette contribution est encore modeste (une dizaine de MW), mais symbolique et toujours bonne à prendre. Cependant, sans nouveaux moyens de production, il n'y aura pas d'issue pour résoudre cette fragilité d'alimentation électrique de la Bretagne. Le site envisagé pour une centrale à gaz à Ploufragan près de Saint-Brieuc fait l'objet de réflexions depuis longtemps. Jusqu'à présent, nous avons réussi à surmonter cette vulnérabilité, mais on ne peut pas toujours avoir de la chance…

Autre « péninsule électrique », la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur où toute l'alimentation se fait par la vallée du Rhône – car il n'y a pas de ligne de puissance avec l'Italie –, qui plus est avec une ligne essentiellement côtière, de 400 000 Volt. Certes, la capacité de transit de cette dernière sera doublée l'année prochaine, mais sa vulnérabilité intrinsèque sera maintenue – puisqu'en cas d'incident sur un pylône, les deux circuits passant sur la ligne sautent en même temps. Ainsi, même en faisant transiter plus d'énergie en condition normale, un incendie de forêt, un orage peuvent entraîner une déconnexion de l'ensemble.

En tout état de cause, nous devons renforcer le réseau. Nous avons lancé les études après l'annulation par le Conseil d'État, en 2006, de l'obtention d'une déclaration d'utilité publique pour réaliser un bouclage du réseau en 400 000 Volt. Cette décision nous oblige à reconsidérer l'ensemble. Une solution de remplacement un peu plus coûteuse a été actée en novembre 2008 en renforçant le réseau à 225 000 Volt, ce qui nécessitera au moins trois à quatre ans de mise en oeuvre. D'ici là, nous aurons des zones de fragilité, même si nous avons fait des progrès. Le curseur s'est en effet déplacé : l'an dernier, nous étions en zone de vulnérabilité dès que les températures étaient inférieures de cinq degrés aux moyennes saisonnières ; cette année, nous gagnons deux degrés de plus en « passant » plus facilement jusqu'à « moins sept degrés » par rapport aux moyennes saisonnières.

Vous nous avez appelés à un discours très direct, monsieur le président : très franchement, nous avons, cette semaine, plus de soucis pour la Bretagne que pour PACA.

L'Europe dans son ensemble ne manque pas de puissance électrique disponible. Compte tenu de leur modèle énergétique, un certain nombre de pays sont beaucoup moins sensibles que le nôtre aux variations de températures. Un degré de moins ou de plus représente 2 000 MW de plus ou de moins en France – liés au développement des usages thermiques de l'électricité – et 4 000 MW pour l'ensemble de l'Europe. À elle seule, la France représente la moitié de la sensibilité thermique à la température, mais d'autres pays étant moins sensibles, il y a des disponibilités à l'étranger. Le système français a des avantages compétitifs, notamment le nucléaire ; certains pays ont fait d'autres choix et disposent de moyens certes coûteux, mais disponibles. Les interconnexions peuvent donc, à tout moment, optimiser les échanges. Leur développement est donc intéressant. Les Espagnols, par exemple, sont parfois amenés à réduire leur production éolienne, leur capacité de transit avec notre pays étant de 500 MW seulement, alors qu'ils ont construit beaucoup d'éoliennes. Le projet France-Espagne, concrétisé après vingt ans de discussions, permettra d'augmenter de 1 400 MW les capacités de transit dans les deux sens.

En conclusion, pour regagner des degrés de liberté, la solution est certes d'avoir les meilleures marges de disponibilité sur tous les moyens de production, mais aussi la possibilité de réaliser plus d'interconnexions en Europe. Le problème n'est pas un manque d'idées, de projets, de moyens – aussi bien le régulateur que l'actionnaire ne nous ont jamais marchandé ni leur accord sur les projets d'investissements, ni les moyens de financement –, c'est un problème d'acceptabilité par l'opinion publique de ces ouvrages. C'est pourquoi nous avons besoin du soutien de tous les représentants publics pour convaincre nos concitoyens que, comme une ligne à grande vitesse ou une autoroute apporte un plus à la collectivité, une ligne à très haute tension d'interconnexion concourt directement à la sécurité en matière d'alimentation électrique. Rappelez-vous : lors de la tempête Klaus, Perpignan et sa région ont pu continuer à être alimentés dans des conditions à peu près satisfaisantes pendant cinq jours grâce à l'Espagne, car l'interconnexion avec ce pays a été maintenue en service, alors que les lignes traversant les Corbières étaient à terre.

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