En tant que ministre, je n'ai pas à commenter le fait que la Turquie frappe à la porte de l'Union européenne, car cette question relève de la souveraineté des États concernés. En tant que citoyen, je souhaite toutefois que la Turquie ait les relations les plus étroites possibles avec l'Union européenne. De fait, la Géorgie et la Turquie sont des alliés stratégiques et il est clair que, si la demande de la Turquie aboutissait, la Géorgie, l'Arménie et l'Azerbaïdjan deviendraient des voisins immédiats de l'Union européenne.
Le conflit avec la Russie n'était pas ethnique et la Russie avait – et a encore – de nombreux motifs pour envahir la Géorgie. Le premier de ces motifs est que, dans la pensée stratégique russe, la Géorgie est absolument cruciale pour la sécurité de la Russie dans le Caucase. Avec la guerre civile dans le nord du Caucase et la crainte qu'a la Russie d'une extension de l'OTAN, le contrôle de la Géorgie est un moyen de disposer d'un bouchon ou d'un goulot d'étranglement sur la voie, non seulement du Caucase, mais aussi de l'Asie centrale.
Le deuxième motif tient également à notre situation géographique. L'objectif déclaré de la politique étrangère russe est de créer un empire énergétique, en contrôlant les flux du nord et du sud, et l'ensemble des oléoducs en direction de l'Ukraine et de la Biélorussie. La Géorgie est le seul endroit où l'on puisse faire passer d'une manière viable, efficace et économique les voies alternatives de l'approvisionnement de l'Europe en énergie – je ne pense ici à aucun projet en particulier : il peut s'agir de Nabucco, de White Stream, de gaz condensé ou liquéfié partant des ports géorgiens de la mer Noire en direction de la Bulgarie ou de la Roumanie. Or, une telle solution alternative va contre les intérêts de la Russie et le Kremlin n'en veut pas.
La troisième raison est que, pour la classe politique ou les politologues russes, la démocratie telle qu'on l'entend en Occident appartient à l'Occident et n'est pas faite pour la société particulière de cette partie du monde. Ce que nous réalisons en Géorgie, en particulier en nous débarrassant de la corruption, est un très mauvais exemple pour les autres pays de la CEI, démontrant en quelque sorte que la démocratie est universelle, qu'elle fonctionne partout et qu'il dépend de la volonté de la classe politique de faire parvenir à maturité une société démocratique. Nous sommes loin d'être parfaits, mais nous ouvrons une brèche.
Une autre raison importante est que la Russie pense en quelque sorte que, si la Géorgie et l'Ukraine, par exemple, jouissent d'une pleine souveraineté, ces pays finiront par intégrer les organisations occidentales – l'OTAN d'abord, qui est directement étiquetée comme un ennemi, puis l'Union européenne. La Russie a autant peur de la « puissance douce » de l'Union européenne que de la « puissance dure » de l'OTAN. C'est la raison pour laquelle elle est absolument opposée au partenariat oriental.
La dernière raison, qui tient encore à notre situation géographique, est que, pour atteindre l'Azerbaïdjan sous l'angle favorable, il faut d'abord bloquer la Géorgie : l'Azerbaïdjan, tout comme l'Arménie, est alors privé de tout accès au reste du monde. Il y a des centaines de motifs d'envahir la Géorgie mais je viens de vous indiquer les cinq principaux.
Je ne suis pas en situation de demander quoi que ce soit à la France, car c'est grâce au leadership de la France que la mission de contrôle de l'Union européenne a été déployée très rapidement et que la conférence de Bruxelles réunissant les bailleurs de fonds a été organisée et a été un succès. Je puis vous assurer que, sans l'aide financière de 4,5 milliards de dollars qui a été prévue à cette conférence, nous ne serions pas aussi en sécurité ni aussi prospères que nous le sommes aujourd'hui. Nous serons donc éternellement reconnaissants pour cette assistance.
Deux choses sont très importantes pour nous. La première est de maintenir la position de non-reconnaissance, car nous ne défendons pas seulement la Géorgie, mais aussi le droit international. En second lieu, je vous prie de ne pas laisser les problèmes importants de la Géorgie reculer sur la liste de vos priorités, car les Russes sont très attentifs à ce point et, dès lors que l'on commencerait à s'interroger sur l'importance de la situation de la Géorgie, ils pourraient penser qu'il est temps de « terminer le travail ».