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Intervention de Christian Estrosi

Réunion du 1er décembre 2009 à 17h00
Commission des affaires économiques

Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie :

Je me présente aujourd'hui devant vous avec un texte sensiblement modifié lors des soixante-dix heures de son examen au Sénat, du 2 au 9 novembre dernier.

J'insisterai tout d'abord sur l'esprit et sur les raisons d'être de ce projet.

La Poste est aujourd'hui confrontée à deux défis majeurs, que nul ne peut ignorer. Le premier est celui de l'ouverture à la concurrence au 1erjanvier 2011 : dans un an tout juste, La Poste sera concurrencée non seulement par les grands opérateurs européens de courrier comme la Deutsche Post ou la TNT néerlandaise, mais aussi par les petits opérateurs alternatifs de courrier, réunis au sein d'une fédération.

Or, on a bien vu, par exemple en Suède où le marché a été libéralisé dès 1993, ce que pouvait donner une ouverture à la concurrence mal maîtrisée.

Le second défi tient à la montée en puissance d'internet : les volumes de courrier de La Poste ont déjà diminué de 10 % depuis deux ans et, dans quelques années, la baisse pourrait atteindre 30 ou 50 % ! C'est un choc rapide et violent, qui en plus, et c'est là le plus inquiétant, concerne le « réacteur » de La Poste, son métier « courrier », celui qui a alimenté sa croissance depuis des années !

Dans ce cadre, le Gouvernement ne pouvait pas rester inactif et attendre de voir comment La Poste résisterait toute seule – si elle résistait – à ces évolutions. Nous nous sommes donc dit qu'il fallait lui donner sa chance.

Et d'abord lui donner sa chance de faire face à ces évolutions majeures que sont la disparition totale du monopole et l'essor du courrier électronique. C'est d'ailleurs la raison qui a poussé le président de La Poste, Jean-Paul Bailly, à présenter au Gouvernement, dès l'été 2008, un projet d'évolution de l'entreprise destiné à anticiper et à adapter celle-ci pour qu'elle continue à être un opérateur de référence.

Lui donner ensuite sa chance de montrer qu'un modèle postal 100 % public, au service de tous, présent sur l'ensemble du territoire, et en même temps rentable, cela fonctionne ! Beaucoup ont agité le spectre de la privatisation, mais tous ceux qui ont pris le temps de lire le texte admettront que rien ne permet désormais d'en parler, à moins de nous faire un mauvais procès d'intention.

Lui donner enfin sa chance de continuer ce qu'elle fait aujourd'hui et en le faisant même encore mieux. Les 2,7 milliards d'euros annoncés ne sont pas un chèque en blanc : il faudra que La Poste améliore le service rendu et rende des comptes. Certains laissent entendre que l'entreprise utiliserait cette somme uniquement pour se désendetter, c'est faux, même si je suis le premier à reconnaître que sa dette est élevée – près de 6 milliards d'euros. Ces 2,7 milliards serviront bien serviront à financer la croissance de La Poste dans l'ensemble de ses métiers.

Ainsi, pour le métier courrier, il conviendra en particulier de développer le courrier électronique, en utilisant la compétence et le capital de confiance de La Poste en matière de courrier classique.

Pour le métier colis, il lui faudra continuer à développer le réseau d'envoi de colis dans l'ensemble de l'Europe et devenir une grande entreprise de logistique.

Dans le domaine bancaire, il importera de donner à La Banque Postale les moyens de son développement, pour que, parallèlement à sa mission essentielle d'accessibilité bancaire, elle continue à devenir une banque « comme les autres ».

Enfin, il faudra permettre une rénovation et une modernisation régulière des bureaux de poste.

Mais avant de donner ces moyens financiers à La Poste, il faut passer par la case « changement de statut ».

Vous le savez, l'augmentation de capital n'est pas possible pour un établissement public. Il est donc préalablement nécessaire de transformer La Poste en société anonyme, avant que celle-ci ne réalise une augmentation de capital à laquelle souscriront l'État et la Caisse des dépôts et consignations.

Le projet du Gouvernement est donc équilibré, il vise à donner à La Poste les moyens financiers d'affronter un nouvel environnement beaucoup plus concurrentiel, sans rien toucher à ce qui fait sa force ou son identité.

Cet équilibre a été encore renforcé par la Haute assemblée, qui a procédé à six modifications essentielles du texte du Gouvernement.

Avec la première, il est désormais expressément prévu que le capital de La Poste sera uniquement détenu « par l'État et par des personnes morales de droit public ». À l'exception des salariés qui pourront être actionnaires, il n'y aura pas un seul euro de capitaux privés à La Poste ! Le texte est ainsi aussi clair que l'intention du Gouvernement. D'ailleurs quel État mettrait 2,7 milliards d'euros dans une entreprise pour la privatiser ?

Deuxième modification, La Poste est expressément qualifiée de « service public à caractère national » ce qui, en application du Préambule de la Constitution de 1946, la rend « imprivatisable » puisque tout bien qui a ou acquiert les caractères d'un service public à caractère national doit rester la propriété de la collectivité. Certes, ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire, mais cela serait d'autant plus difficile que le texte comporte cette référence au Préambule de 1946 et qu'il précise quelles sont les quatre missions de service public de l'entreprise. Pour la privatiser, il faudrait donc supprimer ces missions, et ce n'est certes pas la majorité qui les inscrit aujourd'hui dans la loi qui le fera ! Je souhaite d'ailleurs bon courage à ceux qui, pour privatiser La Poste, devraient au préalable supprimer la mission de distribution du courrier six jours sur sept, la mission d'aménagement du territoire, la mission d'accessibilité bancaire et le Livret A, ou encore la mission de transport de la presse à des conditions préférentielles.

