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Intervention de Jean-Louis Nadal

Réunion du 1er décembre 2009 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Jean-Louis Nadal, Procureur général près la Cour de cassation :

Merci de m'avoir invité devant votre commission.

La réforme du Conseil supérieur de la magistrature est d'une ampleur incontestable. Elle modifie profondément notre architecture judiciaire et par conséquent la perception du fonctionnement de la justice par nos concitoyens. Certaines modifications sont de nature à réduire les reproches trop souvent adressés aux magistrats de corporatisme et même de politisation : ainsi, la majorité, sauf en matière disciplinaire, reviendra aux représentants de la société civile et les chefs de la Cour de cassation seront les présidents des formations du siège et du parquet, le premier président étant le président de la formation plénière.

Du point de vue du ministère public, ce nouveau dispositif arrive à point nommé puisque son statut semble être remis en cause par la Cour européenne des droits de l'homme, qui veut dénier au procureur de la République la qualité d'autorité judiciaire au sens de l'article 5 de la Convention – j'attends avec impatience la décision de la Cour européenne. La réforme, notamment en prévoyant que les procureurs généraux ne seront plus nommés en conseil des ministres, permet de répondre aux critiques de politisation en s'inscrivant dans une logique de professionnalisme et de légitimité. Je sais que la question fait débat et que d'autres aménagements peuvent être envisagés, mais ce n'est pas la question du jour.

Je voudrais aborder en premier lieu les dispositions concernant l'organisation du Conseil supérieur de la magistrature, puis ses missions et son rôle. Cela me permettra de répondre aux huit questions que vous m'avez adressées.

Pour ce qui est de la désignation des membres du Conseil tout d'abord, vous m'avez demandé si les incompatibilités prévues entre la profession d'avocat et la fonction de membre du CSM étaient nécessaires, ou excessives. L'article 3 du texte prévoit que l'avocat qui siège dans les trois formations du Conseil supérieur de la magistrature est désigné par le président du Conseil national des barreaux, après avis de l'assemblée générale dudit conseil, et le Sénat a précisé que cet avis devait être conforme. Il me semble que cette modification est une avancée, même si l'idéal eût été que l'avocat soit plutôt élu par l'assemblée générale du Conseil national des barreaux.

Le Sénat a modifié l'article 4 pour prévoir que l'avocat ne peut, de toute la durée de son mandat, ni plaider devant les tribunaux, ni agir en conseil juridique d'une partie engagée dans une procédure. Or, ma préférence va à un système dans lequel l'avocat reste actif professionnellement, et continue le cas échéant de plaider, tout en étant soumis à une très forte obligation déontologique pouvant le conduire à se déporter plus souvent que d'autres membres.

J'ai observé avec satisfaction que le Sénat avait ajouté un article 6 bis qui fait du président de la formation le garant des obligations déontologiques des membres du Conseil supérieur de la magistrature. Cet article conforterait l'idée d'un avocat actif professionnellement. Le constituant a en effet voulu qu'un avocat au fait des problématiques judiciaires participe aux travaux du Conseil. Restreindre son activité ne revient-il pas à réduire le champ des avocats pouvant être nommés ? Par ailleurs, les membres magistrats du Conseil, auxquels on pourrait opposer les mêmes arguments, poursuivent leur activité professionnelle tout à fait normalement sans que cela crée de difficultés dans la pratique.

Je maintiens donc l'idée que ces restrictions ne sont ni nécessaires, ni utiles, à condition de fixer des exigences déontologiques strictes que le président de la formation aurait la charge de faire respecter.

J'en viens maintenant à la composition du Conseil. Vous m'avez interrogé sur la disposition introduite au Sénat à l'article 11 bis, qui prévoit que les formations disciplinaires devront toujours compter un nombre égal de magistrats et de non-magistrats pour délibérer. À mon sens, il convient d'éviter les clivages artificiels entre magistrats et non-magistrats. C'est essentiel pour le bon fonctionnement du Conseil. Le principe de parité de l'article 11 bis n'est pas sans poser de problème.

