Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Sylvie Andrieux

Réunion du 16 décembre 2009 à 21h30
La poste et les activités postales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvie Andrieux :

Monsieur le président, monsieur le ministre chargé de l'industrie, mes chers collègues, cela fait maintenant plusieurs mois que nous nous battons, à gauche, aux côtés des usagers, contre le projet du Gouvernement et du Président de la République de changement de statut de La Poste en société anonyme et contre l'ouverture de son capital.

S'il est vrai que l'émergence d'un concurrent qui rivaliserait avec La Poste dans le domaine de la distribution du courrier sur tout le territoire national est peu probable, le développement d'autres opérateurs sur des marchés plus lucratifs peut être déstabilisant.

Les nouvelles technologies obligent La Poste à repenser son fonctionnement et ses services. Dans le même temps, le maintien d'un service public de qualité sur tout le territoire national est plus que jamais une exigence incontournable.

Dans ce contexte, les besoins d'investissements minimaux de La Poste ont été évalués à 6,3 milliards d'euros, alors que, fin 2008, le groupe avait 1,7 fois plus de dettes que de fonds propres. Le résultat net du groupe La Poste était de 529 millions d'euros en 2008, en recul de 44 % par rapport à 2007.

Face à cette situation, que propose le Gouvernement que vous représentez, monsieur le ministre ? Une seule et unique mesure, qui passe en grande partie à côté des enjeux réels du débat : le changement de statut.

Ne nous trompons pas, si le changement de statut de La Poste doit être assorti de garanties qui ne figurent actuellement pas dans ce texte, c'est bien l'absence de mesures portant sur la définition, le financement et la régulation du service public qui doit attirer toute notre attention.

La transformation de La Poste d'EPIC en société anonyme à capitaux publics suscite les oppositions les plus fortes, reposant sur la crainte fondée que celle-ci ne devienne qu'une entreprise commerciale comme les autres, orientée exclusivement vers le profit et perdant de vue ses missions de service public, contrairement à vos affirmations. Sur ce point, nous estimons que les conditions dans lesquelles intervient cette transformation ne sont pas opportunes.

En effet, le changement de statut a pour première série de conséquences de modifier les règles de fonctionnement de La Poste, en soumettant en principe l'entreprise au droit privé.

Malgré le succès reconnu de la votation citoyenne en octobre dernier où 2,3 millions de personnes se sont exprimées contre la privatisation de la Poste, vous entendez toujours soumettre le service public le plus cher au coeur des Français – nombre de collègues en ont fait état – aux lois du marché et aux règles du profit.

Dans les Bouches-du-Rhône, plus de 123 000 personnes ont exprimé leur soutien à une Poste 100 % publique. Peut-être avaient-elles déjà eu vent de la non-reconduction par la direction départementale de la Poste, des contrats de location des bureaux suivants : La Valentine, L'Estaque, Saint-Tronc, Saint-André, Saint-Julien, Montolivet, Montredon, les Olives, Sainte-Anne, Notre-Dame-Limite, Bompard, National et Libération. La direction envisage-t-elle leur fermeture ?

Toujours dans les Bouches-du-Rhône, il est prévu la création de huit Relais Poste pour remplacer des bureaux de poste. Je le rappelle, ces Relais Poste peuvent être tenus par n'importe quel commerce – boucherie, épicerie, etc. – sans exigence de secret professionnel ni devoir de réserve.

Voilà notamment les raisons pour lesquelles nous exigeons de la part du Gouvernement des garanties quant aux règles de fonctionnement de La Poste.

Le contrôle de l'État doit être renforcé. Il doit pleinement assumer son rôle décisionnaire en termes de stratégies financières et ne doit pas laisser les dirigeants de l'entreprise décider seuls.

Le changement de statut de la Poste ne paraît pas justifié par des impératifs de développement, mes collègues l'ont rappelé. Jean-Paul Bailly affirmait lui-même en 2007 que « la forme juridique de La Poste n'est absolument pas un frein à sa modernisation et à sa préparation pour l'ouverture à la concurrence ». Alors pourquoi vouloir changer ?

Personne ne conteste que La Poste n'a pas besoin d'un changement de statut pour réformer son organisation et son fonctionnement. Aucune analyse convaincante n'a été avancée pour démontrer que, dans le contexte actuel, une ouverture de capital présente des avantages par rapport aux autres modes de financement possibles de La Poste, tels que l'endettement ou l'investissement public.

La conquête de marchés étrangers ne semble pas non plus, à l'heure actuelle, une priorité pour La Poste. La commission Ailleret a elle-même appelé dans son rapport à la plus grande prudence à cet égard.