Les sénateurs ont par ailleurs décidé de garantir par la loi les 17 000 points de contact. Je sais que certains disent qu'on parle de points de contact et pas de bureaux de poste et pensent que cela n'empêchera pas La Poste de fermer certains bureaux et d'en ouvrir d'autres ailleurs. Mais, outre que je pense qu'il faut laisser une certaine souplesse au réseau, il me semble que la garantie sera plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui dès lors qu'elle sera inscrite dans la loi.

La quatrième modification, qui garantit le financement pérenne de la mission d'aménagement du territoire, sur la base d'une évaluation préalable de son coût de la mission a été adoptée par pas moins de 315 sénateurs, de gauche comme de droite, qui ont parfaitement compris qu'il fallait éviter que Bruxelles ne nous condamne à rembourser.

Bien des estimations circulant à propos de la suppression de la taxe professionnelle, il nous a paru judicieux que l'État s'engage à apporter chaque année à l'entreprise le montant qui aura été préalablement mis en évidence par l'audit. Cela garantira en particulier que le coût ne sera pas excessif pour le contribuable.

Nous avons par ailleurs accédé à la demande des syndicats que les salariés actuels de La Poste puissent continuer à rester affiliés à leur régime de retraite complémentaire actuel, qui est celui de l'IRCANTEC. Cela évitera que les salariés actuels de La Poste ne soient « lésés » et cela montre que, bien qu'ayant désormais le statut de société anonyme, l'entreprise restera totalement publique.

Les fonctionnaires de La Poste bénéficieront d'ailleurs d'un nouveau droit, celui de bénéficier d'une complémentaire santé payée par leur employeur. Cette mesure, qui répond à une revendication ancienne des salariés, représentera une charge de 50 millions d'euros pour La Poste, qui va payer à ses fonctionnaires leur prévoyance santé ! C'est pour eux une véritable avancée.

Le travail au Sénat a donc été riche et nourri et il a permis d'améliorer le texte du Gouvernement. Pour autant, je suis persuadé que nous pouvons aller encore plus loin ensemble. Maintenant qu'il a été très clairement indiqué que le caractère public de La Poste ne serait pas remis en cause, le moment me semble venu de préciser ce que le législateur est en droit d'attendre de l'entreprise, en particulier pour un meilleur service rendu aux usagers, en contrepartie des 2,7 milliards de capitaux public qui lui seront apportés. Je juge en effet très important que l'entreprise prenne un certain nombre d'engagements qui auront une traduction concrète pour les usagers.

Le premier devrait porter sur les horaires d'ouverture des bureaux. À chaque fois que je me déplace, j'entends des gens se plaindre de ces horaires. À la campagne, ils déplorent que les bureaux ne soient pas ouverts à temps complet et soient parfois fermés deux, voire trois jours d'affilée. Dans les grandes villes, ils regrettent que les bureaux ne soient pas ouverts le samedi après-midi ou le soir, lorsqu'ils rentrent du travail. L'objectif n'est évidemment pas de demander à La Poste d'ouvrir tous ses bureaux, tout le temps, tous les jours, ni de lui imposer tellement de contraintes qu'elle ne pourrait plus réduire ses horaires lorsque ce serait vraiment nécessaire. L'idée est de trouver des dispositifs souples, garantissant que les horaires d'ouverture des bureaux et des points de contact correspondent aux attentes et aux besoins des Français.

Le Gouvernement examinera avec la plus grande attention les amendements qui garantiraient que les Français en ont « pour leur argent » avec les horaires d'ouverture.

Le deuxième engagement devrait porter sur la qualité du service rendu aux usagers. La Poste déploie toute une série de mesures pour améliorer ce dernier. Ainsi, le plan « contre toute attente » vise à réduire à moins de cinq minutes d'ici à 2012 le temps moyen d'attente. La Poste rénove également les files d'attente dans les bureaux, en séparant les opérations (opérations bancaires, retrait de colis, dépôt de recommandé) afin de faire gagner du temps.

Mais on n'en fera jamais assez en faveur de la qualité du service rendu aux usagers et le Gouvernement examinera également de façon favorable toutes les propositions pragmatiques et réalistes en ce sens.

Sans doute y a-t-il d'autres exemples, et tout ce qui permettra que les 2,7 milliards d'euros améliorent effectivement le service rendu sera pris en compte.

C'est dans cet esprit que j'aborde le débat qui devrait commencer le 15 décembre en séance publique à l'Assemblée nationale. Je crois sincèrement qu'à l'issue d'une longue discussion qui a permis à chacun des groupes de s'exprimer, toutes les garanties ont été données au Sénat quant au caractère intégralement public de La Poste, au maintien de ses missions, aux droits et au statut de ses agents.

Il est de notre responsabilité de montrer aux Français que l'investissement de 2,7 milliards servira concrètement à faire bouger les choses. C'est à vous qu'il appartient de proposer les dispositions qui permettront de le garantir dans la loi.

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