En premier lieu, et sans entrer dans le débat sur la constitutionnalité de cette disposition, qui est un des arguments soulevés par le Gouvernement pour s'y opposer, la Constitution a prévu une composition paritaire, et non un principe de fonctionnement paritaire du Conseil supérieur de la magistrature. La composition actuelle de ce dernier est à l'avantage des magistrats, mais rien n'empêcherait la formation disciplinaire de se tenir avec une majorité de non-magistrats, alors même que l'on pourrait déduire de la Constitution la volonté d'une majorité de magistrats. Or, en tant que président de la commission disciplinaire, je n'ai jamais constaté de difficulté en pratique, l'ordre du jour étant fixé de sorte que la totalité ou presque des membres du Conseil soient présents.

En second lieu, la loi organique pose certes un principe de fonctionnement paritaire, mais sans régler la manière de l'établir. Le Sénat a souhaité tenir compte de l'avis n° 10 du Conseil consultatif de juges européens, adopté le 23 novembre 2007, ou de la déclaration du 23 mai 2008 du réseau européen des conseils de la justice, qui sont en faveur de la parité, mais cette proclamation n'est suivie d'aucun dispositif concret. Et l'on voit bien la difficulté qu'il y aurait à en trouver un : sur quel critère, par exemple, décider qu'un membre ne siégera pas ? Si plusieurs magistrats sont absents, comment prévoir l'ordre d'exclusion des non-magistrats ?

Au final, il me semble que cette question relève plutôt de la pratique du Conseil, dont le président de la formation aura la charge, et que cette disposition n'est ni nécessaire ni utile.

Enfin, il faut veiller à éviter tout mécanisme rigide susceptible d'altérer les relations entre les membres et d'accentuer la césure entre magistrats et non-magistrats.

Je voudrais maintenant aborder la question essentielle, pour l'ensemble de la justice, des obligations déontologiques des membres du Conseil.

L'article 6 bis du projet de loi organique prévoit dans son premier alinéa que « les membres du Conseil supérieur exercent leur mission dans le respect des exigences d'indépendance, d'impartialité et d'intégrité ». Je suis heureux que ce principe figure dans la loi, et d'autant plus que c'est une loi qui renforce les pouvoirs du Conseil. Mais vous m'avez demandé si cette disposition caractérisait bien les obligations auxquelles doivent être soumis les membres du Conseil. Or, si je suis favorable aux termes d'indépendance et d'impartialité, je m'interroge sur l'exigence d'« intégrité » : ne s'agit-il pas d'une obligation de tout citoyen, dont le respect est assuré par la loi pénale ? L'intégrité renvoie à l'idée de probité, une obligation quasi-évidente dont le rappel est peut-être maladroit. Je serais plutôt favorable à une exigence de « dignité », figurant dans le serment du magistrat. La notion de dignité implique que le comportement d'un membre du Conseil ne doit pas être de nature à jeter le discrédit sur l'institution, une façon d'être qui, sans être contraire à l'intégrité ou à la probité, ne serait pas appropriée.

Outre le remplacement de la notion d'intégrité par celle de dignité, je serais favorable à ce qu'une disposition rappelle que les membres du Conseil doivent garder le secret des délibérations et des votes. L'article 3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoit une telle obligation pour ses membres et l'article R. 232-21 du code de justice administrative prévoit une obligation de discrétion professionnelle pour les membres du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Quant à savoir s'il faut mettre à la charge du président de chaque formation les mesures appropriées pour assurer le respect de ces obligations déontologiques, je répondrai très clairement par l'affirmative. Le respect des règles éthiques procède d'une démarche personnelle : chaque membre doit mesurer s'il peut siéger à une délibération. Cela permet de remplir tout particulièrement l'exigence d'impartialité. En revanche, il importe qu'un organe régulateur puisse intervenir en cas de situation conflictuelle, ou d'absence de démarche personnelle d'un membre, afin d'éviter de jeter le discrédit sur l'ensemble de l'institution. Les dispositions de l'alinéa 3 du nouvel article 10-1 de la loi organique du 5 février 1994 me paraissent donc indispensables.

J'en viens maintenant au fonctionnement et aux missions du CSM, à commencer par les règles de quorum prévues à l'article 9. Le projet initial du Gouvernement prévoyait de porter le quorum de cinq à huit membres. Le Sénat a voulu le fixer, en matière disciplinaire, à au moins sept membres outre le président de séance, et à huit membres outre le président de séance dans les autres matières. Son souci, en abaissant le quorum en matière disciplinaire, était de parvenir à une parité entre magistrats et non-magistrats, la commission en matière disciplinaire étant composée de seize membres.

Compte tenu des observations que j'ai déjà formulées sur la parité, il ne me semble pas nécessaire de retenir un quorum différent de celui prévu pour les nominations. Toutefois, un autre motif a été invoqué : dans la circonstance où les membres de la formation de filtrage des plaintes des justiciables ne pourraient pas siéger, soit deux magistrats et deux non-magistrats, il pourrait devenir impossible d'atteindre le quorum en cas de déports liés, par exemple, à des conflits d'intérêts. Cet argument-là me paraît pertinent et je ne suis donc pas défavorable à une règle de quorum moins contraignante en matière disciplinaire.

J'en viens à l'interdiction temporaire d'exercice. Je suis heureux que le Sénat ait supprimé la procédure dite de « référé », qui permet au président seul de statuer sur une demande d'interdiction temporaire d'exercice. La proposition initiale ne répondait en effet pas à une véritable nécessité, les hypothèses d'urgence absolue à interdire un magistrat étant, en pratique, réglées par des dispositifs pénaux – contrôle judiciaire ou détention provisoire – ou administratifs – congé maladie, internement d'office. Par ailleurs, je suis très attaché à ce que ce soit le Conseil dans son entier qui statue sur la demande, et non les chefs de la Cour de cassation seuls, sans l'organisation d'une audience. La modification apportée par le Sénat constitue donc une avancée.

En revanche, le délai de dix jours dans lequel le Conseil doit se prononcer sur la demande d'interdiction temporaire d'exercice me paraît trop court pour organiser l'audience, réunir le quorum et permettre au magistrat concerné et à son avocat d'avoir accès aux pièces de la procédure et d'assurer sa défense, mais je comprends le souci du législateur organique de vouloir encadrer le dispositif. Un délai de quinze jours me paraîtrait raisonnable.

J'ajoute qu'il serait opportun, en matière d'interdiction temporaire d'exercice, d'unifier les dispositions applicables aux magistrats du siège et du parquet, le Conseil devenant l'autorité de décision dans les deux cas. La réforme constitutionnelle aurait d'ailleurs pu être l'occasion d'aligner, de manière générale, le régime disciplinaire des magistrats du parquet sur celui du siège, c'est-à-dire de conférer à la formation compétente pour le parquet un pouvoir de sanction plutôt que d'avis sur la sanction.

J'en viens au dispositif de traitement des plaintes des justiciables. La loi organique a retenu deux filtres. Ce choix peut paraître justifié dans la mesure où il existe des spécificités propres à chacune des fonctions, et il s'inscrit dans une perspective de professionnalisme. Mais, à la réflexion, je n'aurais pas été défavorable à un filtre unique, afin de renforcer, d'une part, le principe de l'unité du corps et, d'autre part, le socle commun des règles déontologiques des magistrats du siège et du parquet.

Vous m'avez demandé si les conditions de recevabilité formelle de la plainte d'un justiciable n'étaient pas trop strictes, notamment eu égard au délai d'un an suivant la décision irrévocable mettant fin à la procédure. Notons tout d'abord que les autres conditions – interdiction d'une plainte contre un magistrat saisi de la procédure, sauf cas particuliers ; indication détaillée des faits et griefs ; identification du plaignant et de la procédure en cause – permettent d'éviter que la plainte ne soit utilisée pour déstabiliser le magistrat saisi ou en charge de la procédure. De la même manière, pour les magistrats du siège, le texte précise que la plainte ne peut fonder une demande de récusation.

