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Intervention de Didier Mathus

Réunion du 4 novembre 2009 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Mathus :

Je ne vais pas développer in extenso le rapport mais vous donner quelques éléments d'appréciation. Je serai donc bref pour vous laisser le temps du débat. Tout d'abord, je souhaiterai rappeler que le budget que nous examinons aujourd'hui est l'aboutissement d'un processus de deux ans, compliqué par le rapport Benhamou qui avait repris cette idée, qui existait déjà depuis longtemps, de regrouper les forces qui contribuent au rayonnement de la France en matière d'audiovisuel hors de nos frontières. Ce rapport avait suscité des espérances mais également des déconvenues, comme ce fut le cas avec les partenaires francophones suisses, belges, canadiens et québécois de TV5 Monde qui ont manifesté de vives réactions suite à la tentative d'annexion de cette chaîne dans le paysage audiovisuel extérieur français qui se dessinait. J'avais eu l'occasion de vous en parler l'an dernier. Cela a eu pour conséquence l'échec de la nomination de Christine Ockrent à la tête de TV5 Monde. L'idée du pôle Audiovisuel extérieur a continué à être développée plus encore dans la loi de mars 2009 qui a mis en forme l'architecture de ce secteur, avec la holding AEF et les filiales RFI et France 24 directement liées à la holding, TV5 Monde étant dans une situation différente du fait des partenaires.

Concernant le budget que nous examinons aujourd'hui, je souhaite faire plusieurs observations. La première concerne l'architecture un peu compliquée de la holding Audiovisuel Extérieur de la France (AEF) qui a été mise en place. On y trouve d'une part RFI qui est filiale à 100 % du simple fait de la loi, France 24 qui a nécessité, pour une prise de contrôle à 100 %, le rachat pour un montant de 4 millions d'euros des parts détenues par TF1 et France Télévisions et enfin TV5 Monde, qui est désormais détenue à 49 % par l'AEF après rachat d'une partie des parts détenues par France Télévisions, l'INA et ARTE, dont la participation a été ramenée à 17,61 %, les partenaires francophones conservant une participation à hauteur de 33,33 %. La holding AEF est en capacité de diriger intégralement France 24 et RFI mais la gouvernance répond à d'autres règles, spécifiques, pour TV5 Monde. Le pilotage a été confié à Christine Ockrent et Alain de Pouzilhac. Là aussi, on retrouve une complexité de l'architecture puisque ce dernier est PDG d'AEF, RFI et Président de France 24 et de TV5 Monde. Quant à Mme Ockrent, elle est directrice générale déléguée d'AEF, directrice générale de France 24, directrice générale déléguée de RFI et elle siège au conseil d'administration de TV5 Monde puisque sa candidature avait été écartée par nos partenaires. Les dirigeants opérationnels sont, d'une part Geneviève Goëtzinger pour RFI et Marie-Christine Saragosse pour TV5 Monde. Le sentiment que j'ai après les auditions que j'ai effectuées, c'est que les dirigeants opérationnels sont peu informés des décisions stratégiques qui peuvent être prises par l'AEF ou qui sont en cours de discussion. Il en est ressorti un manque d'information sur le pilotage stratégique, manque d'information et de transparence autour de questions aussi importantes que celles des langues ou des pays cibles, etc. Pour le moment, le constat s'impose que le pouvoir et la décision sont peu partagés. Cela est aggravé par le fait que, du côté du pilotage de l'Etat, un flou demeure qui suscite des interrogations. Le ministère des affaires étrangères et européennes (MAEE) s'est peu à peu effacé de ce pilotage. La Direction du développement des Médias (DDM), qui dépend du Premier ministre, est en première ligne, avec le cabinet du Premier ministre. L'interministériel semble fonctionner mais on ne sait pas qui décide quoi et je déplore surtout qu'il n'y ait aucune coordination avec les grandes politiques de rayonnement culturel du MAEE sur l'enseignement du français, l'action extérieure par exemple, alors qu'on pourrait imaginer une coopération et un travail étroit avec la stratégie de l'AEF. Or ce n'est pas du tout le cas et les stratégies sont totalement indépendantes. Tout cela n'a sans doute pas été amélioré par la nomination de notre collègue Louis de Broissia, comme ambassadeur de l'audiovisuel extérieur ce qui ne me semble pas clarifier les choses dans le pilotage de l'Etat. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation qui me paraît cumuler tous les inconvénients : d'un côté l'AEF est suspectée, à l'étranger, de dépendre directement du pouvoir politique, ce qui a pour conséquence des réactions contre France 24 ou RFI et qui sont en réalité des réactions contre la France, et dans le même temps, il n'y a pas de véritable pilotage politique des choix qui doivent être faits notamment sur la question des langues et des zones géographiques cibles pour notre action.

Concernant le budget lui-même, nous débattons dans l'inconnue totale d'un élément essentiel qui est le contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui sera l'élément central de la stratégie de l'AEF dans les années à venir. L'ancien ministre de la culture et de la communication, Mme Albanel, nous avait annoncé ce COM en mai 2009 et nous l'attendons toujours. Cette question est d'autant plus importante qu'elle recoupe celle du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) de RFI. Il est difficile d'examiner le budget de cette année sans avoir l'éclairage du COM qui devait couvrir les années 2009-2013 et qui doit contenir les grandes orientations stratégiques de l'ensemble du dispositif. J'ai demandé à plusieurs reprises à avoir communication du COM avant le débat budgétaire. Nous ne l'avons pas obtenu. Il y a de nombreuses questions importantes qui restent sans réponse : on nous parle de synergies et mutualisations, en particulier entre France 24 et RFI or nous n'avons aucun chiffrage. Nous ne savons pas sur quoi cela pourrait reposer ni quelles sont précisément les actions envisagées. Nous n'avons pas le chiffrage du PSE de RFI. C'est un élément important qui manque donc dans la construction budgétaire. Nous n'avons aucune explication sur le budget consolidé 2010 de l'AEF et surtout, on ignore quelle va être la répartition des ressources entre les différentes entités du pôle, quelle sera la part de la holding, théoriquement modeste, quelle sera celle de RFI, de France 24 qui est liée par ailleurs par une convention de subvention (ce qui complique encore les choses) ou celle de TV5 Monde où la mécanique budgétaire est encore plus compliquée et rigide avec la répartition des dépenses entre frais communs, frais de siège et frais spécifiques. Ne pas avoir le COM est un handicap majeur. Quand on nous dit qu'il y a 26 % de croissance des ressources propres de l'AEF, on ne sait pas en quoi cela consiste ni ce que cela recouvre. Les autres interrogations concernent les objectifs et les indicateurs évoqués dans le programme 115. Pour l'objectif « Développer la présence française et francophone », il y a très peu d'indicateurs fiables de l'audience. Si vous me demandez quelle est l'audience réelle de France 24, on n'en a pas véritablement d'idée. On peut dire qu'elle est en réalité assez faible. Il n'y a pas d'indicateurs fiables dans ce domaine. La seule mesure pertinente est Africascope, menée par TNS Sofres, sur quatre pays africains mais elle reste embryonnaire. Cela évoluera certainement avec le COM qui devrait, je ne peux parler qu'au conditionnel, développer quelques orientations stratégiques : pour France 24, une couverture mondiale dès 2010, ce qui est un changement d'orientation et qui suppose une force de frappe très importante sur le satellite et le numérique qui n'existe pas aujourd'hui et dont on aimerait savoir plus précisément comment elle va se mettre en place. Deuxième objectif pour France 24 : la diffusion en arabe 24h sur 24. Pour RFI, la question de la réorganisation des rédactions en langues étrangères avec par exemple le développement du swahili ou de l'haoussa et la suppression d'autres langues. Autre projet qui pose question : la diffusion en radio numérique terrestre (RNT) sur les vingt plus grandes agglomérations du territoire national français. Troisième voie de développement pour RFI : le développement du site internet. Quant à TV5, les orientations sont assez banales et elles consistent essentiellement à renforcer la vocation généraliste de la chaîne.

Si dans l'ensemble, le dispositif mis en place a indiscutablement de la pertinence, on peut s'interroger sur l'opportunité du lancement de France 24 avec un format Breaking news, qui est celui de CNNI et de BBC World, et dont elle n'a pas les mêmes moyens. On peut cependant s'interroger : était-ce le bon moment pour lancer une telle chaîne ? CNNI et BBC World sont toutes deux nées il y a quinze ans. Ce format Breaking news est-il encore adapté à l'époque d'Internet ? France 24 peut être complémentaire avec TV5 Monde, seule chaîne généraliste mondiale. La demande pour TV5 Monde est différente et porte davantage sur la culture, le cinéma, la musique, etc. La « demande de France » se manifeste différemment à l'égard de France 24 et de TV5 Monde. Le réseau de diffusion de TV5 Monde est considérable, c'est un outil formidable qui peut être mis en péril par le développement de France 24. Cela s'est d'ailleurs déjà produit. Il y a une concurrence dangereuse entre ces deux entités pour conquérir les canaux de distribution.

Quant à RFI, elle traverse cette année de grandes difficultés. Il faut rappeler que le média radio conserve une très large place dans beaucoup de régions du monde et que l'idée schématique de dire que le média télé est supérieur au média radio n'est pas une idée juste dans beaucoup de zones. La force de frappe de RFI est quelque chose de singulier et d'utile. RFI est de plus une radio de journalistes, pas de présentateurs ou d'animateurs, ce sont des personnes qualifiées, qui peuvent expliquer l'arrière-plan, etc. RFI est une vraie richesse, il faut la préserver. Concernant les difficultés rencontrées par cette radio, on a pu entendre deux types d'explications : tout d'abord celle concernant le déficit. Pour une entreprise à 100 % publique, il est clair que ce déficit est arbitraire. L'actionnaire unique peut faire apparaître le résultat qu'il souhaite. RFI emploie près de 1000 personnes. Certes, c'est une structure qui a des rigidités sociales comme beaucoup de structures de l'audiovisuel public mais c'est surtout une radio extrêmement intéressante, bien faite par des personnes remarquables, qui éclaire le monde. L'autre argument est celui de la perte d'audience. Le chiffre qui est toujours avancé est celui de la perte de 8 millions d'auditeurs en 4 ans. On ne peut, évidemment, qu'être d'accord dans ces conditions sur le fait qu'il faut faire quelque chose ! Mais après enquête, il s'avère que le seul indicateur retenu et avancé par la direction d'AEF, c'est-à-dire par Alain de Pouzilhac et Christine Ockrent, est une étude faite par un organisme universitaire belge, sans aucune notoriété chez les professionnels de la mesure d'audience, comme TNS Sofres ou Médiamétrie à qui j'ai pu poser la question lors de leur audition. C'est un organisme, le GEDA, spécialisé dans les études sur les développements démographiques et qui ne fait pas de mesure d'audience. Son chiffrage est donc sujet à caution et il n'est corroboré par rien d'autre. Certes, RFI a sûrement perdu un peu d'audience car le mode de diffusion en ondes courtes dans certains pays n'est pas toujours très adapté tandis que les ondes FM peuvent subir des coupures. On nous dit que désormais, en Afrique, les auditeurs vont écouter les informations sur leur portable via une offre Orange. Pour ceux d'entre nous qui se sont rendu en Afrique, on sait que cela n'a aucun sens dans des régions où les gens utilisent très peu ce moyen de communication, où il est très cher et où il peut même tout simplement y avoir des problèmes d'approvisionnement en électricité. Alors capter RFI sur ondes courtes garde sa pertinence dans certaines régions où c'est le seul média qui est écouté. On ne peut bien entendu que regretter ce qui s'est passé cette année. Mon analyse est qu'il y a eu un blocage du dialogue avec un mépris affiché par la direction d'AEF, disant « la radio, c'est ringard, maintenant il faut mettre le paquet sur la télévision ». Tout cela est dommageable et lundi encore, l'intersyndicale a saisi le Conseil d'Etat pour avoir connaissance du COM puisque le plan de sauvegarde de l'emploi va être dans le COM. Cette situation bloquée est plus due à des comportements, à des erreurs de management qu'à un problème de fond. Bien sûr qu'il reste des rigidités à RFI mais les personnels comprennent parfaitement que les rédactions en langues doivent évoluer et qu'on ne peut avoir le même format qu'il y a vingt ans et sont prêts à s'adapter. Mais il faut essayer de faire évoluer les choses avec un peu de douceur. La question que je me pose et que je vous pose est celle du projet de diffusion en radio numérique terrestre. C'est un projet sur lequel sur le plan technique il y a beaucoup de doutes. La question se pose de l'intérêt de la RNT dans son ensemble, dans un pays comme le nôtre où Internet est très développé, où il y a des webs radios, etc. Par conséquent, RFI est-elle dans son rôle quand elle engage des sommes très importantes pour être présente dans plusieurs villes en France ? RFI est destinée à un public qui se trouve à l'étranger. Est-ce bien pour elle une priorité de se développer en France dans une diffusion numérique terrestre ?

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