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Intervention de Antoine Sfeir

Réunion du 8 décembre 2009 à 16h00
Mission d’information sur la pratique du port du voile intégral sur le territoire national

Antoine Sfeir, journaliste, directeur des Cahiers de l'Orient :

En aucun cas, il ne faut légiférer. Ce serait donner un argument supplémentaire aux islamistes. En revanche, il vous faut rappeler les principes de la loi de 1905 : cette loi est complète, globalisante et d'une grande clarté.

Le personnage dont M. Glavany a parlé manie brillamment la rhétorique. Il dit lutter contre les salafistes, qui prônent une lecture littéraliste du Coran. Il se dit réformiste, pratiquant l'effort d'interprétation à partir du VIIe siècle. Mais il faut relire ce qu'il écrit dans Les musulmans dans la laïcité : la religion musulmane est englobante, et il est difficile à un musulman d'obéir aux lois de la République lorsqu'elles apparaissent en contradiction avec les lois d'Allah.

M. Dennis Gira, l'éditeur de sa thèse sur la vie et l'oeuvre de son grand-père, fondateur des Frères musulmans, a écrit qu'il représentait la pensée de ces derniers. Ce monsieur n'a pas démenti ; il va même dans ce sens dans son avant-propos. Ainsi laisse-t-il passer des informations. Il explique qu'il n'est pas encarté, omettant de dire qu'il ne s'agit pas d'un parti, mais d'une confrérie – on est Frère musulman ou on ne l'est pas.

Lorsque je l'ai invité en 1993 – c'était la première fois qu'il s'exprimait en France – à échanger sur le thème « Islam et République », j'ai cru qu'il était réformiste. Mais lorsque j'ai lu ce qu'il écrivait en français et en arabe – langue qu'il ne pratique pas, contrairement à ce qu'il affirme – je me suis rendu compte que tout ce qu'il disait était faux. Sa rhétorique consiste à dire une part de vrai, pour mieux tromper. L'inconvénient, c'est qu'il faut connaître l'islam pour la démonter.

Cela nous ramène au savoir, à l'école. Nous invitons à respecter les « autres », à les reconnaître, mais nous ne les connaissons pas. Je passe mon temps à parcourir la France pour expliquer ce qu'est l'islam, en m'appuyant uniquement sur les textes musulmans. Nous avons inventé au XVIIe siècle un terme dont nous abusons aujourd'hui, non sans relents néocolonialistes : la « tolérance ». Pour ma part, je ne veux pas être toléré : je souhaite que l'on me reconnaisse tel qu'en moi-même, dans mon altérité.

Monsieur Myard, la taqîya – ou ketman – est un dogme chiite. Le devoir d'un chiite, s'il se trouve parmi des sunnites, est de dissimuler son appartenance et de se proclamer sunnite. Il faut savoir que pour les chiites, ultra-minoritaires – ils ne représentent que 9 % des musulmans – l'individu a une importance primordiale pour la communauté. Si certains extrémistes empruntent à leur tour la taqîya , c'est qu'ils sont eux-mêmes une infime minorité au sein de la communauté sunnite en France.

Pour publier Les Réseaux d'Allah ou les filières islamistes en France et en Europe –, j'ai enquêté pendant dix ans, entre 1992 et 2002 : je peux affirmer que près de 90 % des musulmans ont choisi l'intégration, la laïcité, les valeurs républicaines, au-delà des affirmations identitaires que constituent le jeûne du ramadan ou le port de certains vêtements. Ils sont pleinement dans la République.

S'agissant du journalisme, je dois jeter, non sans regrets, un roc dans mon jardin. Mes confrères, pressés par leurs médias, manquent sans doute de temps pour se spécialiser dans ce domaine. Mais lorsque l'on me demande le nom d'un islamiste et que je propose celui d'un professeur d'université – comme l'écrivait Voltaire, je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire – ils préfèrent contacter un barbu qui insulte la France : cela fait vendre du papier, remonter la courbe de l'audimat, et cela fait peur.

En créant la peur, nous créons le rejet de l'autre. En ce sens, la laïcité est un socle de la République : elle englobe, elle ne délie pas ; elle intègre, elle ne rejette pas. Veillez à ne pas donner l'apparence du rejet. Si vous légiférez, on proclamera que les députés français ont légiféré contre l'islam. Réaffirmer ou préciser certaines « niches » de la loi de 1905 éviterait ce risque.

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