Le délai d'un an ne me semble pas de nature à forclore trop rapidement le justiciable. J'avais même indiqué, au Sénat, que six mois étaient suffisants pour assurer la sérénité et l'autorité de la justice. En effet, la plainte, déposée après la décision irrévocable, peut viser des agissements de magistrats antérieurs de plusieurs années, ce qui laisse tout le temps au justiciable de saisir le Conseil. En tout état de cause, le Garde des sceaux ou les chefs de cour pourront toujours le saisir si une faute disciplinaire devait se révéler plus tard.

J'ajoute, toujours s'agissant de la commission de filtrage, que le Sénat a voulu que la commission d'admission des requêtes puisse entendre le magistrat en cause. Je suis pour ma part favorable à des pouvoirs d'investigation encore plus larges, comme la possibilité d'entendre également le plaignant. Le texte pourrait être modifié pour permettre à la commission d'admission des requêtes d'effectuer « tout acte d'investigation utile ».

Vous m'avez également interrogé sur le statut juridique de la plainte et sur l'incidence de son retrait par le justiciable. Je considère que, dès lors qu'elle est déposée, la plainte met en mouvement l'action disciplinaire, qui échappe à son auteur. Considérer les choses autrement conduirait à une « privatisation » de l'action disciplinaire et ouvrirait la voie à des pressions sur le magistrat. En outre, l'intérêt protégé par l'action disciplinaire est un intérêt public, qui dépasse le seul justiciable ayant saisi le Conseil. Pour ces deux raisons, le retrait de la plainte ne doit avoir, à mon sens, aucune incidence sur les suites de la procédure.

Répondant à votre dernière question sur la plainte du justiciable, je dirai que, lorsqu'une autre autorité, le Garde des sceaux ou le chef de cour, saisit le Conseil alors qu'une plainte est en cours d'examen par la commission des requêtes, l'examen de cette plainte devient sans objet.

Pour terminer, j'évoquerai la question particulière de la nomination des procureurs généraux et, de manière plus générale, la pratique du Conseil en matière d'avis pour les magistrats du parquet, élément essentiel de la clarification de nos institutions, sur lequel le sénateur Portelli m'a notamment interpellé.

La loi organique tire les conséquences de l'extension des attributions du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination des magistrats du ministère public. Soumettre à son avis la nomination des procureurs généraux marque une grande avancée. Leur désignation en Conseil des ministres a en effet nourri un soupçon de politisation et il était essentiel d'inscrire le professionnalisme et la compétence au coeur des dispositions concernant les magistrats du ministère public.

La réforme constitutionnelle et la présente loi organique constituent une avancée décisive, alors même qu'il aurait été possible d'aller plus loin en prévoyant un avis conforme pour la nomination des magistrats du parquet ou, comme je l'avais proposé à la commission Balladur, en alignant le mode de désignation des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège. Dans cette optique, c'est le Conseil qui aurait pu proposer la nomination des procureurs généraux – mais cela ne fut pas le choix du constituant.

En tout cas, il est essentiel que les nominations de l'ensemble des magistrats du ministère public s'inscrivent dans une plus grande transparence. Pour cela, et même si l'avis du Conseil ne lie pas l'autorité de nomination, la motivation de tous les avis défavorables ainsi que des avis favorables sur les nominations des chefs de cour et de juridiction serait un réel progrès. Les avis motivés seraient bien sûr transmis au Garde des sceaux et au magistrat concerné et, pour ne pas lui nuire, le ministre déciderait seul de verser ou non l'avis à son dossier administratif. Cela favoriserait une gestion dynamique et responsable du corps et renforcerait la transparence de la justice et la confiance que les citoyens peuvent lui accorder. On pourrait même envisager de rendre publics les avis favorables de nomination aux fonctions de chef de cour et de juridiction, coupant ainsi court à la suspicion qui peut accompagner ces nominations.

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