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Intervention de Éric Woerth

Réunion du 10 décembre 2009 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2009 — Après l'article 14, amendement 29

Éric Woerth, ministre du budget :

Vous n'allez pas vous languir longtemps !

Monsieur le président, je vais présenter les sous-amendements qui modifient légèrement l'amendement de la commission des finances.

Gilles Carrez a bien présenté ce sujet, que connaît aussi très bien le président de la commission des finances. À l'occasion de l'élaboration de votre rapport, vous y avez travaillé de manière approfondie depuis quasiment un an. Il s'agit d'un sujet très sensible qu'il faut donc traiter avec attention, sans se précipiter.

Dans nombre de grands pays du monde – les États-Unis, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, les Pays-Bas, l'Espagne – les services fiscaux disposent de pouvoirs judiciaires. En France, la procédure fiscale est souvent incomprise, ce qui explique la publication d'articles de presse parfois un peu surprenants. En fait, nous avons d'un côté la procédure fiscale, de l'autre la procédure pénale, judiciaire. Entre les deux, comme Gilles Carrez l'a très bien expliqué, se situe la commission des infractions fiscales, qui est composée de magistrats.

Quand, au vu des éléments en sa possession, le fisc considère qu'un cas mérite une enquête judiciaire, il passe par la CIF, sorte de cloison pas tout à fait étanche. Le fisc doit alors prouver que les faits sont suffisamment graves pour que le dossier parte vers la sphère judiciaire. Or, ne disposant que de moyens administratifs, il a souvent du mal à apporter les preuves nécessaires au déclenchement de la procédure judiciaire. Alors, on tourne en rond, ce qui est extrêmement dommageable dans un pays qui souhaite très clairement lutter contre la fraude. Je voudrais insister sur le fait qu'il ne s'agit pas de faire du zèle et de « fliquer » les gens, mais de faire respecter la loi. C'est très important.

Sur ce sujet sensible, votre amendement vise à confier des pouvoirs judiciaires à des agents des impôts. Gilles Carrez a rappelé qu'il existe un service de douane judiciaire. Lorsqu'un juge souhaite mener une enquête dans un domaine touchant à la douane, il peut saisir la police judiciaire ou la douane judiciaire. Actuellement, comme il n'existe pas d'équivalent dans les services fiscaux, le juge saisit parfois la douane judiciaire de questions fiscales, au grand dam de ces pauvres douaniers dont ce n'est pas vraiment le métier.

Nous sommes donc face à une sorte d'incompréhension et aussi d'inefficacité pour la République, alors que, à mon sens, le contrôle va de pair avec la démocratie. Plus il y a de droits, plus il y a de contrôle de ces droits. Par principe, les démocraties fonctionnent de cette manière.

Dans un pays comme la France où la sensibilité au contrôle est très développée, doter certains agents des impôts de pouvoirs judiciaires pourrait être considéré comme une mesure liberticide – les Français ont une vision des impôts qui n'est pas forcément la même que dans d'autres pays. Pour ne pas alimenter les fantasmes prompts à se réveiller en la matière, nous souhaitons que votre amendement se limite à la grande fraude. La petite fraude est parfaitement bien combattue par les moyens du contrôle fiscal existant : sur pièces, sur place dans les entreprises, vis-à-vis des particuliers.

Actuellement, les services fiscaux effectuent 50 000 contrôles par an : 45 000 contrôles d'entreprises et 5 000 examens détaillés de situation de particuliers. Tout cela fonctionne. Les contrôleurs opèrent avec professionnalisme, tout en souffrant d'une mauvaise image et en recevant beaucoup de coups, alors qu'ils sont aux postes avancés de la République française. Nous avons besoin de faire rentrer des impôts et de protéger nos ressources. Les agents du fisc sont là pour cela et nous devons saluer leur travail.

Le dispositif prévu par cet amendement doit donc se limiter à la grande fraude qui consiste à utiliser des paradis fiscaux pour mener des opérations opaques, que ce soit directement ou par le biais de trusts, de structures juridiques qui servent de masques, ou encore à fournir au fisc des documents falsifiés, fabriqués, faux. Bien au-delà de la faiblesse ou de l'oubli, il s'agit d'une fraude importante qui demande une organisation, une réflexion, une intention. Cette fraude fonctionne sur de fausses procédures et de faux documents. Elle est totalement intentionnelle, organisée, parfois avec le concours de bandes éventuellement mafieuses.

De cette manière ou en passant par des pays totalement opaques, voire les deux, le fraudeur s'entoure sciemment d'énormes zones d'ombre très noires dans lesquelles le fisc français n'arrive pas à pénétrer. À ce moment-là, il va devant la commission des infractions fiscales qui lui demande d'apporter des preuves. Comme il n'a pas les moyens de les apporter, le dossier n'aboutit pas.

Ce n'est évidemment pas acceptable. Dans une démocratie comme la nôtre, dans le monde tel qu'il est, après les réunions du G20 à Londres et Pittsburgh, nous avons besoin de lutter contre cette nature de fraude. N'est-ce pas, chère Christine Lagarde ?

C'est pourquoi nous avons déposé ces six sous-amendements – en réalité, il n'y en a qu'un, mais il a été découpé en six pour de pures raisons de présentation – à l'amendement n° 29 .

Il s'agit simplement de dire que la fraude concernée doit relever de l'utilisation directe de comptes ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un État ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France de convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale, et dont la mise en oeuvre est effective. Ce sont donc des comptes directs ou des contrats souscrits directement par des résidents dans des pays à fiscalité permissive.

Serait également visée toute fraude liée à l'interposition – donc selon des procédés indirects –, dans ces territoires, de personnes physiques ou de tout organisme, fiducie, trust ou institution faite pour créer un sas ou une structure d'opacité. Le sous-amendement n° 390 propose d'insérer, après l'alinéa 7, l'alinéa suivant : « Soit de l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de l'article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification. »

Les autres sous-amendements ont trait aux agents des services fiscaux qui disposeront de pouvoirs judiciaires. Ils travailleront sur des dossiers de fraude fiscale grave et avérée, et dans ce seul cadre. Évitons les unités temporaires qui se feraient et se déferaient au gré des circonstances : pour permettre aux agents d'effectuer un travail sérieux et approfondi, le sous-amendement n° 391 prévoit de les placer au sein du ministère de l'intérieur, et plus précisément au sein de l'office central spécialisé de la police judiciaire.

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