Je me permettrai de rappeler, comme cela a déjà été fait à plusieurs reprises, que les évolutions de France Télécom et de GDF ont bien montré que l'ouverture de capital était inéluctablement la première étape vers la privatisation des entreprises publiques, contrairement à ce que vous voudriez nous faire croire.

Réformer une entreprise aussi importante que La Poste, par son poids économique et social et par sa place dans la vie quotidienne des Français, ne peut se faire sans rassembler un consensus auprès de ses employés. C'est loin d'être le cas aujourd'hui.

Une fois encore, rien que dans les Bouches-du-Rhône, plus de quatre-vingt-treize emplois d'exécution ont été supprimés cette année, dont cinquante et un à Marseille.

En 2010, il est prévu ce que la direction appelle « une première vague de réorganisation ». Son objectif est de supprimer vingt-sept emplois sur neuf regroupements de bureaux. Les tournées seront très certainement réorganisées, voire réduites et les territoires les plus enclavés de moins en moins desservis. Les usagers ont perdu 3 281 heures de guichet chaque semaine, soit l'équivalent de la fermeture de cinquante-cinq bureaux de poste !

Depuis 2002, sur l'ensemble du territoire, 52 000 emplois ont été supprimés et les salaires stagnent à moins de 1 600 euros pour la moitié des postiers, contre 74 % d'augmentation pour les dix plus gros salaires. Pour satisfaire les futurs actionnaires, l'objectif de la Poste est de supprimer sur cinq ans 40 % des emplois de guichetiers.

Mais les enjeux se situent aussi en termes de financement et de régulation du service public postal.

Plus que La Poste elle-même, ce sont les besoins des usagers et des territoires qui doivent être au coeur de la réflexion sur le service public postal. Sur ces points, le projet du Gouvernement pèche par une très grande faiblesse de propositions.

Aujourd'hui, La Poste est chargée de quatre missions de service public, définies depuis la loi du 20 mai 2005 : le service universel postal, la contribution à l'aménagement et au développement du territoire, le transport et la distribution de la presse et l'accessibilité bancaire.

Ces missions, vous les rappelez dans ce projet de loi : c'est bien, mais malheureusement largement insuffisant. Il aurait pu, en concertation avec les usagers et les collectivités territoriales, créer de nouveaux droits, correspondant aux besoins réels que doit satisfaire le service public postal.

Il peut s'agir, par exemple, des horaires d'ouverture des bureaux de poste ou des services offerts par le postier lors de la distribution du courrier. Nous le constatons chaque jour dans nos circonscriptions, le facteur a un réel rôle social.

Nous sommes également particulièrement déçus que votre projet, monsieur le ministre, ne réponde pas au principal danger qui menace La Poste : le financement du service public et plus précisément du service universel et de la contribution à l'aménagement et au développement du territoire.

La source de financement que constitue le domaine réservé va nécessairement se tarir ; et ce n'est pas le fonds de compensation du service universel postal qui pourra le combler tant ses ressources sont insuffisantes – sans parler de son effectivité, qui reste à démontrer.

Ce système, qui aujourd'hui ne fonctionne pas, pourrait être amélioré, en élargissant par exemple les activités dont le chiffre d'affaire est pris en compte pour calculer la contribution au fonds de compensation.

Les missions d'aménagement et de développement du territoire représentent pour La Poste des coûts considérables qui doivent être compensés par un fonds de péréquation. Comme le permet la directive européenne, ce sont l'ensemble des opérateurs postaux qui devraient contribuer à ce fonds.

Dans tous les cas, nous n'accepterons pas que l'État se désengage et fasse supporter aux usagers, par le biais d'une hausse des tarifs, la compensation des surcoûts. Le principe de l'égalité d'accès de tous au service postal en serait gravement remis en cause.

Sur ce point, les exemples européens de privatisation de La Poste devraient conduire le Gouvernement à plus de précaution et de réflexion.

Nous regrettons enfin que la place de l'usager ne soit pas plus présente dans ce projet de loi, alors qu'il devrait être au coeur de l'évolution du service public postal. Il convient de mieux l'associer à la régulation, en renforçant par exemple la présence de ses représentants au conseil d'administration de La Poste et dans les instances de régulation. Encore un rendez-vous manqué pour le Gouvernement…

Non seulement ce texte n'est pas acceptable car rien ne justifie le changement de statut juridique de La Poste, mais il n'apporte de surcroît aucune garantie. Il est surtout inacceptable en ce qu'il n'aborde pas les véritables enjeux que sont la définition, le financement et la régulation du service public. Cela vous fait rire, monsieur le ministre…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion