Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Paul Bailly

Réunion du 25 novembre 2009 à 10h00
Commission des affaires économiques

Jean-Paul Bailly, président de la Poste :

Je me suis toujours soucié de l'avenir, de la modernisation et du développement des entreprises publiques, où j'ai fait toute ma carrière. Ce que j'ai proposé pour La Poste a pour seul objectif de mieux assurer son avenir et son développement dans son nouvel environnement.

Le projet de loi comprend deux titres, le premier portant sur le changement de statut de La Poste et les garanties des missions de service public, et le deuxième transposant la directive européenne de 2008 relative au service universel du courrier.

Au cours de ces dernières années, La Poste s'est déjà beaucoup transformée. Elle s'est entièrement réorganisée par métiers. Elle a engagé la modernisation de son outil logistique du courrier, permettant d'en accroître l'efficacité et la qualité et d'introduire, grâce aux nouvelles technologies, de nouveaux services. Elle a fait évoluer son réseau en le modernisant, en développant la mutualisation, notamment dans le cadre des agences postales communales (APC), et en modernisant ses systèmes d'information – domaine dans lequel il reste encore beaucoup à faire. Elle a créé la Banque postale, qui est un vrai succès, approche les 10 millions de clients actifs, proposera en 2010 la gamme complète des services aux particuliers d'une banque de détail et, notamment en cette période de crise, apparaît comme une banque de confiance en situation de gagner des parts de marché. Enfin, elle a déployé dans le colis et l'express le deuxième (ou deuxième ex aequo) réseau européen, dont la qualité est reconnue et dont il faut encore consolider les positions.

Grâce à ces efforts, le modèle postal s'est inversé. Jusqu'au tout début des années 2000, toutes les ressources provenaient du monopole du courrier, dont les résultats étaient consommés par les déficits de l'activité Colis-Express et des services financiers. Aujourd'hui au contraire, les colis et l'express ainsi que la Banque postale contribuent davantage aux résultats de La Poste tandis que, du fait de la crise mais surtout du développement des mutations électroniques et de la dématérialisation, la contribution du courrier va en diminuant.

Ces extraordinaires mutations ne se sont pas réalisées sans obstacles. Nous avons été très critiqués lorsqu'il s'est agi de développer l'activité colis en Europe, ou encore de développer la Banque postale. Pourtant, si ces décisions n'avaient pas été prises, La Poste serait aujourd'hui dans une situation très difficile.

Grâce à ces évolutions, elle est en assez bonne santé pour affronter son nouvel environnement, fait de menaces et d'opportunités et caractérisé à la fois par l'accélération du développement d'Internet et de la dématérialisation, par l'ouverture des marchés, par les enjeux environnementaux, et aussi par la crise.

Les menaces sont claires : diminution des volumes du courrier, perte de parts de marché en France, et donc diminution du chiffre d'affaires, des résultats et de la capacité d'autofinancement. Les conclusions du rapport Ailleret s'imposent encore davantage avec la crise : nous avons autant, si ce n'est plus, besoin d'investir et d'innover, mais nos capacités d'autofinancement étant en réduction, le besoin de capitaux nouveaux est plus évident encore.

Quant aux opportunités, elles existent – à condition d'avoir les ressources pour investir et innover. Ainsi, les entreprises non seulement dématérialisent, mais externalisent leur fonction « courrier ». Une formidable occasion se présente donc de leur offrir, ainsi qu'à l'ensemble des acteurs économiques, une prestation globale intégrant la totalité de cette fonction. Nous travaillons aussi, comme quelques autres postes dans le monde, au développement d'un courrier personnel électronique personnalisé et sécurisé. Enfin, nous souhaitons diversifier les services rendus par le facteur, agent de confiance et de proximité – qui peut apporter autre chose que le courrier, et qui peut aussi remporter : une première expérimentation de « logistique inversée » est en préparation en Ile-de-France, en faisant participer les facteurs aux circuits de recyclage ; la Poste doit en effet se montrer exemplaire en matière d'environnement et se positionner sur ces nouvelles activités.

Plus que jamais, La Poste a besoin d'investir, d'innover pour se moderniser et développer de nouveaux services. Plus que jamais, donc, elle a besoin de capitaux et des 2,7 milliards d'euros évoqués par la commission Ailleret. Dans le secteur du courrier, il faut finaliser le grand projet de modernisation de la logistique, offrir une prestation globale aux acteurs, développer le courrier électronique, diversifier les services du facteur et, avec l'ouverture du marché, guetter d'éventuelles opportunités européennes. Dans le secteur du colis, il faut conforter le réseau européen, développer notre positionnement dans le B to C (Business to Consumer, de l'entreprise au particulier). Cela suppose une réinvention complète des systèmes d'information et du développement des produits sur Internet. En ce qui concerne la Banque postale, il faut finaliser la gamme complète de services aux particuliers, éventuellement élargir à d'autres secteurs et, sans doute, en fonction du développement des crédits, adapter les fonds propres. Concernant le réseau, il faut mener une politique ambitieuse en matière d'accueil, de résolution des problèmes de file d'attente, de modernisation de tous les bureaux avant 2015, poursuivre la politique de partenariat et développer les systèmes d'information. Enfin, dans chacun des métiers, nous devrons investir massivement dans le « multicanal ».

L'avenir de La Poste est en jeu, mais aussi son unité. L'unité du groupe est vitale. D'une part, les difficultés temporaires d'une activité peuvent être compensées par la bonne santé des autres. D'autre part, l'avenir des bureaux de poste, où s'opère la synergie de tous les métiers, est lié à cette unité ; nos concitoyens attendent un service global. Dès lors, l'augmentation de capital doit impérativement se faire au niveau de la tête du groupe, seule susceptible d'assurer la cohésion et le développement équilibré du groupe.

Où trouver les financements dont La Poste a besoin ? Nous ne pouvons pas nous endetter davantage, nos ratios d'endettement étant déjà problématiques. Nous ne pouvons pas non plus, dès lors que nous tenons à l'unité du groupe, ouvrir le capital des filiales. La Poste – qui, depuis l'origine, est sous-capitalisée – a donc impérativement besoin d'être recapitalisée.

Comme l'État ne peut pas apporter seul 2,7 milliards sans que cette somme soit immédiatement requalifiée en aide d'État, il est nécessaire d'évoluer vers le statut de société anonyme, avec deux investisseurs publics avisés. L'intervention de la Caisse des dépôts impose la solution de la société par actions, permettant à la CDC de démontrer, notamment à Bruxelles, qu'elle se comporte en investisseur avisé en prenant une partie du capital. Les autres pistes – sociétés publiques telles que les SPLA (sociétés publiques locales d'aménagement) ou participations des collectivités territoriales – ont été étudiées et ne sont pas envisageables. En outre, dans la phase de recomposition européenne qui va sans doute s'ouvrir, le fait d'avoir un statut identique à celui de toutes les autres postes ne peut que faciliter les choses.

Permettez-moi d'évoquer le cas de la poste américaine. Agence publique à 100 %, elle a le monopole public de la distribution. La contrepartie de ce monopole est qu'elle n'a pas eu le droit de se diversifier – pas de banque, pas d'express –, qu'elle n'a pas eu le droit d'avoir un développement international et qu'elle n'a pas de dynamique d'entreprise – les bénéfices ou les pertes étant compensés au niveau étatique ou tarifaire. Le résultat est que la poste américaine aura perdu environ 10 milliards de dollars en 2008 et 2009.

En conclusion de cette première partie, je voudrais redire ma conviction que La Poste n'a d'avenir que si elle est capable d'innover, d'investir, de se moderniser, de se développer en améliorant ses services. Elle n'a d'avenir que si elle devient leader européen dans les services de proximité du courrier, du colis et de l'express, et une banque de détail à part entière, fondée sur la confiance, l'accès à tous, la modestie de ses tarifs et le sérieux de sa gestion. Elle a donc impérativement besoin d'un apport de capital significatif, grâce à sa transformation en société anonyme.

J'en viens au projet de loi issu des travaux du Sénat.

Dans le contexte que je viens de rappeler, des inquiétudes étaient nées quant au caractère public de l'entreprise, à la pérennité et au financement des missions de service public, aux droits des salariés et aux problèmes de régulation.

Le passage au Sénat a confirmé les grands axes et l'équilibre du projet. On trouve dans le titre IER la transformation en SA, l'affirmation de la propriété 100 % publique, l'affirmation des missions de service public et la garantie des droits des fonctionnaires et des salariés. Le titre II confirme l'ouverture totale à la concurrence au 1erjanvier 2011, attribue la mission du service universel postal à La Poste pour quinze ans, et donne des précisions sur la régulation.

Cette attribution par la loi d'un service universel donne à La Poste un caractère de service public national. Ce n'est pas le cas de GDF, qui n'a pas d'obligation nationale de desserte tous les Français. Ce n'était pas non plus le cas de France Télécom, auquel le service universel a été attribué par appel d'offres. C'est donc une spécificité de La Poste. Le Préambule de la Constitution rappelle d'ailleurs que toute entreprise ayant le caractère d'un service public national doit devenir la propriété de la collectivité.

La discussion au Sénat a permis des avancées sur plusieurs points.

Elles concernent tout d'abord la mission d'aménagement du territoire. Le texte du Sénat garantit l'existence de 17 000 points de contact sur le territoire. Il prévoit un mécanisme de financement de la présence postale territoriale, en permettant de s'assurer, dans le cadre d'une procédure de calcul clarifiée, qu'il n'y a pas de surcompensation.

Nous sommes bien entendu très attachés à la présence postale territoriale. Nous avons une lecture très positive de la loi de 2005 et de sa mise en oeuvre, qu'il s'agisse des normes, du rôle des CDPPT (commissions départementales de présence postale territoriale), du fonds de péréquation, des procédures de concertation ou du contrat tripartite. Celui-ci, conclu entre l'État, l'Association des maires de France et La Poste, est un excellent moyen d'apporter des précisions hors du cadre rigide de la loi.

Les agences postales communales (APC) et les relais poste, qui avaient pu susciter quelques craintes, se développent et sont désormais très appréciés. Le changement de statut est neutre à leur égard ; il leur apporte la même sécurité juridique. J'ai d'ailleurs écrit aux maires qui ont des APC que nous sommes prêts à les conforter aussi bien par de nouveaux services que sur la durée – de neuf à quinze ans, pour s'aligner sur la durée du service universel. J'ai la conviction profonde que la mutualisation des services publics n'est pas un pis-aller, mais une solution d'avenir, en particulier dans les milieux ruraux. Elle n'est pas toujours simple à organiser, et il serait très utile d'oeuvrer à la faciliter.

Si les transformations de bureaux de poste se passent bien, en revanche j'entends des critiques au sujet des adaptations d'horaires. J'ai donc écrit aux présidents des CDPPT pour leur proposer une garantie globale, par département, du volume d'heures d'ouverture des bureaux de poste ruraux conservés dans ce mode de gestion, et par ailleurs, grâce aux économies réalisées par les transformations à venir, l'alimentation de la part 3 du fonds de péréquation, destinée aujourd'hui à la modernisation des bureaux de poste et qui pourrait être utilisée demain pour améliorer qualitativement et quantitativement les offres de services. La dynamique des transformations, qu'il faut poursuivre, ne doit pas paraître se faire sous la menace d'une réduction des horaires, mais être perçue comme le moyen de dégager une ressource qui permettra d'améliorer le service postal dans le département.

Le Sénat a par ailleurs, et je m'en réjouis, renforcé les garanties apportées au personnel : maintien, pour les salariés en fonction à La Poste, du régime de retraite complémentaire IRCANTEC ; reconnaissance du droit des fonctionnaires de La Poste à bénéficier d'un régime collectif obligatoire de protection sociale complémentaire.

Le texte du Sénat maintient une régulation postale centrée sur le service public. Il précise que la régulation s'applique bien, et uniquement, aux produits du service universel. Il prévoit d'autre part que le calcul de la contribution du fonds de compensation se fera en fonction du nombre d'objets et non du chiffre d'affaires, ce qui est un facteur d'équité entre les différents acteurs postaux.

Il reste, pour La Poste, quelques sujets d'attention.

Tout d'abord, la garantie d'un accès à Internet en haut débit dans chaque bureau de poste paraît une excellente idée dans son principe. Cependant l'expérience que nous avons faite entre 2001 et 2005 en installant 3 000 bornes Cyberposte dans les bureaux de poste et qui s'est soldée par un échec, pour cause de dégradation et de non-utilisation.

En ce qui concerne les dispositions à caractère social, nous souhaiterions plusieurs évolutions.

S'agissant des actions en faveur des handicapés, on nous demande de passer d'un seul coup du régime public FIPHP (Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique) au système privé de l'AGEFIPH, dont les règles sont différentes. Ainsi, il ne serait plus possible de prendre en compte le personnel inapte reclassé. Or La Poste a une politique très active de reclassement des personnes inaptes, mais non reconnues comme handicapées par les COTOREP. Nous souhaitons donc disposer d'un peu de temps pour nous adapter. Un délai de trois ans, par exemple, permettrait que les fonctionnaires inaptes puissent solliciter le statut d'handicapés, afin d'entrer dans la base prise en compte par l'AGEFIPH.

Un autre problème concerne la reconstitution de carrière des fonctionnaires dits reclassés, à savoir ceux qui, en 1990, ont refusé de rejoindre les nouveaux corps de fonctionnaires de La Poste et ont conservé leur ancien statut. Pour l'avenir, un décret, actuellement soumis au Conseil d'État, leur permettra de bénéficier de promotion dans leurs corps, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Pour le passé, la reconstitution de carrière prévue par le Sénat a trois inconvénients : ce serait une opération est très longue et complexe ; elle risquerait de provoquer une inégalité de traitement, favorable à ceux qui avaient refusé l'évolution ; il en résulterait un surcroît de dépenses considérable – non seulement pour La Poste, sans doute à hauteur d'une centaine de millions d'euros, mais aussi et surtout pour l'État, à travers l'effet sur les retraites.

En troisième lieu, nous souhaiterions voir introduire une disposition relative à la convention collective. Ce point tient aussi beaucoup à coeur aux organisations syndicales. Il en était déjà question à l'article 26 de la loi de 2005 ; l'objectif était d'éviter un dumping social. Mais les nouveaux entrants n'ayant pas comme activité principale l'activité postale, la convention collective ne s'appliquerait en fait qu'à La Poste. La loi est donc inopérante. Après discussion avec les organisations syndicales, nous serions prêts à accepter une dérogation au droit commun pour faire dépendre l'application de la convention non de l'activité principale de l'entreprise, mais de l'activité du salarié.

Enfin, je voudrais souligner deux points concernant la régulation.

L'article 2 ter adopté par le Sénat charge l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) d'évaluer chaque année le coût de la présence postale territoriale, après avis de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques (CSSPPCE). Nous suggérons qu'elle le fasse selon une méthode de calcul fixée par le législateur. De même, l'annexe III de la directive et la loi de 2005 avaient prévu une méthode pour le calcul du coût du service universel. Nous préconisons également de préciser dans la loi que l'ARCEP évalue le coût réellement supporté par La Poste – car les régulateurs font souvent des calculs sur des réseaux optimisés et théoriques.

D'autre part, nous souhaiterions que l'ARCEP ne puisse s'opposer à une hausse de tarif que si La Poste fait preuve d'une méconnaissance manifeste d'un principe de service public ou de la régulation.

Pour terminer, pardonnez-moi d'appeler votre attention sur le fait que l'article 6, tel qu'il a été adopté par le Sénat, empêche le président de La Poste, et seulement lui, de détenir une responsabilité quelconque dans une autre entreprise. S'il reste en l'état, je ne pourrai pas siéger au conseil d'administration ou au conseil de surveillance de la Banque postale, de la CNP, de GéoPost, ou à celui d'autres entreprises publiques comme GDF SUEZ, voire d'entreprises privées, où l'on peut pourtant à la fois apporter son expérience et apprendre beaucoup.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion