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Intervention de Marcel Rogemont

Réunion du 13 novembre 2008 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2009 — État b, amendement 365

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarcel Rogemont, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Pierre Méhaignerie nous a exhortés lors de la discussion en commission, compte tenu de la situation difficile que nous connaissons sur le plan budgétaire, à faire des choix. Puissions-nous l'entendre, et le fait que ce soit moi qui relaie son propos lui donne une résonance particulière… (Sourires.)

Nous pourrions en particulier remettre en cause le projet de construction d'une salle pour la Philharmonie de Paris afin de le reporter à une période plus heureuse, et consacrer plutôt les crédits au spectacle vivant. Trois raisons principales militent en faveur de l'adoption de mon amendement.

La première de ces raisons est qu'une fois de plus, alors que le Président de République demandait, dans sa lettre de mission à Mme la ministre de la culture, de rééquilibrer l'action du ministère en faveur des régions, on envisage à nouveau un investissement lourd à Paris. Est-ce vraiment l'urgence du moment ?

La deuxième raison est le coût du projet – 203 millions d'euros – qui, même partagé par moitié entre la ville et le ministère, pèse et pèsera lourdement sur le budget, et ce d'autant plus qu'au coût de l'investissement s'ajoutera demain celui du fonctionnement. Et au détriment de quels crédits ? De ceux de la création, du spectacle vivant.

La troisième raison tient à ce que ce projet fait double emploi avec la récente restauration de la salle Pleyel. Que deviendra cette dernière ? Une salle des fêtes comme on n'en construit même plus en province ? Un local mis à disposition des clubs du troisième âge afin de leur permettre d'organiser leurs soirées loto ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mes chers collègues, n'oubliez pas que le budget qui nous est présenté se traduira déjà non seulement par la diminution du nombre des compagnies subventionnées – celles-là mêmes qui contribuent à la démocratisation culturelle par la présence du spectacle vivant sur l'ensemble du territoire –, mais encore par celle de la subvention moyenne par compagnie. Faut-il encore aggraver cette situation, en privilégiant la Philharmonie de Paris par rapport aux compagnies qui font vivre les territoires ?

N'oublions pas non plus que les crédits qui nous sont soumis ce matin enregistrent une progression qui ne tient même pas compte de l'inflation – une « croissance négative », comme dirait M. Woerth. Or, les coûts du spectacle vivant – théâtre, opéra, danse, cirque, arts de la rue –, sont, à plus de 80 %, des dépenses de personnel. C'est donc la création qui sera touchée en premier lieu. Est-ce votre choix, est-ce notre choix ?

Faudra-t-il, lorsque la Philharmonie sera en fonctionnement, réduire encore les subventions des compagnies pour financer cet investissement coûteux ? À en juger par la programmation pluriannuelle, les perspectives restent sombres pour la culture : moins 2,22 % pour 2010, moins 1,05 % pour 2011. L'appel à développer les recettes propres va à l'encontre de la démocratisation culturelle, car cela aboutira naturellement à des hausses de tarif, à la privatisation des espaces culturels, en un mot : à faire obstacle à l'accès du plus grand nombre à la culture.

Mme Marland-Militello, dans son excellent rapport, a souligné la baisse énorme – de l'ordre de 30 à 40 % – des crédits consacrés aux enseignements artistiques par le ministère de l'éducation nationale. Dans ce contexte, est-ce bien le moment de financer la Philharmonie de Paris ? Je vous demande, en ma qualité de rapporteur pour avis, de reporter – je dis bien reporter, et non annuler – sa construction et d'affecter les sommes prévues au spectacle vivant.

Je suis cependant prêt à accepter, si certains le souhaitent, qu'une moitié des sommes ainsi dégagées viennent au secours du patrimoine. En effet, je n'oublie pas que le programme « Patrimoine » est exsangue et que, l'an passé, dix régions sur vingt-deux n'ont pu engager de nouveaux chantiers sur les monuments historiques, faute de crédits : ceux-ci n'ont atteignent que 235 millions d'euros, au lieu des 400 millions annuels que le Président de la République a appelés de ses voeux.

Dans la Électre de Sophocle, Chrysothémis dit à sa soeur Électre : « En cas de tempête, il faut plier les voiles et ne pas révéler un esprit résistant si l'on est impuissant. » (Sourires.) Or, la puissance de Bercy fait ressortir davantage notre propre impuissance. Face à la crise qui nous étreint au point de voir le budget pour la culture financé par 35 millions d'euros de recettes non pérennes, gardons nos forces pour préserver ce qui existe en reportant ce projet à des jours meilleurs. Mes chers collègues, j'en appelle à votre sagesse. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

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